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Tout à un prix
Darren & Lyanna
Max Carnghy parcourait les couloirs d’un pas très rapide.
Ses enjambées allaient au-delà de son rythme naturel, ce qui lui donnait l’air d’être à chaque fois sur le point de courir. Encore entièrement équipé de son gilet et de ses armes, il s’était simplement libéré du poids de son casque. Son visage était sale, bariolé d’une couleur de camouflage que la sueur et la poussière avait affiné. Son bras était entouré d’un bandage sale vers le biceps mais il n’y avait pas de sang séché.
Entre son demi-trot et son allure très pressé, son souffle saccadé lui donnait un air presque paniqué.
« Hé les mecs, vous avez pas vu Lyanna ? »
Les badauds qui ne connaissaient pas du tout le soldat se regardèrent, étonnés.
« La sorcière. Celle qui claque les hommes ! »
Ils la remirent aussitôt et firent non de la tête.
Max poussa un soupir et continua sa quête dans les couloirs menant au mess ou aux dortoirs des soldats locaux.
« Vous auriez pas vu celle qui tape les mecs ?!? »
« J’m’y approcherai pas si j’étais toi. »
« Comme si j’en crevais d’envie, tiens ! » râla-t-il tout en repartant.
Pendant une bonne quinzaine de minutes, Max ricocha entre les différents endroits stratégiques sans parvenir à trouver l’Amazone. Il était presque affolé, insistait, s’énervait. Mais enfin, il tomba sur un Athosien qui connaissait bien Teyla. Et celui-ci savait que les deux femmes étaient amies.
Il passa un appel radio de la part de Max pour Teyla, laquelle lui affirma que son amie devrait être au gymnase en train de s'entraîner. Le soldat n’attendit pas plus. Comme si l’Athosien avait donné le top départ une fois l’information principale donnée, Max s’élança dans les couloirs en courant.
« Teyla a dit qu’il fallait éviter de... »
« Je sais !!! » cria-t-il en disparaissant dans le détour du couloir.
Quand il parvint au gymnase, Max était à bout de souffle. Il débarqua à l’entrée en manquant de renverser deux personnes qui quittaient leur cours de gymnastique. Le jeune homme s’excusa brièvement puis passa dans les groupes les moins nombreux en appelant Lyanna. Une jeune femme, qui savait que l’Amazone s’entrainait toujours à l’écart, la pointa du doigt avec un regard inquiet. Max se dirigea droit dans sa direction non sans éprouver une certaine angoisse.
Déjà, des regards inquiets suivaient son approche. Les sportifs se demandaient ce qu’un soldat encore tout équipé, blessé et sali pouvait bien faire ici. Ce qu’il pouvait bien lui passer par la tête en abordant Lyanna aussi directement.
« Hé, t’es là ! Je t’ai cherché partout. » fît-il, sans reproche, en la rejoignant rapidement.
En entendant une voix de mâle, Lyanna arrêta aussitôt son entraînement. Elle se trouvait au gymnase depuis une vingtaine de minutes, armée de deux sabres de bambou, entrain de perfectionner ses techniques de combat comme elle le faisait régulièrement pour se maintenir en forme. Généralement, personne ne venait la déranger, excepté peut être Teyla ou une autre femme voulant s'entraîner. Mais aucun homme n’avait envie de s’attirer les foudres de la Kiranienne. Alors là, un mâle qui l’interpellait et qui la dérangeait, cela ne put que provoquer son courroux. La jeune femme se retourna lentement, cherchant déjà de son regard noir celui qui avait eu l’audace de la déranger. Ses yeux se posèrent sur un jeune homme, militaire vu sa tenue, et qu’elle connaissait. C’était l’un des amis de Darren, le plus jeune de la bande. Celui qu’elle n’avait pas pu frapper la première fois qu’elle l’avait rencontré. Lyanna n’en revenait pas de voir Max ici, s’approcher d’elle d’un pas précipité. Et surtout seul.
Le militaire s'immobilisa néanmoins d’un coup en se rappelant à qui il avait affaire. Carnghy garda une distance de sécurité et pinça des lèvres, le regard chargé d’appréhension. Bien qu’il soit militaire, il craignait l’Amazone depuis leur première embrouille et il n’avait pas besoin de subir une agression.
Il leva ses deux mains, dont l’une tenait encore son casque, dans un signe d’apaisement.
Le jeune homme semblait différent en mission. Moins gamin et naïf.
« Tu te souviens de moi ? Je suis le pote de Darren. »
"Toi !" lança-t-elle sur un ton froid.
Autant dire que oui, Lyanna l’avait reconnu. Pas besoin de lui rappeler qu’il était l’ami de Darren, elle savait très bien qui il était. La jeune femme se retourna complètement pour lui faire face, jouant avec ses sabres d’une manière menaçante, sans quitter Max des yeux. Il fallait dire que lors de leur première rencontre, Lyanna n’avait pas apprécié le jeune homme. Et depuis, ce dernier était mentalement écrit sur sa liste de mâles qu’elle n’aimait pas. Heureusement que Darren était son ami, sinon la guerrière s’en serait déjà pris à lui. Quoique, le voir là, tout seul, il voulait peut être se battre, non ?
"Qu’est ce que tu viens faire ici, à me déranger pendant mon entrainement ? Je n’ai pas réussi à te frapper la dernière fois, mais on peut arranger ça, si tu veux" dit-elle en désignant l’un de ses armes.
« Hin-hin-hin ! J’suis mort de rire ! Je suis pas venu te servir de tête à claque. » répliqua-t-il. « Écoute, on pourrait pas faire la paix juste “deux” minutes ?!? »
Lyanna soupira discrètement. Ce Max n’était vraiment pas drôle, à lui priver d’une bonne occasion de se défouler sur lui. Elle pourrait refuser et l’envoyer balader, avant de se jeter sur lui. Même si cela n’allait pas du tout plaire à son amant. Cependant, un détail lui fit froncer les sourcils. Elle détailla Max du regard, des pieds à la tête. Le soldat avait non seulement l’air sérieux, mais il portait sa tenue d’exploration. Sauf qu’au lieu d’être sur le départ, il semblait revenir de la guerre. Mais … pourquoi ? Que faisait-il dans cette tenue, à venir la voir elle, dans le gymnase au lieu d’être sur elle ne savait quelle planète, ou à l’infirmerie, ou tout simplement avec ses supérieurs ? Et sans ses coéquipiers ? Et surtout : pourquoi lui, et pas Darren ? Lyanna savait que le soldat était parti en mission avec le D4. Alors voir Max là, seul. Quelque chose n’allait pas. La guerrière commença à ressentir de l’inquiétude, et elle jeta un oeil à l’entrée du gymnase, espérant y voir Darren. Mais personne. Elle reporta alors son attention sur le jeune homme.
"Où est Darren ?"
Le regard de Max changea. Il ne voulait pas lui mentir.
« Je...je sais pas. On a perdu le contact avec son équipe. Il est quelque part avec April. »
Lyanna sentit son coeur faire un bond dans sa poitrine. Savoir que Darren était perdu quelque part, coupé du reste des Atlantes, n’était pas du tout plaisant à entendre. Et même s’il était avec April, les deux militaires étaient seuls quelque part, sans renfort. De quoi inquiéter davantage la guerrière.
"Quoi ? Qu’est ce qui s’est passé ?"
« On est en train de démanteler un gros réseau de drogue. C’est pas joli-joli là bas. » reconnut-il.
« Mais j’viens pas pour ça. Ridding conduit les opérations et il guette les passage à la Porte. Ses gars ont arrêté une fille. »
Lyanna n’aimait pas ce qu’elle venait d’entendre. Une mission qui tournait mal, ça arrivait. Mais une mission qui tournait avec Darren, c’était quelque chose que la jeune femme craignait. En plus, Ridding était ajouté à l’équation, c’était donc très mauvais vu ce qui s’était passé la dernière fois. La guerrière baissa alors ses armes, plus inquiète que d’être en colère en cet instant. Max avait gagné un répit. Mais la jeune femme ne voyait pas où il voulait en venir, ni pourquoi il était là. Elle ne faisait pas partie de cette mission, et Ridding gérait la situation, vu qu’il avait intercepté une femme qui était visiblement liée à cette mission. Alors, pourquoi venir la voir, elle ?
"Mais qu’est ce que tu fais là ? Pourquoi tu n’es pas sur la planète à chercher Darren et April pour les secourir ?"
« Ouais bah moi aussi, j’suis super inquiet pour eux. » rétorqua nerveusement Max. « Mais Jim s’est servi de son grade pour m’envoyer chercher du ravitaillement. Il m’a dit d’aller te trouver au plus vite et de te montrer ça. »
Le soldat tapota sur son gilet puis fouilla fébrilement les poches. Il en sortit un petit appareil photo qui lui échappa des mains. Max tenta de le ratrapper, jonglant avec plusieurs fois, avant de pouvoir le stabiliser et cesser cette démonstration d’inquiétude.
« Attends. J’l’allume. »
Il exécuta la commande, alimenta l’appareil qui déploya son focus. Puis après avoir appuyé sur quelques boutons, il afficha l’image d’une jeune femme brune recroquevillée dans un lit de camp. Une ancienne installation enterrée semblait avoir été recyclée comme prison. Et à voir le matériel alentour d’origine Atlante, c’est Ridding qui avait investi l’endroit pour l’utiliser de cette façon. Le mauvais souvenir n’avait pas quitté l’Amazone et elle allait reconnaître sans mal les différents indices qui révélait l’usage.
Une salle d’interrogatoire...des cellules de détention. Le domaine du lieutenant Ridding et de sa folle : Magda Rahim.
Lyanna était encore en droit de se demander pourquoi le plus ancien du D4 lui avait envoyé Max en tant que messager. Cette photo provenait manifestement de lui et vu la qualité du cliché, elle n’avait pas été prise officiellement. Surtout qu’il avait joué de son pouvoir pour le faire venir ici, trouver Lyanna. L’image était plutôt floue. Rassuré par cette paix éphémère, Max se posta à côté d’elle et lui déclara qu’il y en avait plusieurs. Il navigua sur les différents clichés. La prisonnière tentait de cacher son visage. Mais enfin, sur la dernière, Lyanna fût choquée par cette silhouette devenue peu à peu familière.
Une décharge électrique l’impacta lorsqu’elle comprit enfin qu’il s’agissait du visage sombre et émacié d’Abelle.
Cette fille que Ridding avait emprisonné, c’était sa servante d’Héstevic. Elle était loin, très loin de chez elle. Son naturel joyeux, son air éclatant, tout avait disparu pour quelque chose de sombre et de...criminel. Ca ne s’expliquait pas, ça se voyait. Abelle était habitée par quelque chose de totalement différent de son tempérament.
« Alors ? Tu sais qui c’est ? »
Lyanna ne répondit pas de suite, son regard resta fixé sur l’image de la jeune femme. Elle n’en croyait pas ses yeux. Mais que faisait Abelle sur cette planète ? Si la mission s’était déroulée à Héstevic, Darren lui en aurait parlé avant de partir. C’était incompréhensible.
"Abelle" souffla-t-elle sans quitter l’image des yeux.
La guerrière ne reconnaissait plus sa servante. Est ce que c’était à cause de Ridding et de Rahim ? Sa douloureuse expérience lui revint en tête, elle savait parfaitement comment ces deux personnes interrogeaient et traitaient leurs prisonniers, même innocents. Lyanna ressentit une bouffée de colère l’envahir. Abelle avait des ennuis. Darren avait des ennuis. Elle voulait leur porter secours.
"Je pars à la recherche de Darren et April. Et je vais aider Abelle et la sortir de là avant qu’ils lui fassent du mal".
Lyanna commençait déjà à s’éloigner vers la sortie du gymnase, sans même savoir si les Atlantes allaient la laisser partir. Si elle devait menacer des gens pour passer la Porte des Etoiles, elle le ferait sans hésiter.
« Eh oh ! Ola oh !! » s’écria Max en se mettant sur son chemin, ouvrant les bras. « Mais arrête, t’es fêlée ? On passe pas la Porte comme ça ! »
Le soldat sentait les embrouilles arriver. Elles s’appelaient Lyanna.
« Tu peux pas débouler comme ça, en pleine mission anti-drogue, et faire ta loi ! Tu te rends pas compte ! Te faut une autorisation. »
Lyanna dut s’arrêter lorsque Max lui barra la route, et elle dut se faire violence pour ne pas le dégager de son chemin. Le protocole Atlante était vraiment ennuyant, devoir demander une autorisation, faire de la paperasse inutile, quand des explorateurs étaient en danger. La guerrière leva les yeux au ciel, énervée.
"Et je suis censée faire quoi ? Pourquoi tu es venu me voir et me dire ça, si je ne peux pas aller les chercher !"
« Alors, de un : J’savais pas moi-même pourquoi je venais. C’est Jim qui m’a dit de te montrer ça. Du coup, y’a forcément une raison. De deux, si tu veux passer, y’a que le chef d’opération qui peut t’y autoriser. »
Il déglutit.
« Le chef d’opération, c’est le lieutenant Ridding. »
"Ben voyons, faut avoir l’accord de ce mâle !!!"
Lyanna ne parvenait pas à cacher cette haine qu’elle avait pour Ridding. En parlant, elle leva les mains en l’air, en faisant demi tour comme si elle parlait à quelqu’un d’invisible. Décidément, elle n’avait aucune chance d’aller sur cette planète pour apporter son aide. Elle fit volte face, le regard noir de colère, et posa ses yeux sur Max.
"Je tente quand même le coup. Si je dois le frapper et le tuer pour aller sur cette planète, alors je le ferais !"
Max resta silencieux, l’air interdit.
Il secoua la tête, n’en revenant pas.
« Tu dis toujours ces trucs là à Darren ? »
"Oui !" s’empressa-t-elle de dire pour répondre à Max. Avant de soupirer et d’ajouter : "Mais il n’aime pas ça, il ne veut pas que je fasse ce genre de choses. Même si ça me démange".
« Tu m’étonnes ! De nous tous, c’est celui qui aime le plus l’armée. Alors parler comme ça, tu dois vachement lui casser les cou... »
Le regard de l’Amazone ne lui permit pas de finir sa phrase.
« Heu...bon. C’qu’on peut faire, c’est aller à la salle de contrôle, passer un appel à Jim pour savoir ce qu’il avait en tête. Lui c’est l’intello du groupe ! Il pourra peut-être t’aider à aller sur la planète. »
Il fit une grimace gênée.
« Enfin, faut vraiment t’calmer, là. Parce que sinon tu auras même pas fait un pas que Ridding te renverra sur Atlantis. Tu d’vrais te contrôler avant de passer l’appel. »
Lyanna se détourna à nouveau, et commença à faire les cent pas dans le gymnase.
"Me calmer ? Comment veux tu que je me calme ? Alors que Abelle est entre les mains de ce mâle. Et que Darren est quelque part, peut être qu’il est …"
La jeune femme ne termina pas sa phrase, elle ne voulait pas formuler cette idée à voix haute. Ne pas savoir si Darren allait bien était une torture. Mais Max avait raison. Si elle voulait avoir une chance d’aller à sa recherche, et aider Abelle, elle allait devoir se calmer. Même si c’était très dur pour elle de faire ça. La jeune femme finit par soupirer à nouveau en fermant les yeux. Il lui fallut quelques instants pour calmer cette colère, en respirant profondément. Teyla avait essayé de lui enseigner la méditation pour apaiser ses accès de colère, ça n’avait jamais fonctionné. Au bout d’un moment, Lyanna finit par poser les sabres de bambou, et elle retourna vers Max, adhérant à son plan. Elle n’en avait pas d’autre qui soit réalisable.
"Emmène moi à la salle de contrôle !"
Vingt minutes plus tard, la Porte des Étoiles s’activaient et l’opérateur responsable des flux audio et vidéo contacta le contingent de Ridding. Max se tenait aux côtés de Lyanna, plutôt étonné qu’il puisse être si près sans se ramasser une baffe. A sa demande, il adressait l’appel à Jim Hoffman, le membre le plus sage et âgé du D4. Celui qui avait envoyé Max et l’appareil photo.
Quand l’écran s’alluma enfin, les mêmes traits éprouvés par des combats et un maquillage de camouflage vieillissant modelèrent le visage de Jim. Il avait retiré son casque militaire, une barre de “propre” garnissant son front. Il s’ajusta brièvement les cheveux, là où ça faisait quelques épis, puis détailla le visage de l’Amazone d’un air satisfait.
« Bonjour Lyanna. » fit-il poliment.
Lyanna ne répondit pas, elle resta immobile, les bras croisés sur sa poitrine. Jim était peut être un mâle sage, mais c’était un mâle. Derrière lui, on trouvait le même environnement de bunker enterré. Quelques malles avaient été disposées ici et là. Des collègues s’appuyaient dessus pour manger une ration, somnoler ou discuter. Ils semblaient se reposer brièvement avant de repartir au combat.
« La fille sur la photo, c’est bien l’Héstevécienne qui vous servait ? »
"Oui, c’est Abelle. Qu’est ce qu’elle fait sur cette planète ? Est ce qu’elle va bien ?"
Jim acquiesça. Il avait vu juste.
« Bien, je ne pense pas. Mais elle est en sécurité ici, c’est déjà ça. »
Le soldat enchaîna.
« Les Rippeurs l’ont interpellé alors qu’elle tentait de passer la Porte avec une grande quantité de drogue. Un composé très violent qui a posé des problèmes à pas mal de populations. Elle refuse de parler depuis. »
Il marqua une pause.
« J’ai reconnu l’adresse qu’elle avait composé, j’étais là pendant son arrestation. C’est la planète où vous étiez piégé avec Darren. C’est ce qui m’a donné le doute. Vous connaissez la suite. »
« Ah ok, tu voulais être sûr avec les histoires de Darren... »
« Oui. Il nous avait bien parlé d’une brune qui vous avez servi pendant ce temps. La description avait l’air de correspondre... »
Au fur et à mesure des explications de Jim, le visage de Lyanna se décomposa. Abelle, une passeuse de drogue ? C’était impossible. La guerrière ne croyait pas du tout à cette histoire. Abelle n’était pas quelqu’un de mauvais. Elle secoua la tête et leva une main.
"Elle voulait passer la Porte avec de la drogue ? Non, c’est impossible. Je ne te crois pas !"
Imaginer qu’Abelle puisse tremper dans cette histoire était incroyable. Il devait y avoir une autre explication. Lyanna se souvint alors des dispositifs utilisés par l’ennemi pendant leur mission, qui avait fait croire que Darren était responsable d’actes atroces.
"Il … il doit y avoir une explication. Ce n’est pas Abelle, ce n’est pas possible. Cette personne doit utiliser l’un de ses appareils, cette chose qui prend l’apparence de quelqu’un. Ce n’est pas Abelle, elle ne ferait jamais un truc de ce genre !"
« Je ne sais pas trop de quoi vous parlez, Lyanna. Mais la procédure veut qu’un prisonnier sur un terrain extérieur soit changé. La dénommée “Abelle” a dû enfiler un uniforme neutre devant ses gardiennes. Tout équipement a été retiré à ce moment là. »
Pas d’appareil. Si elle en avait eu un, il aurait été trouvé. Lyanna secoua la tête et fit quelques pas dans la salle, ignorant quoi penser de cette histoire. C’était un cauchemar auquel elle n’avait pas de réponse. Puis, elle revint vers l’écran où se trouvait Jim.
"Et Darren ? Qu’est ce qui se passe ? Tu n’as plus aucun contact ?"
« Non, plus de contact. Mais nous avons repéré des affrontements imprévus sur une zone où il ne devrait pas y avoir des équipiers SG. On est encore en train de chercher ce qu’il se passe. Ne vous en faites pas, c’est un garçon solide ! »
Jim Holman tentait de l’apaiser. Ce qui n’était pas chose aisée, car Lyanna s’inquiétait beaucoup pour Darren.
Ils avaient fait la guerre ensemble, le D4, ils étaient sorti du Boc.
En tant qu’équipier, il espérait avoir du poids sur cette certitude. Car Jim était certain que son ami était en difficulté mais bien vivant. Il allait s’en sortir.
Le soldat devait néanmoins ramener l’Amazone sur le sujet principal.
« Ecoutez. Si c’est bien votre amie, elle aura besoin de votre aide. Plus que jamais. »
Il regarda par dessus son épaule puis révéla l’information qui allait mettre le feu aux poudres.
« Abelle refusant de parler, elle sera interrogé par Magda Rahim dans l’heure qui suit. Je pense que vous vous souvenez d’elle. »
En entendant cette nouvelle, le coeur de Lyanna s’emballa. La colère revenait à la charge. C’était cette sorcière qui allait interroger Abelle ? Comme elle l’avait fait avec la guerrière ? Jim leva la main pour l’empêcher de bondir de son siège et révéla son plan.
« Vous connaissez cette fille, ses forces, ses faiblesses. Vous pourriez vous proposer pour l’interroger à la place de Rahim. Au moins vous obtiendrez les réponses à vos questions tout en veillant à sa santé, vous me suivez ? »
Interroger Abelle elle même, au lieu de la laisser dans entre les griffes de Rahim, étant une bonne idée. Mais il y avait un problème de taille qui fit lever les yeux de Lyanna au ciel.
"Impossible, comment veux tu que je fasse ? Le mâle ne me laissera pas l’approcher sans ordonner à ses sbires de m’arrêter !"
« Je n’ai pas toutes les réponses, Lyanna. Je peux vous arranger un entretien avec le lieutenant, il est intéressé par les informations que détient Abelle. Pour le reste...pensez à Darren pour assouplir votre comportement. »
Il se leva, son entretien était fini.
« Je dois y aller, je prends un jumper sous peu. »
« T’es pas au repos ?!? »
« Si. J’en profite pour survoler en furtif la zone tampon. On part à la recherche de Darren et April. »
« Attends !!!! Je me ramène ! »
« Traîne pas. On se rejoint au port. »
Jim était en train de quitter l’écran. Il fit volte-face et se pencha.
« Ravi de vous avoir vu Lyanna, malgré les circonstances. Ne bougez pas, le lieut arrive. »
Max avait ramassé ses affaires, des capteurs de mouvements et des mines aux plâtres que Ridding avait demandé. Les bras chargés, il quitta Lyanna à la hâte et franchit la Porte sans demander son reste.
Voir Max partir, et savoir que Jim allait partir à la recherche de Darren serra le coeur de Lyanna. Elle avait bien envie de venir avec eux pour secourir le soldat. Mais d’un autre côté, Abelle avait besoin d’elle. Le choix était difficile à faire, et après avoir réfléchi, elle prit la décision délicate de laisser le reste du D4 s’occuper de Darren, pendant que de son côté, elle venait en aide à Abelle. Une fois que le jeune militaire disparu dans le vortex, la guerrière retourna face à l’écran, attendant Ridding avec beaucoup d’appréhension vu leur passif. Le conseil de Jim lui revint en tête. Penser à Darren pour calmer ses ardeurs agressives ? Plus difficile à dire qu’à faire.
La vue restait alors telle quelle, sur cette escouade qui se reposait en attendant de reprendre du service. Quelques minutes plus tard, un homme s’installa à califourchon sur la caisse pour être bien en face de la caméra.
« J’ai peu de temps. Il paraît que vous connaissez ma captive ? »
En voyant Ridding, Lyanna serra sa mâchoire, et elle croisa à nouveau les bras sur sa poitrine.
"Oui, je la connais. Elle est mon amie !"
Impatiente malgré elle, Lyanna secoua la tête avant de regarder Ridding dans les yeux.
"Je veux la voir !" lança-t-elle sur un ton précipité, ignorant que son comportement n’allait pas du tout convaincre le militaire de satisfaire sa demande express.
« Votre amie transportait suffisamment de poudre d’Ephémérade pour shooter un village de deux cents personnes sur plusieurs semaines. C’est ma plus grosse prise. » déclara-t-il sèchement. « Je ne gère pas un salon de thé. Vous la retrouverez quand cette affaire sera terminée. »
"Non, je veux la voir tout de suite !"
Lyanna se rendit compte que sa colère prenait le dessus, et que malheureusement, même si elle voulait frapper Ridding tout de suite, elle n’allait pas réussir à avoir son accord de cette façon. La jeune femme ferma les yeux quelques secondes, et tenta de se calmer un peu avant de lui adresser à nouveau la parole.
"Ecoute … ce n’est pas possible qu’elle ait fait ça, je la connais. Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette histoire. Elle doit être manipulée par quelqu’un. Ou alors, elle a été menacée. Il doit y avoir une explication, et je dois lui parler pour connaître le fin mot de cette histoire !"
« Et puisque nous avons ce même but, vous vous proposeriez d’entrer à mon service sans me trahir ni agresser mon personnel combattant ? » supposa-t-il avec un sourcil levé.
"Tant que ton personnel combattant et toi, vous ne vous approchez pas d’elle !"
Lyanna se mordit la lèvre, cherchant de bons arguments. C’était difficile pour elle de faire une telle promesse. Ne s’en prendre à personne sur la base de fortune, aller à l’encontre de sa nature, vu que Darren n’était pas là pour l’aider à se calmer, c’était dur. Mais pour Abelle, la jeune femme devait trouver des solutions pour l’aider.
"Tu n’arriveras pas à la faire parler. Ta folle de tortionnaire n’y parviendra pas non plus, du moins sans la torturer. Et s’il y a quelque chose que les Atlantes ne font pas, c’est la torture, n’est ce pas ?"
Lyanna leva un peu le menton pour se donner de la prestance, affrontant Ridding du regard.
"Moi, elle me parlera !"
Le lieutenant secoua lentement la tête par dépit.
« Le soldat Clive aurait dû vous en apprendre plus sur l’argumentation entre Atlante. Vous me donnez tout sauf envie de vous faire confiance. Cela dit... »
Il réfléchissait en même temps.
« Vous marquez un point. Je préfère un interrogatoire en douceur qu’user de force. L’expérience m’a appris que les coupables sont rarement ceux qui prennent le risque du transport. »
Ridding la fixait également dans les yeux.
« Je veux un retour complet. Comment, où, pourquoi. Depuis combien de temps. Combien de personnes impliquées… ; si je m'aperçois que vous êtes juste venue distribuer des câlins, je vous fais retourner dans la cellule qui a été votre habitat d’une semaine. On fait comme ça ? »
Lyanna serra à nouveau la mâchoire sous les menaces de Ridding, et elle eut envie de répliquer quelque chose de cinglant. Mais elle se retint, pour le bien d’Abelle. Elle se contenta de hocher la tête, non sans rajouter un petit détail.
"Tiens tes mâles à distance. Et il n’y aura pas de problème de ma part !"
« Ils ne vous adresseront pas la parole si c’est votre message. La sécurité ne les fera pas changer de place. Alors, vous me donnez votre réponse ? »
Savoir que les hommes de la base ne chercheraient pas à la provoquer pour créer un conflit rassura un peu Lyanna. Quoiqu’il fallait s’attendre à tout avec eux. La guerrière réfléchit quelques secondes, puis elle soupira discrètement.
"C’est d’accord".
« Départ dans une heure. Je fais transiter votre autorisation à votre responsable référent. Le médecin de l’unité vous attendra en sortie de vortex pour vous faire un état de votre amie. »
Il avait dit l’essentiel. Sans attendre davantage, il se redressa et quitta le champ de vision de la caméra.
eden memories
Tout à un prix
Darren & Lyanna
Lyanna n’avait qu’une heure pour se préparer. Cela allait être rapide, elle avait déjà sa tenue habituelle. Il ne lui manquait plus que ses armes, et elle serait prête à partir. Elle avait même le temps de manger un petit quelque chose avant de partir. Elle ignorait combien de temps elle allait rester avec Abelle pour la sortir de là. Ceci dit, quelqu’un allait lui mettre des bâtons dans les roues sans quelle ne le sache encore. Sa responsable référente : Teyla.
La guerrière quitta la salle de contrôle, et fila d’abord au mess pour prendre de quoi grignoter. Sur place, elle mangea assez rapidement, et emporta même une barre chocolatée pour son escapade. Cela lui prit seulement 15 ou 20 minutes, elle était parfaitement dans les temps. Un détour par ses quartiers pour prendre ses fourreaux, puis à l’armurerie pour ses armes, elle est serait prête à partir. Sauf qu’en arrivant devant son petit chez elle, Teyla l’attendait, les bras croisés, l’air sérieux.
"Je viens de recevoir une autorisation à ton sujet pour partir en mission. Tu vas interroger quelqu’un ?"
"C’est vrai. La mission de Darren, ça s’est mal passé. Et Abelle est prisonnière là bas. Ils pensent qu’elle a fait quelque chose de mal, mais je ne veux pas le croire".
"Abelle ? Ah oui, tu m’en as parlé. L’Héstevécienne qui était ta servante, c’est ça ? Qu’est ce qui se passe ?"
"Ils disent qu’ils l’ont trouvé en train de transporter de la drogue pour retourner sur son monde. Mais ça ne lui ressemble pas. Je veux lui parler pour en savoir plus. Je connais leurs méthodes d’interrogatoire, je n’ai pas envie qu’elle subisse ça".
Teyla hocha la tête pour acquiescer, comprenant pour quelle raison Lyanna avait été désignée pour partir sur la planète afin d’interroger la captive.
"Je comprends. Et je ne m’opposerais pas à ton départ si tu me promets de rester calme, et de ne pas t’en prendre à tous les hommes que tu croiseras sans une bonne raison".
Lyanna soupira pour montrer son mécontement.
"Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi. Le mâle m’a déjà menacé de m’enfermer si je frappais les autres. J’ai du accepter même si ça me coûte de ne pas pouvoir le faire".
La guerrière ignorait comment la mission allait se passer, ni si elle parviendrait à calmer son tempérament bagarreur et sanguin. Mais elle devait essayer pour aider Abelle.
"Je n’ai plus beaucoup de temps. Il me faut mes fourreaux et mes armes, et je file à la Porte des Étoiles".
"Rassure moi, tu ne comptes pas y aller dans cette tenue ?"
"Si, pourquoi ?"
Evidemment, elle s’était attendue à cette réponse. Alors que l'Amazone passait sa main devant le capteur, Teyla la suivit à l’intérieur de ses quartiers, attendant que la porte de se referme.
"Ecoute moi ! Tu ne peux pas y aller comme ça. Pars avec la tenue d’exploration Atlante. On t’a déjà dit que tu ne pourrais plus partir en mission si tu n’enfilais pas ces vêtements".
Et voilà, Teyla voulait qu’elle mette un pantalon. Mais qu’est ce qu’ils avaient tous avec ce maudit pantalon ? Lyanna n’aimait pas ça, et tout le monde le savait.
"Je vais juste aider Abelle, pourquoi est ce que je devrais mettre cette tenue que je déteste ?"
"Parce que ..."
Teyla s’interrompit quelques instants, cherchant des mots convaincants.
"Déjà, toute personne qui quitte cette base porte la même tenue qui l’identifie à Atlantis. Cette règle s’applique à tout le monde, voilà pourquoi tu dois aussi la mettre, quelque soit la mission. Crois moi, je suis passée par là aussi. Et quand je pars en mission, j’adopte leurs coutumes".
Voyant que Lyanna allait dire quelque chose pour la contredire, elle leva la main pour l'interrompre, avant de poursuivre.
"Puis, la tenue Atlante te protègera beaucoup mieux que ta propre tenue. Tu en as déjà fait l’expérience. Sur les autres mondes, ils utilisent beaucoup d’armes à distance, et souvent mortelles au premier impact. Ta propre tenue n’est pas faite pour ça, le corps à corps est rare. Sans parler des conditions climatiques que tu peux rencontrer. Tu protégeras plus facilement ton corps avec la tenue Atlante".
"Darren m’en a déjà parlé, mais ..."
Teyla ne la laissa pas continuer.
"Et enfin … si tu veux que les hommes ne t’approchent pas, et si tu veux éviter l’affrontement pour ne pas avoir d’ennuis, mets quelque chose de moins provocateur pour eux. Les hommes sont tous les mêmes, ils adorent regarder une femme en jupe et débardeur. Avec la tenue Atlante, tu seras tranquille de ce côté là, tu les tenteras moins" lança-t-elle avec un sourire, sachant que ce dernier argument capterait son intérêt.
Ca aussi, Darren en avait parlé à Lyanna. A croire que Teyla et lui avaient accordé leur violons pour la forcer à porter les vêtements de mâle Atlante. La guerrière voulut répliquer, mais devant le regard de Teyla, elle finit par abdiquer à contre coeur, en soupirant.
"D’accord, d’accord, je vais la mettre, ta tenue. T’es contente ?"
Le sourire de Teyla s’agrandit, et elle acquiesça d’un hochement de tête.
"Très. Tu verras, tu finiras par t’y habituer. Je te laisse te préparer, mais n’oublie pas : garde le contrôle de toi même une fois là bas. C’est dans l’intérêt de ton amie".
Teyla souhaita bon courage à Lyanna en lui demandant de faire attention, avant de quitter ses quartiers, la laissant ainsi seule. L’Athosienne avait vraiment le même pouvoir de persuasion que Darren. Bien qu’elle ne le voulait pas du tout, Lyanna se déshabilla et enfila la tenue Atlante, se sentant toujours extrêmement mal à l’aise dans le pantalon. Elle attacha ses cheveux, et prit ses fourreaux. Puis, elle sortit et passa à l'armurerie pour mettre son gilet MOLLE et ses épées qu’elle glissa dans son dos. Elle mit également son couteau à la ceinture, et s’assura que la pochette contenant son nécessaire pour affûter ses armes, cadeau de Darren était là aussi. Cette pochette ne la quittait plus lorsqu’elle portait ses épées. La guerrière prit également son matériel, comme la radio ou le détecteur de vie, au cas où, même si elle pensait que ça serait inutile. Elle mit même les lentilles, indispensable pour partir en mission. Et enfin, elle glissa la barre chocolatée dans une poche du gilet tactique.
Alors que l’heure était presque écoulée, Lyanna se dirigea vers la salle d’embarquement. Elle était prête, persuadée de ne pas avoir besoin de tout ce qu’elle avait sur elle, mais bon. C’était ce que les Atlantes prenaient et portaient pour partir en mission, alors elle devait faire pareil, même si ça l’embêtait. Une fois devant la Porte des Étoiles, elle attendit que cette dernière s’ouvre, une fois l’autorisation donnée pour son départ. Puis, sans attendre, ayant hâte de retrouver Abelle, la guerrière s’avança et traversa le vortex.
L’air était plus étouffant une fois sorti de l’environnement contrôlé de la cité.
Lyanna déboucha sur une grande route pavée, mal entretenue, obstrué par un très grands nombres de chariots de marchands. Un cordon de militaire Atlante contrôlait toute les allées et venue. Ils faisaient un sacré travail, plutôt efficace, même s’ils semblaient être noyés dans la populace qui s’était agglutinée sur leur dispositif.
N’ayant visiblement pas l’habitude que l’accès à la Porte soit si surveillé, le trafic s’était très fortement ralenti. Un bouchon monstrueux d’humains et de convois s’alignaient tout au long de la route jusqu’à cette ville, là-bas, dont les colonnes de fumées noires révélaient l’état de guerre.
La foule qui se pressait donc contre le cordon n’était pas uniquement faite de marchands mais également de réfugiés cherchant à partir au plus vite. Lyanna venait de passer d’une salle d’embarquement tranquille à un raz de marée vivant. Partout où son regard se portait, elle était témoin de nombreuses scènes de catastrophe. De la peur dans le regard de ces gens, des appels à l’aide.
Quelques rares chariots déjà contrôlés dépassèrent l’Amazone pour faire poliment la queue. Ils se rangeaient d’un côté et de l’autre pour que l’horizon des événements n’engloutissent pas leur animaux de traits et la moitié de la cargaison. Elle qui n’aimait pas la proximité immédiate d’hommes se trouvait littéralement envahie. Si bien qu’en la dépassant, certains lui mettaient des coups d’épaules ou s’excusaient brièvement en se glissant contre elle.
Un peu plus loin, au niveau du cordon, les militaires tenaient en respect les plus agités. Ceux qui avaient l’idée de passer de force le poste contrôle se faisaient tirer dessus par une arme neutralisante. Il y avait même un jumper en suspension au-dessus de la Porte. Elle ne le découvrit qu’en entendant un homme répéter inlassablement son message dans le porte-voix.
« N’ayez pas peur ! Laissez-vous fouiller. Nous agissons pour votre sécurité. Passage à la Porte toutes les cinq minutes. N’ayez pas peur, laissez vous fouiller, nous agissons... »
Cet homme leur parlait depuis la nacelle arrière du jumper. Son pont était resté ouvert et le vaisseau faisait un surplace en leur montrant le dos. Le crieur était donc en face de cette foule dont certains levaient une main suppliante dans sa direction. Il était accompagné d’un tireur de précision qui assistait parfois les collègues en contrebas. Quand il repérait des passeurs faisant soudainement volte-face, il les désignait et une équipe venait les intercepter.
Dans tout ce boucan et ce brouhaha, Lyanna mit un moment à se rendre compte que quelqu’un l’appelait. A l’écart sur le côté, après les chariots, il fallait enjamber un muret de pierre et dépasser les caravaniers qui mangeaient ou dormaient en l’attente de leur tour. Elle portait une tenue Atlante et, même d’ici, elle pouvait voir la croix rouge sertir son épaule. Un médecin, c’était ce que le lieutenant lui avait dit.
« Lyanna ! Par ici !!! » l’appelait la femme.
En la voyant, Lyanna se dirigea aussitôt vers elle, trop impatiente de mettre de la distance avec cette foule de mâles qui l’énervait déjà avec leur contact trop rapproché à son goût, même si ce n’était pas volontaire de leur part. Le médecin attendit d’être rejointe, la main gauche en permanence posée sur la crosse d’un neutraliseur Wraith. A l’approche, elle lui offrit un sourire faible, signe d’un bienvenue avec réserve et professionnalisme.
« Je m’appelle Helen. Je suis le médecin du groupe combat. Je veille aussi sur la santé des prisonniers. » fit-elle en lui tendant la main. « Le lieutenant m’a informé de votre arrivée, vous me suivez ? »
Lyanna acquiesça d’un hochement de tête, et en regardant la main tendue, elle se souvint que ce geste était typiquement Atlante. Et qu’elle acceptait de le faire qu’avec des femmes. Elle prit donc la main d’Helen et la serra doucement de haut en bas, avant de commencer à lui emboîter le pas. Au même moment, plusieurs tirs s’enchainèrent, se mêlant à une hystérie généralisée. Plusieurs mouvements de foules bousculèrent de pauvres réfugiés qui basculèrent par dessus les murets de la route de chaque côté. A force de se presser, le flux débordait.
« Ce n’est qu’un début. La surveillance signale une fuite désorganisée des civils à vingt kilomètres. Quand ils seront là, la zone deviendra infréquentable. On sait que des trafiquants se sont mêlés dans le lot. »
"Ca va être pire que ça ? On ne pourra pas revenir sur Atlantis ?"
« Oh ! Là, c’est plutôt calme. C’est l’heure du repas sur cette planète. Ca sera bientot noir de monde. »
Helen la guida tout en continuant de répondre à ses questions.
« La Porte est sous notre contrôle donc on s’en sert quand on veut. Mais les transports d’urgence pour les blessés sont prioritaires. »
Elle lui sourit.
« Si vous voulez fuir la chaleur étouffante de cette planète, il faudra attendre votre tour. »
"Je suis habituée à la chaleur, ça ne me dérange pas. Je crains plus le froid".
Helen la prit légèrement par le bras pour lui montrer une zone plus tranquille. Ce qui fit du bien à Lyanna d’être enfin loin de toute cette cohue. Un dépôt routier désaffecté se trouvait non loin, renforcé par des sacs de sable et des barbelés. Quelques structures modulaires installées stratégiquement supportaient quelques fantassins et mitrailleurs qui surveillaient la zone. C’était la base d’opération de Ridding pour son coup de filet de grande envergure.
« Si vous avez des questions sur cette planète, ce qu’on y fait, commencez à les poser. Nous avons le temps du chemin pour ça. »
Lyanna se retourna brièvement pour voir la foule paniquée qui continuait de se diriger vers la Porte des Étoiles. Les soldats s’étaient réorganisés, parvenant à retenir in extrémis le flux avant que celui-ci ne s’empale mortellement sur une nouvelle activation extérieure.
La matérialisation de l’horizon mit tout le monde d’accord lorsqu’ils se rendirent compte du massacre que ça aurait pu être. La peur les rendait suicidaires.
"Qu’est ce qui se passe ici ? On m’a parlé d’une mission au sujet d’une prise de drogue, ou je ne sais quoi. Mais ça ..." dit elle en désignant les marchands et les réfugiés apeurés, avant de poursuivre : "On dirait qu’il y a une guerre. Ces gens fuient quelque chose, non ?"
« Comme vous dites, Lyanna. Ils fuient la guerre. Leur ville est devenue un foutu champs de bataille. »
Lyanna fronça les sourcils, elle ne comprenait pas vraiment le lien entre de la drogue et une guerre. Elle ne savait pas vraiment ce qu’était de la drogue, d’ailleurs. Elle en avait vaguement entendu parler sur Atlantis comme quelque chose de consommable et de très addictif, qui pouvait être dangereux pour la santé. Mais pour elle, c’était comme les cigarettes que Darren fumait. La jeune femme était loin de se douter qu’il y avait des drogues bien pire que le tabac qui était déjà suffisamment nocif de son point de vue. Helen atteignit l’entrée de la base. Deux soldats, dont un tenant des chiens agressifs, contrôla la carte d'identité du médecin. Elle en tendit une deuxième qui semblait appartenir à Lyanna vu qu’il y avait son visage dessus.
« Votre accès. » dit-elle en lui fournissant cette fameuse carte après le contrôle des gardes.
Lyanna prit la carte que Helen lui tendait, et l’inspecta sous toutes les coutures. C’était la première fois qu’elle possédait une carte d’accès à elle, il y avait sa photo dessus, celle que Darren avait lors de leur première mission, provenant de la base de données des Atlantes. Elle arriva même à lire son nom écrit sous la photo. La guerrière la glissa dans une poche, et suivit le médecin. Cette dernière s’engagea alors vers le bâtiment.
« Ce peuple a été victime de son succès. Leur monde est très bien placé pour les échanges commerciaux. Ils ont eu une vie très lucrative, florissante. Puis des étrangers sont venus s’installer chez eux. D’une nouvelle sorte, ceux là. Et pas de la bonne catégorie. »
"Des étrangers ? En quoi ils étaient … dans une “mauvaise” catégorie ? C’était des bandits ?"
« En plus vicieux. Des parasites, des corrupteurs. Ils font bonnes figures, s’adaptent, puis pourrissent le système. »
Le médecin ouvrit la porte et s’engagea dans un hall abandonné. Il était terne, sentait la poussière et le renfermé malgré ses fenêtres grandes ouvertes. Manifestement, l’endroit avait servi à garer les chariots de commerce pendant que leur équipage se restaurait, dormait, où déclarait le fret à vendre. En étant excentré et devenu inutile, il avait tout simplement été fermé avant que le lieutenant Ridding ne lui trouve une nouvelle utilité. Lyanna regarda autour d’elle, cette mauvaise odeur était très désagréable et très prenante, même si elle avait connu bien pire que ça. Elle ne s’attarda pas à la contemplation, et continua de suivre la jeune femme pour ne pas la perdre de vue.
Helen prit la tête. Elle s’enfonça dans le grand hall où l’on avait rangé plusieurs malles. Un endroit plutôt bien surveillé et propre servait de centre de commandement. Un opérateur de drone, par exemple, procédait à la surveillance d’une zone de combat. Des Atlantes investissaient un bâtiment à plusieurs étages tandis qu’on leur tirait dessus depuis le toit.
« Ils n’étaient que quelques uns au début. Dix ans plus tard, ils pullulent dans tous les coins. Ils ont infiltré les différentes couches du pouvoir, ont corrompu les défenseurs de loi, et ils se sont tout simplement emparés de la ville. »
"Pourquoi les habitants de ce monde ne les ont pas arrêté avant qu’il ne soit trop tard ? Ils n’ont pas remarqué qu’ils étaient mauvais ?"
« Parce qu’ils ont acheté les puissants, terrorisé les plus faibles. Tout le monde ne vient pas forcément d’une planète de guerriers. »
La guerrière acquiesça en silence, réfléchissant aux explications que le médecin venait de lui donner. Il était vrai que, si les habitants n’avaient pas l’habitude de se méfier, de voir ce qui était de la fourberie, ou même de se battre, c’était difficile de se sortir de cette situation. Helen contourna une mini-armurerie. Des malles, des fusils posés les uns contre les autres. Certains rechargeaient des chargeurs vides, assis devant une très vieille table. Plusieurs soldats étaient en train de s’équiper de grenades de désencerclement et d’autres de munitions bien plus létales. Quelques uns fixèrent brièvement Lyanna mais ne firent rien de plus. Soit l’ordre de Ridding était passé, soit ils avaient bien plus urgent à faire.
Lyanna pourrait néanmoins se sentir moins “visible”. Plus discrète depuis qu’elle portait l’uniforme d’exploration. Ce fut une bonne chose pour elle. La guerrière ne leur accorda qu’un rapide regard noir, mais rapidement, elle détourna les yeux pour continuer sa route. Au moins, les mâles la laissaient tranquille.
« Petit à petit, ils ont affamé la population. Racket, violences, rançons, contrebande. Ils se sont lancés dans toutes les saloperies qui existent, jusqu’à trouver la plus lucrative. »
Là, elle pointa d’un coup de menton la prochaine série de tables poussiéreuse. Il s’y trouvait de grands paquets enroulés dans de la toile de jute, scellé par de la corde. Un scientifique, le seul à être vêtu d’une blouse blanche et protégé d’un masque, effectuait des analyses sur une poudre bleu, brillante comme les étoiles. Lyanna s’arrêta quelques instants, et fixa les fameux paquet. Comment cette poudre bleue pouvait-elle être dangereuse ? Cela l’intriguait beaucoup, et Helen dut se rendre compte que la Kiranienne ignorait ce que c’était.
« L’éphémérade. Un stupéfiant qui déclenche une dépendance immédiate. Celui qui en consomme se prend tout simplement pour un Dieu. C’est extrêmement néfaste pour le corps humain. Et bien entendu, nos ennemis s’en foutent royalement. »
Lyanna secoua la tête, sans comprendre. Elle reporta son attention sur Helen.
"Mais, si c’est si néfaste pour le corps humain, pourquoi ces gens en consomment ? Il leur suffit d’arrêter non ? Pourquoi est ce qu’ils ne le font pas ?" demanda-t-elle en toute innocence, ignorant à quel point les drogues étaient si addictives.
« Ce n’est pas si simple. L’organisme lui-même se met à en demander. Des mécanismes se déclenchent, qui rendent le sujet malade tant qu’il n’en a pas repris. »
Helen marqua une pause avant de la fixer, cherchant une comparaison.
« Imaginez quelque chose dont avez du mal à vous passer. Et dites-vous que ne plus le faire, même si vous savez que c’est destructeur, vous rendra très malade. Physiquement ET mentalement. Tout vous amène à y replonger ! »
La guerrière essayait de comprendre les paroles du médecin, et lorsque cette dernière lui demanda d’imaginer quelque chose dont elle avait du mal à se passer, Lyanna eut une idée qui lui vint aussitôt en tête. Au sexe avec Darren ? Non, bien sûr que non. Il y avait autre chose qui comptait pour la jeune femme. Bien qu’elle se demandait si c’était aussi néfaste que cette drogue.
"Je … j’adore le chocolat. C’est vraiment très bon, et j’ai du mal à ne pas en manger. Est ce que c’est la même chose ? C’est une drogue ?" lança-t-elle, montrant ainsi son ignorance sur beaucoup de choses venant de la Terre.
« A haute dose, on pourrait le voir comme ça, oui. Sauf que le chocolat n’entame pas sérieusement la santé et n’altère pas votre conscience. Je préférerai largement avoir à traiter des maladies liées au sucre plutôt que cette saloperie. »
Lyanna fut soulagée d’apprendre qu’abuser du chocolat ne serait pas aussi dangereux que cette drogue. Tant qu’elle faisait du sport, elle pourrait continuer à en manger comme elle voulait. Les deux femmes reprirent leur chemin, jusqu’à ce que Helen ouvre l’une des grandes portes à la fin du hall pour lui dévoiler un escalier en colimaçon. Il descendait dans les sous-sol. Plusieurs lampes avaient été collées à la paroi et reliées à un réseau électrique de fortune.
« Pourquoi tout ça ? » anticipa-t-elle. « Ces petits bâtards usaient de toutes les techniques pour essayer de nous échapper, atteindre des mondes surveillés par nos gars. Ils ont massacré des centaines d’innocents. Des milliers même. Un exemple ? »
Elle entra dans le sous-sol. Le centre administratif de campagne s’y trouvait avec les différents policiers militaires. Plusieurs tables et chaises de camp avaient été alignées. On y interrogeait des civils, des captifs et des témoins. C’était l’endroit le plus souple, la sécurité y était légère, gardée par quelques soldats armés de neutraliseurs. Un espace un peu plus reculé servait de lieu de repos pour les soldats. Lyanna y découvrirait rapidement le dispositif de communication depuis lequel elle avait discuté avec Jim. Helen passa dans un couloir et s’enfonça un peu plus. Sans s’arrêter, ni même prêter attention, ils longèrent une série de dix truands captifs. Gardés par les militaires, ils avaient les mains sur la tête et le front posé contre le mur comme s’ils étaient “au coin”. Visiblement, ils étaient en attente d’interrogatoire.
La preuve en était de cette porte de salle qui s’ouvrit. On y sortait un criminel par la force, deux hommes le tenant solidement, et qu’on menait vers une cellule beaucoup plus sombre. Magda Rahim en émergea, découvrant la présence de Lyanna d’un regard sombre. Elle la toisa longuement, lui montrant bien qu’elle n’avait pas du tout aimé être dépossédée d’Abelle. Lyanna lui répondit également d’un simple regard noir, elle n’avait pas oublié les séances d’interrogatoire qu’elle avait subi avec ce monstre. La tension était palpable dans l’air. Puis, Magda désigna un des hommes dans la file qu’un garde lui amena sans ménagement. Lyanna se désintéressa d’elle lorsque la folle disparut de son champ de vision, et reporta son attention sur Helen. Une part d’elle fut soulagée de ne pas avoir vu Abelle à la place de ces prisonniers, mais elle avait hâte de la voir et de prendre de ses nouvelles.
« Y’a une semaine, ils ont voulu faire passer un de ces gros paquets que vous avez vu là-haut dans un de nos mondes protégés. Ils l’ont foutu dans le cul d’une vache, laquelle a digéré le paquet. La drogue s’est déversée, elle est tombée raide morte. »
"Dans une vache ? Sérieux ?" lança Lyanna, outrée. Elle eut d’ailleurs une grimace dégoûtée. "Quelle horreur !"
Helen avait atteint un endroit plus lumineux du camp. Plusieurs câbles y serpentaient. En ouvrant la porte, elle exposait l’infirmerie de fortune dans laquelle plusieurs soldats étaient soignés pour des blessures légères. Quelques témoins et civils blessés bénéficiaient également de même attentions.
« Et un petit rigolo s’est emparé du cadavre pour le vendre. »
Helen amena l’Amazone jusque dans son bureau. Il était à l’écart, très spartiate, avec un ordinateur portable branché sur batterie et une petite pile de papier qui attendait son retour. On y trouvait notamment des radios et des résultats d’examens. Sur le mur derrière elle, on y avait collé à l’arrache une plaque lumineuse pour contrôler les radios.
La jeune femme proposa aimablement un siège en face du bureau tandis qu’elle finissait son récit, fouinant dans les différents dossiers. Lyanna s’assit, en regardant autour d’elle pour détailler les lieux, avant de reporter son attention sur le médecin lorsque celle ci reprit la parole.
« La drogue s’est intégrée aux chairs. Donc le boucher n’y a vu que du feu. Il a vendu les quartiers de viande qui sont allés en direction d’un orphelinat qu’on protégeait. Une centaine d’enfants innocents ont trouvé la mort, la gueule dans l’assiette, en trois minutes chrono. »
"Je croyais que les gens qui consomment cette drogue se prenaient pour des dieux. Ils ne sont donc pas morts, non ? Alors, comment ça se fait que ce truc … l’éphé-je-ne-plus-quoi a tué des enfants en quelques minutes ?"
« Déjà parce qu'on ne prend pas l’Ephémérade en mangeant. C’est une poudre qui se mets sous la langue ou qui s’inspire. Et les enfants ne sont pas aussi résistants qu’un adulte. La dose très concentrée de drogue dans ces viandes les ont tué rapidement. »
Les déclarations du médecin faisaient froids dans le dos. Ceux qui menaient la barque sur cette planète avait vraiment trouvé une saloperie dangereuse au détriment des gens, pour leur propre enrichissement. C’était des monstres. Dans quoi Abelle s’était elle fourrée ? Helen s’installa alors, tapotant un dossier qu’elle avait en main. L’inscription “Inconnue 31” s’y lisait facilement.
« Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il nous a fallu un moment pour trouver la base de cette bande de rats. Maintenant c’est l’heure de régler les comptes. Vous comprenez ? »
Lyanna regarda la pile de dossiers posée sur le bureau d’Helen. Si elle comprenait ? Oh que oui. Visiblement, des individus sans scrupules fournissaient une saloperie à des gens innocents, sans se soucier des morts qu’ils provoquaient. Une seule chose à faire selon son point de vue : les exterminer. Bon, elle se doutait que les Atlantes voudraient les capturer vivants pour les emprisonner. Ils avaient tort, comme d’habitude. Ce genre de personnes, il n’y avait que la mort dans la souffrance qu’ils méritaient. Cependant, la guerrière savait que personne n’adopterait son point de vue. Inutile d’aller voir Ridding pour lui accorder le droit de faire le ménage, il refuserait d’office, connaissant ses “méthodes”. Cependant, Ridding n’était pas là, elle pouvait donc parler librement non ?
"Je comprends. Si ça ne tenait qu’à moi, je les exécuterais après les avoir torturé. Ils ne méritent que la mort, non ? Après tout ce qu’ils ont fait, ça ne serait que justice".
« Je suis d’un autre avis. » répondit-elle mystérieusement.
"Ca, je m’en doutais. Les Atlantes ont toujours un autre point de vue sur la justice !" dit elle sur un ton las, démontrant que ce n’était pas la première fois qu’elle n’avait pas les mêmes opinions que les Terriens. En plus, Helen était médecin. Eux, c’était les pires en ce qui concernait de protéger toute vie.
Si elle avait su qui elle avait en face d’elle, Lyanna aurait sans doute gardé ses envies de tortures et de meurtres pour elle. Son regard glissa sur le gilet tactique que le médecin portait, le même qu’elle avait. Sauf que sur le sien, il y avait quelque chose d’écrit. Ridding. Ce qui fit froncer les sourcils, alors qu’elle levait les yeux pour regarder Helen, très surprise de voir ce nom là.
"Ridding ? Heu … tu as le même nom que le mâle. Comment ça se fait ?"
Le médecin avait le sourire qui s’agrandissait à mesure qu’elle découvrait le pot aux roses. Helen connaissait très bien l’animosité entre son homme et l’Amazone. Maintenant, elle était impatiente de connaître sa réaction.
« Ce “mâle”, comme vous dites, est mon mari. » déclara-t-elle en la fixant. Elle précisa, un peu à la volée, pour faire de l’humour : « Enfin...j’aurai tendance à dire que je ne suis que sa deuxième femme. Etant donné qu’il est davantage lié à son travail qu’à moi. »
Autant dire que Lyanna fut choquée par cet aveu. Elle dévisagea longuement Helen, comme si elle attendait désespérément que celle ci lui dise qu’elle plaisantait. Mais non, le regard du médecin était toujours sérieux, même si elle tenta d’être drôle sur la fin en prétextant que le Lieutenant était surtout marié à sa carrière de militaire.
"Heu … quoi ? Sérieux ?"
Lyanna n’arrivait toujours pas à le croire. Darren et d’autres Atlantes lui avaient expliqué ce qu’était le concept de mariage sur Terre, et la prise du nom de famille de l’homme par sa femme, d’une manière générale. Mais jusqu’ici, la guerrière n’avait jamais rencontré ce genre de “couple”. Alors, savoir que Ridding était marié à une femme, et en plus, à celle qui était assise face à elle, était déstabilisant pour elle.
"C’est … c’est ton époux ? Lui … et toi ? Et tu portes son nom ? Mais … pourquoi ?"
La guerrière enchaîna les questions avant même d’avoir des réponses, montrant ainsi à quel point elle était perturbée par cette bien étrange nouvelle.
« L’amour n’a pas de raison, c’est comme ça. On s’est plu, on s’est marié. » expliqua le médecin.
Les questions soudaines de Lyanna lui avait déclenché une réaction instinctive. Elle se mit à jouer avec l’alliance qu’elle avait à l’annulaire. Toujours assise devant l’Amazone, Helen fronça un peu les sourcils puis ajouta en souriant :
« Avoir le même nom que mon mari ne veut pas dire que vous aurez les mêmes problèmes avec moi. Si c’est ce qui vous perturbe... »
Helen avait beau essayé de la tranquilliser en disant qu’elle n’aurait pas les mêmes problèmes qu’avec le militaire, cela ne calma pas les craintes de Lyanna qui voyait en le médecin une sorte d’espionne pour Ridding. Pourquoi avait-il fallu que son interlocutrice sur cette planète soit l’épouse du soldat ? Vraiment étrange comme hasard. La guerrière se doutait qu’à partir de maintenant, elle devrait faire attention à ses paroles. Notamment, si elle en venait à parler du mâle. Le regard de Lyanna descendit jusqu’à un objet avec lequel Helen jouait distraitement. Un anneau à son doigt. Elle ignorait que cette bague était en réalité une alliance.
"C’est rare de voir des Atlantes porter des bagues. En général, ils n’ont pas le droit d’avoir ce genre de bijoux".
« Je la garde avec moi quand je ne suis pas impliquée sur le terrain. » reconnut Helen. « Vous ne savez pas ce qu’est une alliance ? »
Lyanna secoua la tête en signe de négation. Ridding dévisagea la jeune femme et compris que ce concept lui échappait totalement. Bien qu’elles avaient toutes les deux pas mal de travail sur la planche, cette discussion offrait une distraction salutaire. Et si l’échange permettait également de détendre l’Amazone maintenant qu’elle connaissait son lien avec le lieutenant, alors pourquoi pas ?
« C’est un symbole d’appartenance. Je suis à lui, il est à moi. Ceux qui voient mon alliance et qui voient la sienne savent que nous ne sommes pas disponibles. La religion peut s’en mêler aussi. Mais dans le fond, c’est histoire de concrétiser un lien d’amour... »
Elle sourit un peu, prenant l’intonation d’un homme de foi.
« Jusqu’à ce que la mort nous sépare... »
Elle regarda son anneau.
« C’est généralement à l’homme de faire la demande. Moi je n’ai pas eu la patience, je l’ai fais moi-même au retour d’une mission. Mon mari a accepté sur le champs. »
Lyanna écouta le récit d’Helen, elle était intriguée de savoir que c’était le médecin qui avait “fait sa demande” au soldat. Cette histoire d’alliance lui fit se poser des questions concernant sa propre relation avec Darren.
"Et .. ça veut dire que … quand on tient à un mâle, on doit lui donner ça ?"
« Tenir à un mâle... » répéta Helen en se demandant comment elle pouvait décrire ça comme ça. C’était, de son point de vue, sacrément péjoratif. « Pour faire simple. Quand on est prêt à passer sa vie avec son conjoint, et qu’on voudrait se marier avec lui, c’est à ce moment qu’on fait sa demande. La femme reçoit une bague à ce moment-là, c’est ce qu’on appelle les fiançailles... »
Elle marqua une pause.
« Le couple prépare les festivités pendant un certain temps. Généralement, c’est un an, le temps de voir si ça marche toujours. Et puis...c’est le mariage. Ce jour là, on reçoit chacun notre alliance. En or pour le mari, en argent pour sa femme. »
Helen se laissa gagner par un air entendu, elle lui souriait, certaine de taper dans le mille. Ca faisait un moment que l’Amazone la tutoyait en se moquant du code. Alors elle se donna la même liberté pour lui demander, avec un regard chargé de malice.
« Tu t’intéresses à ton militaire ? »
Forcément, la question d’Helen perturba encore plus Lyanna qui la fixa du regard. Elle ouvrit la bouche, mais aucun son ne sortit pendant quelques secondes. Le médecin l’avait vraiment mis mal à l’aise. La guerrière secoua la tête.
"Hein … non … non … enfin si … mais … non … pas comme ça … je veux dire ..."
Lyanna se perdit dans ses explications, et pour couronner le tout, elle se mit même à rougir en pensant à Darren. Après s’être mordillée la lèvre, la guerrière tenta de se reprendre.
"Je … je n’ai pas posé ces questions à cause de lui … j’étais juste … curieuse … c’est tout !"
« Tant mieux. Parce qu’un homme, c’est dur à marier. » rétorqua Helen sans quitter ce sourire malicieux.
eden memories
Tout à un prix
Darren & Lyanna
Bien sûr que oui, Lyanna tenait énormément à Darren. Elle était bien avec lui. Mais cela voulait-il dire qu’elle l’épouserait un jour, comme les Atlantes ? Pour l’instant, la jeune femme préférait ne pas y penser, ça allait trop vite. Lyanna Clive … non, trop rapide pour elle. Pourtant, une part d’elle voulait rester auprès de Darren, et c’était la définition que venait de décrire Helen. Déstabilisée par cette allusion, Lyanna finit par secouer la tête, cherchant un autre sujet de conversation en se raclant la gorge, les joues encore rosies par cette gêne qu’elle avait ressenti.
"Et … Abelle ? Où est elle ?"
« Abelle. » répéta le médecin en s’emparant d’un marqueur.
Elle raya aussitôt la mention “inconnu 31” sur le dossier pour y apposer la bonne identité de la prisonnière. Helen fit une petite moue, du genre qu’elle ne saurait pas quoi en dire, puis lui avoua sur un ton personnel.
« Un sacré numéro ta copine. »
Le médecin ouvrit le dossier, allant sur une page manuscrite qui relatait les différents points de sa santé.
« Elle est sous nos pieds, enfermée à double tour dans la cellule la plus résistante, solidement gardée par les copains. Quand on l’a gaulé, elle transportait soixante-treize kilos de poudre. Alors qu’elle, elle n’en fait...que soixante-deux. »
Helen échangea un regard en coin.
« Les Rippeurs ont indiqué dans leur rapport qu’il leur a fallu trois tirs de neutralisant pour l’arrêter. J’ai donc fait une analyse toxicologique et... »
Elle fît glisser la feuille sous le nez de Lyanna. Il s’agissait d’un graphique avec divers composés dans son sang. La jauge comportant la mention “Ephem.” dépassait très largement les autres niveaux. C’en était même inquiétant puisque le résultat dépassait quasiment la feuille, mordant sur le titre et la mise en page.
« Elle est tellement droguée que je ne sais pas si le sevrage est encore possible. Je suis contrainte de lui fournir des doses régulières pour maintenir son organisme en bonne santé. Une privation trop brusque pourrait la tuer. »
Lyanna n’en revenait pas de ce qu’elle apprenait sur Abelle. Un regard au graphique démontrait clairement qu’Abelle avait une énorme quantité de drogue dans son organisme. Helen craignait qu’elle n’arrive pas à la sevrer, et la guerrière secoua la tête, n’aimant pas être impuissante face à cette situation.
"Elle portait 73 kilos de drogue ? Comment c’est possible ? Je ne l’ai jamais vu porter quelque chose de lourd !"
« C’est l’un des effets de l’Ephémérade. La désinhibition. »
Helen se redressa sur sa chaise pour lui expliquer.
« Vous portez un poids trop lourd pour vous, que se passe-t-il ? Vos muscles se tendent, ils tremblent, vous risquez et pouvez vous faire mal. Tout contribue à un échec automatique. Mais avec cette drogue, il n’y a que le sentiment de pleine puissance. »
Elle donna un coup de menton vers le graphique.
« C’est en ça que ce poison est destructeur. Ce n’est qu’une impression, une illusion. Sans ces protections du corps humain, on s'abîme, on se tue. J’ai traité des lésions sur son dos et ses épaules, des blessures qu’elle n’a pas senti et dont elle n’a pas conscience. »
Lyanna était perdue dans tout ce qu’elle apprenait sur Abelle, et elle était très affectée de savoir que la jeune femme ne s’en sortirait peut être pas.
"C’est impossible, ça ne peut pas être vrai. Abelle n’a pas pu faire ça volontairement. Elle n’a pas pu se droguer au point de se tuer, ni emmener d’elle même autant de cette chose sur sa planète. Quelque chose cloche. Je me refuse à croire qu’elle a fait tout ça d’elle même, ça ne lui ressemble pas du tout".
La guerrière était persuadée de l’innocence d’Abelle, ou du moins que quelqu’un d’autre était derrière tout ça. Mais elle était visiblement la seule. Toutes les preuves étaient contre la jeune femme.
"Je dois la voir. Je dois lui parler".
« Reprends-toi, Lyanna. » imposa Helen d’une voix professionnelle. « Parce qu’on ne fait que survoler le problème. J’ai encore un tas d’autres mauvaises nouvelles à t’apprendre. Il vaudrait mieux que tu sois moins...émotive. »
Lyanna leva les yeux au plafond, avant de les fermer en soupirant. Des mauvaises nouvelles, toujours plus de mauvaises nouvelles. La jeune femme avait un mauvais pressentiment. Il fallut plusieurs minutes pour que la guerrière parvienne à se calmer, puis elle hocha la tête en direction d’Helen.
« Bon. » fit-elle en sortant quelques clichés radiographique. Elle se redressa tout en préparant l’appareil de lecture contre le mur.
« Si le lieutenant t’a fait venir, ce n’est pas seulement parce que tu as demandé à la voir. Je pense que cette fille est davantage victime que coupable dans cette affaire. J’ai présenté ces preuves. »
Elle claqua les radios contre l’affichage lumineux pour les coincer, faisant apparaître la charpente osseuse d’Abelle. On reconnaissait son crâne, de profil, ainsi que ses cervicales. Une radio de son torse puis de ses genoux.
« La patiente présente des lésions sur ses cervicales. Je lui ai trouvé un début d’hernie discale sur deux de ses vertèbres. Tu vois, ces bêches ? »
L’environnement était très étrange.
Lyanna s’était transformée en mère poule terrifiée d’apprendre à quel point Abelle avait abîmé son corps pendant qu’Helen lui annonçait les mauvaises nouvelles avec un professionnalisme habituel, presque froid.
« Je trouve les mêmes sur ses côtes et ses jambes. C’est inhabituel. Ce qui a conforté mes hypothèses, ce sont ses mains. »
Ridding accrocha une dernière radio. On y voyait les os de la main droite de la servante. Avec son petit doigt, Helen dessina un trait parfaitement droit soulignant les mêmes brèches sur chacune de ses phalanges. Trop droite pour tenir d’un accident.
« C’est symptomatique d’un coup de porte infligé délibérément. Cette fille a été torturé. Les douleurs consécutives à ces différentes blessures rendraient fous n’importe qui. »
Le médecin haussa des épaules.
« Ce n’est qu’une hypothèse. Mais je pense que la drogue devait être un moyen de soulager sa douleur. En revanche, ces soixante-treize kilos valent une fortune. C’était forcément en dehors de ses moyens. »
Autant dire que ces découvertes transformèrent Lyanna en une véritable bombe à retardement. Apprendre non seulement qu’Abelle avait été torturé était déjà quelque chose d’horrible et de difficilement supportable. Mais qu’en plus, elle avait eu raison sur le rôle qu’avait joué la jeune femme dans cette histoire de trafic, qu’elle était manipulée par quelqu’un qui l’envoyait faire cette sale besogne pour elle ne savait encore quelle raison, s’en était trop pour la guerrière. Cette dernière sentit une énorme bouffée de rage l’envahir, et elle dut se lever et se détourner des radios pour ne plus voir les sévices qu’avait subi Abelle. Elle fit les cents pas dans la salle, les poings serrés, prête à frapper n’importe qui.
"Je dois savoir qui lui a fait ça ! Il faut qu’elle me le dise !" murmura-t-elle sans ajouter qu’elle tuerait cet inconnu sitôt qu’elle le trouverais, gardant cette information pour elle, même si Helen devait s’en douter.
« Lyanna... » l’appela le médecin pour attirer son attention. Elle était restée à côté des radios. « Ne soit pas naïve. Cette jeune fille à son jugement altéré, elle sera en manque. Et c’est sans compter les traumatismes psychologique que ces mésaventures lui ont causé. Tu vas faire face à une inconnue, il faut que tu le saches. »
Lyanna déglutit avec difficultés. Elle ne voulait pas croire qu’Abelle ne puisse pas la reconnaître, ou soit complètement incohérente. Pourtant, vu son état et ce qu’elle avait subi, il y avait de fortes chances que ça soit le cas. Mais ça lui était égale. Elle devait être là pour elle. La guerrière secoua la tête.
"Je veux la voir !" répéta-t-elle avec sérieux, en fixant Helen.
Le médecin était d’accord.
Elle éteignit le lecteur de radio puis quitta le bureau pour lui montrer le chemin. Elles revinrent vers l’escalier en colimaçon plongeant. Il y en avait un autre qui lui faisait face et descendait un niveau encore en-dessous. Heureusement, l’éclairage y était également installé, sinon il y ferait noir comme dans un four. Pendant le trajet, Lyanna rencontra quelques ingénieurs qui installaient des détecteurs de mouvements et des portes de sécurités. Helen retira son badge pour le passer dans le lecteur et invita Lyanna a passer devant.
« Le quartier de détention de haute sécurité. Nous y avons les prisonniers les plus importants. »
Le même corridor qu’elle avait longé pour aller à l’infirmerie s’étalait sous ses yeux. Mais cette fois-ci, les côtés étaient garnis de cellules. D’anciens dortoirs que les ingénieurs avaient renforcé par des portes grillagées ne s’ouvrant que par pass. Dès que Lyanna et Helen passèrent devant, les captifs, des hommes en grande majorité, se mirent à les siffler. Si Lyanna regardait l’un d’eux, elle pourrait les voir, mains autour des barreaux, les lorgner avec envie. Faire des gestes de langue, des claquements de bouche, voir même montrer leur sexe dans des accoups pervers.
Beaucoup les invitaient à entrer, ou scandaient qu’elles n’avaient pas le courage de faire face à de “vrais” hommes.
« Un bel exemple de l’humain, tu ne trouves pas ? » constata Helen en les ignorant.
"J’ai l’habitude de ce genre de mâles. D’ordinaire, je les frappe là où c’est douloureux. Ca les calme pour un temps. Sinon, le mieux c’est de les castrer" lança Lyanna sur un ton sérieux, essayant de ne pas les regarder pour ne pas se laisser submerger par la haine.
Enfin, elles parvinrent au fond du corridor. La porte qui aurait donné sur l’infirmerie un niveau plus haut donnait cette fois sur la salle d’interrogatoire. La table et la chaise étaient vides, personne ne s’y trouvait. Pourtant, puisque cette porte était grillagée, Lyanna trouva la silhouette d’Abelle un peu plus loin, lui tournant le dos. Elle avait ouvert largement le pan de sa tunique pour remuer sa poitrine sous le nez d’un garde qui brillait par sa passivité.
« ...et tu pourras me prendre sur cette table comme tu auras envie, je serai une très gentille fille ! »
Helen avait constaté la même scène que Lyanna. Cette dernière fut d’ailleurs stupéfaite de voir la si douce et gentille Abelle réagir comme … une putain. La guerrière tourna la tête vers le médecin pour essayer de comprendre ce changement de comportement.
« Elle réclame encore sa dose. La dernière fois, elle s’était mise à genoux devant mon mari pour essayer de le gâter. Son organisme la pousse à bout. » lui expliqua-t-elle lentement. « Elle tentera tout ce qui est possible pour obtenir de la drogue. Dans cet état-là, elle manque totalement de raison et de lucidité. »
« Quoi ? Tu n’aimes pas ce que tu vois ? » insistait Abelle en débutant une sorte de danse qui se voulait sensuelle.
Helen Ridding ouvrit l’une des poches de son gilet et en retira un tube de prélèvement.
La poussière bleu brillante à l’intérieur ne laissait pas de doute quant à sa nature. Le médecin confia la dose à Lyanna tout en lui disant qu’Abelle n’aurait pas la prochaine avant quatre heures. La guerrière regardait le tube qui contenait la drogue, et elle serra la mâchoire. Cela ne lui plaisait pas du tout de donner ça à Abelle, mais Helen avait raison. La jeune femme ne pouvait pas être sevrée d’un seul coup, et elle avait besoin de cette saloperie à plus petite dose pour ça. Lyanna rangea le tube dans une poche de son gilet, avant de regarder le médecin.
« Utilise ton pass pour entrer. Les soldats à l’intérieur sont de garde, ils ne partiront pas. Oublie l’idée de les renvoyer. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésites pas à m’appeler à la radio. On fait équipe sur ce coup. »
Tandis qu’Helen faisait demi tour et partait, Lyanna la regarda faire, avant de reporter son attention sur Abelle à l’intérieur de la salle d’interrogatoire. Elle voulut entrer, mais un détail la chiffonna. Elle était armée, et vu que la jeune femme n’était pas entravée, malgré la présence des quatre gardes, ça ne serait sans doute pas une bonne idée. A contre coeur, elle retira ses épées et son couteau, et les confia à une femme militaire qui gardait la porte. Puis, elle respira profondément, sortit son badge et le passa devant l’appareil qui émit un bip. Elle ouvrit la porte et rentra dans la pièce, tandis que la militaire verrouillait derrière elle. Lyanna resta longuement à regarder Abelle qui avait du remarquer sa présence. Cette dernière était méconnaissable, elle n’avait plus rien à voir avec la jeune femme qu’elle connaissait. Comme Helen le lui avait dit.
"Bonjour Abelle".
Quand elle se retourna complètement, elle avait encore sa tunique entrouverte, se fichant de sa demi-nudité qu’elle offrait au regard de tous. La jeune femme avait les cheveux rabattu en avant comme une sauvageonne, la peau ruisselante de sueur. Ses mains tremblantes montèrent au niveau de ses yeux et elle écarta ses mèches pour mieux y voir. Alors qu’elle toisait Lyanna sans vraiment la reconnaître, elle révélait les énormes cernes noires qui entouraient ses yeux. Sur une face de son visage, de la joue jusqu’au creux du nez, elle s’était gratté frénétiquement. A tel point qu’elle était couverte de croûte de sang coagulé, certains récentes, d’autres pratiquement arrachées.
« Ah !!!! Merci Seigneur ! Enfin quelqu’un venu me sortir de là ! » s’écria-t-elle d’un air enthousiaste surjoué. Elle était mauvaise menteuse, son hypocrisie se devinait très facilement.
Abelle ajusta sa tunique sans la fermer, comme si elle avait la flemme de faire l’effort de la refermer sur chaque boutons. Elle vint à grandes enjambées, passa à côté de Lyanna sans un regard pour elle, puis claqua de ses deux mains contre la grille.
« BON ! LAISSEZ MOI SORTIR ! Elle me connait, elle est venue me libérer ! »
Personne ne lui répondit.
Abelle ne semblait avoir aucune patience. Elle abattit ses mains encore plus fort contre la porte, faisant résonner le métal, alors qu’elle jurait. Comprenant qu’elle ne serait pas sortie tout de suite, elle fit demi-tour pour observer un instant l’Amazone. Elle se passa la manche sur le visage. Mais il était tellement gorgé de sueur qu’elle ne fit qu’étaler le ruisseau sur son front plutôt que de le retirer.
« Tu sais où est mon sac ? »
Lyanna n’avait pas essayé d’empêcher Abelle de frapper la porte, et elle s’était écartée d’elle pour se placer à côté de la table, les mains croisées sur sa poitrine. La guerrière observait la jeune femme qu’elle ne reconnaissait plus, et inversement apparemment. Comme l’avait dit Helen. Lyanna souffrait de voir Abelle dans cet état, mais elle ne laissa rien paraître sur son visage. Lorsque la “junkie” se retourna pour la regarder, en parlant de sac, encore à moitié dénudée, la guerrière garda son visage impassible. Elle aurait voulu prendre Abelle dans ses bras, mais elle savait que c’était impossible. Elle secoua la tête à sa question.
"Aucune idée, je ne vois pas de quel sac tu parles".
Lyanna s’assit à moitié sur le bord de la table, les bras toujours croisés.
"Tu te souviens de moi, Abelle ? Tu sais qui je suis ?"
« Pourquoi je t’aurai oublié, Lyanna ? On a travaillé ensemble sur ma planète. J’étais à ton service ! »
Elle se mit à faire les cents pas, s’entourant de ses bras comme si elle frissonnait. Tous les signes de manque la harcelait.
« Ils m’ont enfermé ! J’avais le droit de passer, pourtant ! Je suis la servante de la reine, tout de même ! De quel droit ils se permettent, ces voleurs ! »
Lyanna fut soulagée de voir qu’Abelle ne l’avait pas complètement oublié. Au moins, ses souvenirs étaient encore là. La guerrière regarda autour d’elle, observant les mâles qui se trouvaient dans la salle. Elle aurait préféré qu’ils ne soient pas là, mais c’était peine perdue de les faire sortir. Helen l’avait prévenu. En soupirant, la guerrière reporta son attention sur la jeune femme qui frissonnait en marchant. Il lui fallait sa dose de drogue.
"S’ils t’ont enfermé, c’est parce que tu portais un sac très lourd. Avec quelque chose de dangereux à l’intérieur. C’est pour ça que tu n’as pas pu rentrer chez toi".
Lyanna se redressa et se tourna vers la table, gardant toujours en visu Abelle.
"Tu sais très bien que cette chose est mauvaise pour toi. Pourquoi vouloir en rapporter sur ta planète ?"
« Ce ne sont pas tes affaires, je n’ai pas à te répondre. » lâcha-t-elle, soudainement très agressive. Elle lança un regard noir de haine à son encontre.
« Maintenant libère-moi ou dégage ! »
Voir Abelle si agressive était vraiment surprenant. Elle avait du vivre un véritable calvaire depuis la dernière fois que Lyanna l’avait vu. Sans oublier le fait qu’elle se droguait et qui n’arrangeait pas les choses. Abelle lui rappelait ses jeunes Soeurs lors de leur apprentissage, mauvaise dans le caractère par pur défense. L’attitude de la jeune femme ne perturba pas la guerrière qui restait impassible. Elle continua de fixer Abelle.
"Tu sais très bien que je ne partirais pas tant que je n’aurais pas de réponses à mes questions. Et je n’ai pas le pouvoir de te libérer".
Lyanna sortit le tube de sa poche, et le montra à Abelle.
"Tu veux ça ? J’ai besoin de réponses ..."
Dès l’instant où la jeune femme avait aperçu la couleur bleuté de la poudre dans le tube, un brusque changement s’était opéré en elle. Son corps s’était recouvert d’une chair de poule, l’ensemble de sa pilosité, jusqu’aux cheveux et sourcils, tiraillés par ce besoin viscéral de consommer le produit. Elle ne regardait plus Lyanna, elle ne regardait plus que ça maintenant. Abelle s’humecta ses lèvres gercées et s’agita un peu moins.
« Que...qu’est-ce que tu veux...savoir ? » baragouina-t-elle en se dandinant d’un pied sur l’autre.
Elle cligna des yeux. Totalement docile.
« Je...ferai tout. Je...j’ai besoin de ça, donne-le moi ! Ce sont mes….mes...médicaments. Il me le faut ! »
"Qui t’a procuré cette drogue ?" demanda Lyanna en gardant le tube dans sa main.
« Mon fournisseur ? Bogda. Il...il livre les grandes quantités. »
Elle décida que cette réponse suffisait. Elle tendit la main pour prendre le tube.
"Et ce Bogda, où se trouve-t-il ? Est ce qu’il a des associés ?"
« Trois hommes de main le protège. Il est dans un endroit...enterré. Mais je ne sais pas plus. A chaque fois...on me met un bandeau sur les yeux. »
Elle tenta une nouvelle fois de prendre le tube.
« DONNE MOI ÇA ! »
"Arrête de crier, sinon je le range !"
« Tu... ! »
Son regard s’écarquilla, comme si elle était prise d’une soudaine clairvoyance.
« Tu...n’as jamais eu l’intention de me le donner ! C’est...c’est ça hein ?!? »
Ses tremblements reprirent de plus belle, comme si elle subissait le contrecoup d’être restée physiquement aussi calme. Elle se prit la tête entre les mains, secouant ses cheveux dans tous les sens.
« Vous voulez me tuer ! Vous voulez me tuer LENTEMENT ! »
Lyanna fit tout son possible pour rester calme, mais si à l’intérieur, elle hurlait. Le tube toujours en main, elle fit mine de le poser sur la table, mais elle le garda en suspension, hésitante. Elle essaya d’attirer l’attention d’Abelle.
"Vu que tu sais qui je suis, tu dois savoir aussi que je ne t’ai jamais voulu de mal, ou te faire souffrir".
Lyanna continua de fixer Abelle, sans lâcher le tube.
"Réponds à seulement deux questions, et je te donne ta dose ! Tu es d’accord ?"
« NON, JE TE HAIS !!!! » hurla soudainement Abelle en éclatant en sanglots.
Les forces semblaient lui manquer soudainement. Ses jambes cédèrent et elle se recroquevilla sur elle-même, pleurant toutes les larmes de son corps en répétant dans un couinement qu’elle haïssait Lyanna. Cette dernière profitait du fait qu’Abelle ne la regardait pas pour ranger le tube dans une poche de son gilet, à l’abri. Puis, elle s’avança vers la jeune femme, et se plaça dans son dos. S’accroupissant, elle la prit dans ses bras pour essayer de la calmer.
"Abelle, écoute moi. Je suis ici pour t’aider ! Mais il faut que tu me fasses confiance, sinon je ne pourrais rien faire !"
Mais contre tout attente, la servante se retourna pour se jeter sur l’Amazone. Son pleur avait mué sur le cri d’une bête sauvage enragée. Un cri qui contrastait horriblement sur ce qu’était réellement Abelle, sa douceur et sa gentillesse. C’était à croire qu’un démon avait investi son corps et ne voulait plus la relâcher. Entraînée par une force qui la stupéfiait, Lyanna se retrouva sur le dos tandis que son amie grattait frénétiquement du bout des ongles les poches de son gilet sans y parvenir. Elle continuait d’hurler, encore et encore, n’ayant que pour seul but cette unique dose. Elle y aurait misé sa vie.
Il ne fallut pas plus d’une dizaine de seconde pour que deux paires de mains ne s’emparent d’elle et la rejettent lourdement contre la table. Deux gardes sur les quatre s’étaient occupés de son cas sans douceur, la contraignant par une prise de soumission pendant qu’un autre lui enfilait des serflexs derrière le dos.
« DÉTESTE ! DETEEEEEEEESTE !!! » hurlait-elle comme une folle.
Lyanna se releva, et regarda Abelle maintenue par deux mâles, tandis qu’un troisième lui liait les poignets. En temps normal, elle serait intervenue pour leur faire lâcher prise et protéger la jeune femme. Mais là, elle avait à faire à une véritable furie, et elle ne savait pas comment la gérer sans la frapper.
Au même moment, le bip sonore de la porte résonna au travers des cris d’Abelle. Helen et un infirmier rejoignirent immédiatement le groupe. Ils observèrent brièvement la patiente. Helen retira une ampoule de sa poche puis y planta une seringue. Elle préparait un calmant à action rapide.
« Tenez-là fermement ! » ordonna-t-elle aux gardes.
Abelle faisait un tel scandale de folie qu’on aurait cru qu’on était sur le point de l’égorger. Bloquée de tout son long contre la table, elle se mettait maintenant à battre des pieds dans tous les sens, cherchant par tous les moyens à leur échapper. Toute l’énergie qu’elle déployait était surprenante.
Helen passa de l’autre côté de la table. Aidé par l’infirmier qui ouvrit une faille, elle accéda à l’épaule de cette dernière et la piqua. Son cirque dura encore une vingtaine de secondes puis elle perdit en force. Progressivement, ses mouvements furent moins violents. Ses hurlements ressemblaient à un vieux film d’horreur dont on baissait le son tant ça gênait.
Puis elle s’éteignit enfin.
Le silence avait quelque chose de salvateur à ce moment là.
« Ok...ok. Mettez là sur la table. » ordonna Ridding en passant le stéthoscope à ses oreilles.
Les militaires et l’infirmier coopéraient. Pendant qu’elle cherchait à poser le capteur sur la poitrine nue de la patiente, elle regarda Lyanna avec un mélange d’appréhension et de compassion.
« Lyanna ? Rien de cassé ? »
"Ca va. Plus surprise qu’autre chose" dit Lyanna, étant restée en retrait pendant l’intervention d’Helen.
La guerrière s’approcha de la table.
« Tu lui as donné sa dose ? »
"Je n’ai pas eu le temps, je lui posais quelques questions, mais elle a piqué sa crise avant d’avoir donné toutes les informations que je cherchais".
« Ce n’est pas une bonne stratégie de mettre un drogué au pied du mur. Bon sang, je ne t’ai pas confié cette dose pour que tu la retiennes ! » râla soudainement la toubib.
Elle pressait sa main contre son front.
« Elle est fiévreuse. Le délire n’a rien arrangé. »
Lyanna leva les yeux au ciel. C’était la première fois qu’elle faisait face à ce genre de situation. Puis, elle reporta son attention sur Helen.
"Elle répondait bien à mes questions, j’attendais encore deux réponses. Si je lui avais donné tout de suite sa dose, je savais parfaitement qu’elle se serait murée dans le silence. Qu’est ce que tu voulais que je fasse ? Que je la laisse mener la danse ?"
« Merde ! J’y crois pas ! Ce n’est pas une compétition !!! Tu mènes l’interrogatoire comme tu veux tant que tu ne mets pas sa vie en danger. Tu as du temps pour ça, quitte à revenir quand elle est en manque. »
Helen jura une nouvelle fois.
« Il fait pas bon d’être ton amie ! »
Les dernières paroles eurent raison de Lyanna. Cette dernière était furieuse. Elle sortit le tube de sa poche, et le posa sur la table. Puis, elle partie vers la porte et quitta la pièce, avant d’aller chercher ses armes auprès de la militaire.
Lyanna n’était véritablement pas au bon endroit pour calmer ses nerfs.
Déjà, les prisonniers se collaient aux barreaux pour la provoquer, lui faire remarquer ses formes appétissantes ou son visage qui ne méritait que d’être “inondé”. Il fallait qu’elle s’écarte, qu’elle trouve un endroit calme. Donc, après avoir repris l’escalier pour revenir au premier sous-sol, celui donnant sur l’infirmerie, elle fût enfin débarrassée des cris et des remarques. La jeune femme ne savait pas qu’elle tomberait pile sur la route du lieutenant Ridding. Lequel se planta devant elle pour la dévisager. Lyanna s’arrêta net pour ne pas lui rentrer dedans. Et quand elle comprit enfin qui elle avait en face d’elle, elle ne pus s’empêcher de lâcher un "oh non, pas lui !" tout à fait perceptible. Ce n’était décidément pas son jour.
Le concerné fit mine de ne pas avoir entendu.
« Vous avez appris quelque chose ? »
"Pas autant que j’aurais voulu, non" lança-t-elle sur un ton énervé par toute cette situation.
Lyanna soupira et secoua la tête.
"J’ai juste pu avoir un nom, celui de son fournisseur. Un certain Bodga. T’es content ?"
Les yeux sombres de colère, Lyanna contournait déjà Ridding pour partir.
« C’est un début. » fit-il en amorce. Mais le comportement de Lyanna ne lui donnait pas envie de l’épargner. « Mais si vous traînez les pieds, je peux vous faire assister par l’agent Rahim. A vous de voir. »
Entendre que Rahim serait de la partie pour interroger Abelle fit stopper la fuite de Lyanna, qui se retourna pour lancer son regard noir sur Ridding. Elle eut un sourire mauvais pour lui.
"Tu crois vraiment qu’elle va la faire parler, alors qu’en cet instant, Abelle est entrain de dormir, sous calmant ?"
Lyanna secoua la tête.
"Elle n’a pas intérêt à s’approcher d’elle. Moi, je vais prendre l’air en attendant qu’Abelle se réveille !"
« Vous êtes prévenue. Si vous n’avez qu’un pauvre nom à me donner la prochaine fois que nous nous croisons, l’agent Rahim reprendra l’affaire. » déclara Ridding plus sévèrement. « De nombreuses vies sont en jeu. »
eden memories
Tout à un prix
Darren & Lyanna
Lyanna ne répondit pas, elle savait qu’elle aurait du mal à se contrôler si elle parlait plus longuement avec Ridding. Elle lui tourna le dos et partit dans le couloir. Son seul objectif en cet instant était de quitter le bâtiment pour prendre l’air. Une fois à l’extérieur, elle respira profondément. Cette visite se passait très mal, et elle ne savait pas comment arranger les choses et aider Abelle. Elle en venait même à penser que sa venue était une mauvaise idée. Lentement, la jeune femme commença à marcher pour essayer de penser à cet échec qu’elle venait de subir, en colère contre tout le monde, et contre elle même.
C’était une journée très éprouvante en émotions. Apprendre qu’Abelle était blessée, droguée. Se rendre compte directement sur place de “l’étrangère” que lui avait dépeinte Helen et n’avoir pas pu tirer suffisamment d’informations avant qu’elle ne cède, sa santé en péril.
Tout cela tiraillait la jeune femme. Elle était seule à devoir gérer tout ça, prise entre deux feux, en essayant d’empêcher Rahim de prendre Abelle en charge.
La place du camp qu’entourait les tours de garde modulaires semblait être le seul terrain de paix. Bien qu’elle ne les voyait pas, Lyanna pouvait entendre distinctement la foule de réfugiés se presser vers la Porte. Bien plus nombreuse à en entendre le brouhaha apocalyptique.
Le jumper posé non loin d’elle se mit à décoller. Visiblement, il n’avait fait qu’un arrêt et repartait vers une nouvelle destination. Le nuage de sable qu’il leva au décollage aveugla un peu l’Amazone. Elle mit un peu de temps à s’essuyer les yeux avant de découvrir la présence de militaires. Ils étaient trois, revenant vers elle.
Deux hommes tenaient un fusil M4 par chaque extrémités. Une jeune femme s’était assise dessus, entourant les épaules de chaque frère d’armes de ses bras tout en serrant les dents sous une intense douleur. Sa jambe gauche baignait dans le sang. Son pantalon était déchiré tout du long, parsemé d’amas de sable coagulé par l’hémoglobine. Sous chaque accoup exercé par les pas des deux compères, des gouttelettes s’échappaient et teintaient le sable de sang frais. Elle leur demandait d’aller doucement et, à chaque fois, ils s’excusaient sincèrement.
La crasse et le noir de charbon les avait rendu méconnaissable. Mais lorsqu’ils passèrent juste à côté de la jeune femme, elle tapota le dos des garçons qui s’immobilisèrent dans leurs mouvements.
« Salut bichette ! » fît April derrière ses dents serrées par la douleur.
Son humour était clairement forcé.
« Quand on m’a dit qu’un chirurgien me rafistolerait la jambe, j’étais loin de me douter que ce serait toi ! »
Lyanna mit un moment avant de réagir, et elle reconnut enfin les personnes présentes devant elle. Automatiquement, elle jeta un oeil en arrière, cherchant du regard le quatrième membre de l’équipe qui manquait à l’appel. Le plus important pour elle. Mais Darren n’était pas là. La guerrière reporta son attention sur les trois militaires.
"April ? Mais, qu’est ce que ..."
Étant maintenant proche, Lyanna put voir à quel point sa jambe était amochée.
"Qu’est ce qui t’es arrivée ?"
« J’ai pris un immeuble sur la gueule. »
Gentiment, Jim et Max conservaient leurs positions, continuant de tenir le M4 faisant office de siège. Ils tournaient vaguement la tête pour savoir ce qui se disait entre filles mais les sourires n’y étaient pas. Les garçons étaient angoissés et ils attendaient simplement le signal de leur amie anémiée pour reprendre la route. Elle était effectivement très affaiblie. Son dynamisme habituel avait disparu au profit d’une lassitude inquiétante.
« T’es encore plus petite que je pensais. » nargua-t-elle d’une voix cotonneuse.
En ce moment, Lyanna n’était pas vraiment réceptive à l’humour d’April. Vu la situation, entre elle qui était salement blessée, Abelle qui était dans de sales draps, et Darren qui était aux abonnés absents, c’était difficile de rire de quelque chose. Jim et Max avaient dit que Darren était avec April. Or, la jeune femme était ici. Mais pas Darren. Il y avait de quoi augmenter davantage l’inquiétude de Lyanna.
"Mais si toi, tu es là … où est Darren ?"
« Il m’a sauvé, ce connard. J’en r’viens pas, je vais devoir lui dire merci. »
Elle la fixa d’un air absent.
« J’vais t’offrir le Kamasutra. Cadeau indirect, ça va le botter... »
"Le quoi ?" demanda Lyanna sans comprendre.
« April, tu saignes beaucoup, on doit pas traîner. »
« Darren va bien. Enfin j’crois. Il a continué de son côté, il est sur les talons d’un mec important. Attends... »
Max se sépara de son oreillette radio et la lui tendit.
« C’est sur sa fréquence. »
« On doit vraiment y aller, accroche toi. »
Alors que Lyanna prenait la radio que lui tendait Max, Jim donna un accoup pour assurer sa prise sur le fusil. Le choc fit crier de douleur April qui gémit une dernière phrase à Lyanna.
« Dis lui...que j’m’en sortirai ! »
Lyanna regarda les trois militaires entrer dans le bâtiment, la laissant seule à l'extérieur. Savoir que Darren allait bien fut un soulagement. Elle s’éloigna de quelques pas pour être dans un endroit tranquille, et s’assit sur un petit muret en pierre à moitié détruit. Puis, elle retira sa propre oreillette et la remplaça par celle de Max.
//Darren ? Tu m’entends ?//
Elle reçut immédiatement un signal retour. Mais personne ne lui parlait.
Juste le souffle régulier de quelqu’un qui fait des efforts. Probablement Darren.
Les bruits de ses pas dans l’eau n’étaient pas réguliers, signe qu’il boitait et qu’il peinait à progresser avec ce qui l’entravait. Par moment, il poussait une plainte. Pas de la douleur, plutôt de la surprise, quand il semblait contrôler soudainement un angle mort avec son arme. Il était seul, isolé, et semblait investi d’un désir ardent qui le poussait à prendre des risques. Il avait appuyé accidentellement sur le bouton émetteur de son bloc radio. L’ayant récupéré après avoir remis April entre les mains de ses collègues, il n’avait pas eu le temps de programmer les sécurités comme il en avait l’habitude.
Soudain, deux éclats manquèrent de crever les tympans de Lyanna. Ce qui arracha une plainte douloureuse chez la jeune femme qui retira aussitôt l’oreillette. Le soldat venait de tirer. A entendre la résonance extrêmement déplaisante dans la radio sous forme d’écho, il se déplaçait dans un tunnel.
Sa marche rapide reprit.
Lyanna se remit de ce début de sifflement causé par les coups de feu, puis elle remit l’oreillette en place, inquiète à l’idée que le militaire ait des ennuis.
//Darren ? Darren c’est moi ! Tu es là ?//
//Ces égouts sont remplis de merde du peuple. Ca dégage de l'ammoniac, ça me tourne la tête.// répondit-il. //Tu es...très crédible pour un fantasme.//
Lyanna eut un sourire en entendant la voix de Darren, et sa remarque l’amusa.
//Je ne suis pas un fantasme, je suis bien là. Je suis dans la base contrôlée par Ridding. Max m’a passé sa radio pour te parler//
La guerrière se mordit la lèvre, avant de reprendre.
//Où est ce que tu es ? Pourquoi tu n’es pas rentré avec les autres ?//
//Clairement une remarque de nana, ça. “Chéri, quand est-ce que tu rentres, y’a ta tourte à la viande qui refroidit sur la table depuis deux heures !!!”.// répliqua-t-il d’une voix amusée. //C’est sûr que je rêve pas ? Tu me parles de Ridding et de Max sans t’énerver...y’a un truc !.//
//Tu crois sérieusement que je te parlerais de tourte à la viande que j’aurais préparé pour toi ? Moi ? Alors que je ne sais pas faire la cuisine ?//
Lyanna s’interrompit quelques secondes, avant de poursuivre.
//Tu n’es pas ici, tu ne peux pas juger si je suis énervée ou pas. Et crois moi, je suis très énervée contre eux. Surtout Ridding. Mais arrête de faire comme si tu n’entendais pas mes questions. Je suis inquiète pour toi ! //
//PUTAIN !!!//
Darren lâcha une nouvelle rafale.
Quelques autres tirs crépitèrent, laissant entendre l’impact qui se faisait non loin de Darren. Le soldat gémit sous les efforts qu’il fit pour se placer à l’écart. Mais avec leurs antécédents, Lyanna savait qu’il n’était pas du genre à se laisser abattre. Elle l’entendit dire à un moment : //T’ention, tes oreilles !!!//
Puis un énorme BAM causa de la friture sur les ondes.
Darren savait qu’il s’était bloqué en mode d’émission constante mais il était trop occupé pour prendre le temps de décrocher sa radio et faire la correction. Lorsque la saturation se réduisit, elle laissa entendre une longue rafale que Darren avait laché. Le cliquetis de son chargeur vide mit fin au vacarme et le silence retomba juste après.
//Tu es là ?// s’enquit Darren tout en rechargeant son arme.
//Désolé, je suis super content de t’avoir. Je passe pas un moment très gai, là. Faut croire que le bon Dieu me récompense par ta voix douce...tu veux savoir quoi ?//
//Oui, je suis là. Je crois que j’ai perdu la moitié de mon audition, mais je suis toujours là//
Lyanna regarda autour d’elle, puis elle se leva et marcha un peu. Darren avait ri de sa réplique.
//Tu vas bien ? Pourquoi tu n’es pas rentré avec April et les autres ?//
//Ca va. Un immeuble s’est effondré sur moi et April pendant qu’on nettoyait une cache de drogue. S’il y avait pas eu cet égout, on serait tous les deux morts.//
//April m’a parlé de ça. Elle est arrivée avec les autres quand je suis sortie de la base//
//Oh ! Comment elle va ? Elle va s’en tirer ?// s’alarma le soldat.
//Elle a l’air de souffrir, mais elle devrait s’en sortir. C’est ce qu’elle m’a dit de te dire. Elle m’a dit aussi qu’elle m’offrirait un truc. Le … attends … je crois que c’était le Kamasutra. Qu’est ce que c’est ?//
Le soldat fût soudainement pris d’un fou rire. Lyanna était clairement en droit de se demander s’il n’était pas devenu fou. Mais Darren était libéré d’un poids, rassuré à l’idée que son amie s’en soit sortie. Son humour, c’était la preuve qu’elle était encore relativement lucide avant d’être admise à l’infirmerie.
Et que Lyanna lui demande, comme ça, là, en pleine mission, ce qu’était le kamasutra : c’était si beau qu’il n’en pouvait plus.
Darren semblait s’être arrêté. Il chercha son souffle, tenta de se calmer.
//C’est...un guide sur toutes les positions sexuelles. Un ouvrage pour les activités très intimes.// expliqua-t-il, finalement.
Il galérait tellement qu’il n’avait plus envie de se mesurer. De se méfier d’un quelconque indiscret qui écouterait les ondes à ce moment là. Peu importe. Avoir Lyanna à l’oreillette lui faisait beaucoup de bien.
//C’est April tout craché, ça.//
Lyanna haussa les sourcils en comprenant la référence d’April.
//Oh … je vois. Je comprends pourquoi elle a dit que ça te plairait//
La jeune femme essayait d’imaginer un tel ouvrage, mais en vain bien sûr. Elle préféra laisser ce livre de côté pour écouter la suite des explication de Darren.
//Après l’effondrement, April n’allait pas bien. Je l’ai laissé aux copains pour qu’ils la ramènent. Mais je pouvais pas m’en aller, je suis très proche de l’avoir. Il est pas loin, vu tous les mecs qu’il met sur ma route. J’peux l’attraper !//
Lyanna fronça les sourcils.
//Qui ça ? De qui parles tu ?//
//BogaMachin - Borda-quelque-chose. La tête de tout cet enfer ! Il est pas loin, ma chérie, je suis à deux doigts de l’avoir !// déclara fébrilement Darren, lui montrant à quel point il se menait à bout pour pouvoir le capturer.
//Bodga !// murmura-t-elle plus pour elle même que pour Darren, qui l’avait sûrement entendu.
//Vous avez été présentés ? Je vais être jaloux, je te préviens ! // ironisa Darren non sans une dose de scepticisme. //Tu connais ce mec ?!?//
//C’est … compliqué// dit elle avec une lueur de tristesse dans la voix.
Il était de plus en plus essoufflé.
Le militaire perdait un peu en patience. Il lâcha un bref //Décomplique !// pendant sa course. Immédiatement suivi d’une phrase coupée qui disait. //Pas de bisous pendant un mois !!!//
Lyanna soupira, avant de s’arrêter de marcher.
//Je suis sur cette planète parce qu’on m’a dit que Ridding et ses sbires ont capturé quelqu’un que je connaissais. C’est Abelle. Ils l’ont arrêté parce qu’elle est complètement droguée et qu’elle voulait retourner dans son monde avec une quantité importante de drogue sur elle//
La jeune femme s’arrêta de parler quelques instants, le temps de laisser Darren digérer cette nouvelle qu’elle avait elle même eu du mal à croire.
//Je devais lui parler, je voulais être là pour l’aider. Alors je suis venue. Je ne croyais pas qu’elle était coupable de quelque chose dans ce genre, c’était impossible. J’ai découvert qu’elle a été torturée, et elle s’est visiblement réfugiée dans la drogue pour arrêter de souffrir, jusqu’à être totalement accroc. Mais ...//
La voix de Lyanna se cassa, douloureuse et attristée.
//Ce n’est pas Abelle … ce n’est plus elle … je ne la reconnais pas ! J’ai essayé de l'interroger, mais ça s’est mal passé. La seule chose que j’ai pu obtenir, c’est le nom de son fournisseur : Bogda. Voilà, tu sais tout//
eden memories
Tout à un prix
Darren & Lyanna
Pendant que Lyanna lui expliquait la raison de sa présence sur la planète, Darren progressait dans le réseau d'égout aussi vite qu’il pouvait. Il avait récupéré l’arme d’April après l’avoir laissé entre les mains de ses amis, mort de trouille à l’idée qu’elle se vide de son sang en chemin. C’est dans cet état de stress important qu’il avait commencé à filer le train du chef de gang. Il avait eu sa photo avant l’opération, cible VIP, à appréhender quel qu’en soit le coût.
Darren avait vu de quoi il était responsable. Il avait beau dire, il en faisait clairement une affaire personnelle. Le tuer serait lui donner trop d’attentions. Le jeune homme préférait l’arrêter, qu’il soit jugé et croupisse longuement dans une cellule, harcelé par tous les visages de ceux qu’il avait tué.
Entre ça, l’isolement, la solitude, le risque de se faire flinguer à chaque tournant - le tout en baignant dans de la merde et des gazs de décomposition organique - l’apparition de la voix de Lyanna dans son oreillette était providentielle. Un ange. Non pas de la miséricorde mais de la dévastation sexiste. Son ange à lui.
Son coeur avait bondi et, même s’il en faisait de l’humour, il avait vraiment cru qu’il hallucinait. Une fois passé l’envie de vomir, ces violents spasmes et hoquets qui lui avaient déjà fait rendre deux fois, les vapeurs lui tournaient la tête.
Mais Lyanna était bien là. Il sentait son amour pour elle lui faire battre le coeur, son esprit durement partagé. Darren était heureux de la savoir là, de pouvoir affronter ce moment difficile en sachant qu’elle était non loin. Mais d’un autre côté, être sur cette planète, c’était être en danger.
Les émeutes se succédaient, ça devenaient de plus en plus dangereux dans le coin. Lyanna risquait de se faire agresser, ou de se prendre un foutu coup de couteau dans le dos. Le truc banal et terrible qui ne prévient pas quand on est entouré, encerclé.
Mais elle était là.
Elle venait avec de bonnes nouvelles. Lui dire qu’April allait bien. Puis le faire rire avec cette histoire de Kamasutra. Darren avait toujours peur de mourir, là tout seul, le corps baignant dans les excréments. Mais l’Amazone avait eu le don de le regonfler. Le savait-elle seulement ?
Voilà. Darren repartait aussi sec à l’assaut, regonflé par sa compagne, en l’écoutant parler à la radio. Il suivit son histoire autant que faire se peut. Mais juste avant qu’elle ne conclue, il déboucha dans un coude. Il le passa d’un geste professionnel et tomba nez à nez avec l’arrière garde de Bogda. Il le voyait, là au fond, fuir le plus vite possible. L’eau souillée jusqu’à son ventre le rendait lent, il s’échappait avec un de ses lieutenants et ses protecteurs.
Plusieurs hommes l’attendait de pieds ferme, muni des armes Geniis qu’ils avaient probablement eu dans un marché noir. Darren eut tout juste le temps de plonger derrière un couvert qu’il reçut une pluie de balles. Il sentit les projectiles percer sa protection trop faible, une balle percuter son gilet tactique et le repousser sans ménagement dans la flotte. Il ne se rendit pas compte que cette balle-là, justement, lui avait sauvé la vie. Parce qu’en se trouvant immergé dans l’eau souillée, le reste des projectiles qui auraient dû le transformer en passoire sifflèrent au-dessus de sa tête. Au moment où Darren fut projeté dans l’eau, un son indescriptible retentit dans l’oreillette. Lyanna ne comprit pas ce qui se passait, alors elle s’inquiéta.
//Darren ? Je ne t’entends plus ! Qu’est ce qui se passe ? Darren ?//
Mais évidemment, aucune réponse. Darren refit surface au même moment. Il peina à retrouver ses esprits. La jeune femme entendit à nouveau des bruits dans la radio.
Le soldat ne captait pas que ses ennemis étaient en train de recharger, ayant commis l’erreur de vider leurs armes tous en même temps. En reprenant sa position, gémissant sous l’effort qu’il imposait à son corps meurtri, le soldat leva son fusil et tira au coup par coup. Il aligna le premier ennemi, puis le second, migrant autour des couverts pour rester toujours mobile, comme on le lui avait appris. Dès qu’il sentit son arme cesser le tir, il la bascula pour récupérer son neuf millimètres d’un geste précis, habitué par l’exercice.
Normalement, un soldat sait compter ses balles. Mais le feu de l’action l’avait privé de cette lucidité. Il avait le coeur qui battait à tout rompre, sa respiration haletante et témoin d’une douleur. Quand on est pris à ce point, oppressé par le risque de mourir, les mécanismes de défenses se mettent en place. C’est très difficile, voir impossible d’y résister.
Voilà comment Darren avait manqué d’efficacité en vidant la totalité de son chargeur sur son prochain ennemi qui fonçait sur lui. Ca ne manqua pas, au moment de recharger, les rôles avaient été inversé. Le militaire remarqua au dernier moment deux adversaires se redresser avec des fusils chargés. Il se mit aussitôt à l’abri en gueulant, sentant les différents tirs passer non loin. Ils essayaient de lui faire perdre du temps, ils voulaient que le fameux Bogda puisse s’enfuir.
Darren était à bout de souffle. Il se rappela dans une pensée éclair que Lyanna était au bout de l’onde radio et murmura.
//T’inquiète...j’suis là...//
Chargeur placé dans le M4, culasse ramenée à l’avant, il était prêt à faire feu.
C’était quasiment de la chance à ce point là. Sortir du couvert en alignant l’ennemi. S’il n’était pas suffisament précis et rapide, ce serait tout simplement la fin. Le soldat prit une grande inspiration, trop préoccupé par sa survie pour remarquer l’horrible odeur d’excréments. Puis il se dévoila soudainement.
Clive tira par accoup de trois balles, les dents serrées. Il eut le premier à la poitrine, l’autre à la tête, pendant qu’il tentait de fuir. Ca y est….il avait réussi...il s’en était sorti.
Il contrôla consciencieusement les environs, vérifiant qu’un ennemi n’était pas suffisamment vivant pour lui tirer dans le dos. Si ! Celui là, qui rampait vers un flingue resté en surface sur un décombre. Darren le termina proprement puis descendit son canon une fois certain que la zone était sûre.
La douleur le rattrapa et il passa la main sous son gilet tactique. Il sentit le trou...et l’effaça aussitôt de sa mémoire.
//Lyanna...//
Il reprenait son souffle par la bouche, éreinté.
//Vas voir...April.//
Darren serra les dents et se remit en route.
//Elle a eu des soucis avec la drogue...quand elle était jeune. Elle peut...t’aider.//
Il avait du mal à parler. Le soldat ne voulait pas l’inquiéter, il espérait que sa voix, qu’il travaillait pour paraître normale, parvienne à donner le change. En vain. Comme si elle avait un sixième sens grâce à ce lien qu’elle partageait avec Darren, Lyanna semblait se rendre compte que quelque chose n’allait pas. Aussitôt, elle ne put s’empêcher de s’inquiéter.
//Darren, qu’est ce qu’il y a ? Tu vas bien ?
***Foutue intuition féminine !*** songea Darren en gardant sa main plaquée contre son flanc.
//Je m’en sortirai. Tu me connais...//
Le soldat était pressé de changer de sujet. Il détourna immédiatement son attention sur sa servante.
//Écoute, tu peux retrouver Abelle, je te le promets. Tout ça, c’est temporaire. Va voir April, elle aura de bons conseils. Moi...je vais capturer ce fumier. Et...j’vais te le ramener.//
Il souffla.
//Crois-moi. Elle passe pas un bon moment en cellule. Mais au moins, il y a des médecins, des gardes. Abelle est en sécurité, tu pourras la sortir de cet enfer ! Ok miss ?//
Lyanna se mordit la lèvre, et soupira. Elle criait intérieurement, doutant fortement de pouvoir aider Abelle cette fois-ci. Mais tout comme elle l’avait fait, Darren lui redonna espoir. Et cet espoir, c’était April. La jeune femme acquiesça d’un hochement de tête, tout en respirant profondément pour essayer de maîtriser cette peur qui l’angoissait. Celle de perdre Abelle sans pouvoir rien faire.
//D’accord … j’irais la voir quand elle sera soignée//
La guerrière ignorait dans combien de temps elle pourrait parler à April. Mais comme Abelle était sédatée, elle avait un peu de temps devant elle.
//Je te remercie, Darren. J’espère que tu attraperas ce mâle !//
Lyanna se doutait que le soldat devait continuer sa mission, et elle espérait qu’il reviendrait vivant. Si elle pouvait, elle lui crierait de laisser tomber Bogda pour sauver sa vie.
//Lyanna ?// l’appela-t-il une dernière fois.
//Quand je reviens, ne m’embrasse surtout pas.//
Il laissa quelques secondes s’écouler avant de lui expliquer la raison d’une voix plaintive.
//Je pue la merde...//
Inquiète, cette remarque eut le don d’amuser à nouveau Lyanna qui émit un petit rire. Elle adorait l’humour de Darren, elle ne s’en laisserait jamais. Comme de lui répondre sur le même ton de complicité.
//Je t’emmènerais te laver. Je crois avoir vu un ruisseau à côté de la base, ça sera parfait pour un bain. Même si l’eau est froide !//
//Pas sûr que Ridding nous laisse faire...// ponctua le soldat, appuyant volontairement sur ce nom de famille pour faire réagir sa belle.
//Ben qu’il essaie de nous en empêcher s’il ne tient pas à ses jambes !// affirma Lyanna sur un ton sec, réagissant au quart de tour quand le nom de Ridding était mentionné.
Le sourire de Lyanna disparut quelques secondes plus tard, alors qu’elle reprenait son sérieux. Elle savait que la mission était périlleuse, et elle n’était pas là pour veiller sur Darren, comme lui veillait sur elle.
//Fais attention à toi. Et reviens en un seul morceau, s’il te plait. Promets le moi !//
Cette démonstration d’attachement était très agréable à entendre malgré les circonstances. Un faible sourire gagna son visage tandis qu’il se disait qu’il avait de la chance de l’avoir eu sur les ondes. D’aussi loin que remontaient ses souvenirs, il n’avait jamais eu le droit à cette phrase. Il se devait de rester professionnel, engagé sur un théâtre d’opération extérieur. Il n’empêche que cette simple petite phrase, habillée de sentiment, d’amour et d’attachement, lui offrait une sensation très plaisante dans le corps.
Être la priorité de quelqu’un, être le sujet d’attention d’une femme, c’était un délice. Ça le soulageait. Et ça renforçait incontestablement ses sentiments à son égard.
Elle devait gérer l’affaire Abelle toute seule. Elle avait besoin de lui et il ne pouvait pas la rejoindre pour apporter toute l’aide, le soutien, qui lui permettrait d’avancer.
Darren comprenait à quel point c’était compliqué pour elle, d’autant plus que ses soucis ne se réglerait pas à coups d’épée cette fois. Lyanna était très loin de son terrain, à devoir gérer cérébralement ces obstacles tout en se conformant aux règles. Garder pour elle l’inquiétude pour sa situation.
Mais c’était comme ça. Ils étaient guerriers, l’un comme l’autre, et il fallait se faire à l’idée qu’ils ne pourraient pas se surveiller mutuellement comme sur Héstevic.
//Quand on aura réglé tout ça.// amorça-t-il sur le ton de la promesse. //On se prendra des vacances. Je t'emmènerai faire ce tour sur le continent dont tu rêvais. Toi et moi, tous seuls.//
Darren songait que cette promesse valait mieux qu’un “sujet-verbe-complément” tout plat. Il allait revenir, il lui organiserait ce voyage et ils se prendraient du temps. Leur boulot respectif avait tendance à les séparer un peu. Le plus souvent, ils ne se cotoyaient que par leur étreinte physique en dormant. Le dernier repas en amoureux commençait à dater un peu.
//On s’occupera de nous.// insista le soldat, toujours en mouvement.
L’idée de prendre du temps pour eux sur le continent était une bonne idée, et Lyanna espérait que Darren tienne cette promesse pour partager ce moment avec lui. Elle hocha la tête, comme si le soldat était devant elle.
//D’accord … on fera ça … juste toi et moi !//
Lyanna sentit qu’il était temps de laisser Darren retourner à sa mission. Elle ne voulait pas le déranger plus longtemps, ni le perturber et risquer d’avoir des ennuis par préoccupation. Et puis, Bogda était là, il ne devait pas s’échapper. La jeune femme soupira, se reprenant une constance pour ne pas communiquer davantage son inquiétude au militaire.
//Je … je dois te laisser. Je vais voir comment va April//
//Terminé.// conclut le soldat en éteignant le mode d’émission constante de sa radio. Lui aussi ne voulait pas continuer davantage la conversation, même si son coeur se languissait déjà de sa voix.
Lyanna demeura un moment dans cette cour silencieuse.
Le vent se levait, soulevant parfois un fin voile de grain de sable très déplaisant au contact. Elle pouvait entendre le chaos qui s’accroissait encore, avec des tirs de sommations et de échos du porte-voix. Au moins, ce n’est pas dans cette mélée que Darren risquait sa vie.
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Tout à un prix
Darren & Lyanna
L’Amazone retourna à l’intérieur du bâtiment.
Elle refusa de croiser le regard des hommes sur sa route, connaissant exactement sa destination. Un niveau plus bas, au bureau d’Helen Ridding, se trouvait l’infirmerie juste à côté. La jeune femme n’eut pas besoin de chercher longtemps pour découvrir le petit attroupement autour d’un lit de camp. April était bien là, allongée sur une couverture militaire, la tête posée sur un oreiller. Régulièrement, elle se crispait et insultait le médecin qui apposait des points de suture sur sa jambe abîmée.
Helen Ridding s’occupait personnellement d’elle.
Après avoir découpé toute la jambière de son pantalon, laissant apparaître le désastre en terme de blessure, elle soignait la jambe de la cuisse jusqu’à la cheville. Actuellement, aidée par une infirmière qui fournissait une lumière précise par l’intermédiaire d’une lampe torche, elle suturait un côté de son mollet. La coupelle en inox posée à côté était déjà plein de compresses usagées. Le sang stagnait au fond comme un minuscule couche de reliquat parsemé de sable.
« TU ME FAIS MAL, GUEULE D'HERPÈS ! » Râla-t-elle subitement.
« Et de six ! Tu perds en originalité... » commenta Max qui lui tenait la main.
En réponse, elle lui broya copieusement les doigts tout en le fixant d’un air meurtrier.
Ce dernier se cambra sous la douleur et tapota sa main, tout doucement, dans l’espoir qu’elle cesse de transformer ses phalanges en purée.
« Ok ! Ok ! J’ai rien dis...tu es la meilleure en insulte. Tes insultes sont très très.. »
Elle serra plus fort.
« TREEEEEEEEES mauvaises... »
« Je peux vous sédater si c’est trop douloureux. Vous n’êtes pas obligée... »
« VA CHIER L’ENDIVE ! »
Max ricana. Grosse erreur, une nouvelle vague de douleur qu’April encaissait vint jusqu’à sa main qu’elle comprima une fois de plus. Le rire de Max s’étrangla aussitôt.
Assis légèrement en retrait, Jim alimentait rapidement les chargeurs vides de son équipier à partir de boîtes de cartouches qu’il avait récupéré. Il était apparemment en train de se réapprovisionner, ainsi que l’équipement de Max, pour repartir dès qu’ils seraient certains de la bonne santé d’April.
Il croisa le regard de Lyanna, lui offrant un signe poli de bienvenue, puis se reporta sur sa collègue.
« Ca ne sert à rien de souffrir comme ça, laisse la te sédater. »
« J’préfère me faire démonter par un âne !! »
Max aurait très certainement ri s’il n’avait pas suivi le regard de son compère et découvert la présence de Lyanna. Sa main toujours comprimée par les souffrances d’April, il parvint tout de même à formuler une phrase au travers de plaintes.
« Alors ?? Aïe...comment va...ahhhhhh...Darren ? Il est...APRIL !!!!...il est toujours...d’attaque ? »
Lyanna ne se soucia même pas de Max qui souffrait à cause de sa main broyée. Elle fit à peine attention à lui, et regarda April qui se faisait soigner par Helen et une infirmière. Visiblement, la tâche n’était pas aisée, et la militaire était probablement aussi têtue qu’elle en ce qui concernait de la médecine pour calmer la douleur. A la question du jeune homme, et sans un merci, la guerrière posa l’oreillette de Max sur une petite table à côté du lit, non loin de son propriétaire, avant de replacer sa propre oreillette.
"Il va bien. Enfin … je crois qu’il est blessé, mais il continue sa mission".
Elle ne fît qu’inquiéter davantage le soldat.
Lyanna contourna le lit, comme pour s’éloigner de Max, et regarda la jambe d’April. Elle ne put s’empêcher de faire une grimace.
"Mauvaise blessure !" dit elle simplement, restant à l’écart pour laisser le médecin soigner April.
« N’importe quoi !!! J’suis en pleine forme. Dès que cette espèce de tarée a fini de me triturer la cuisse, j’y retourne ! »
« Vous n’êtes pas sérieuse. Je vous fais rapatrier sur Atlantis, il faut des soins plus poussés ! »
« Eh !!! »
April fixa l’Amazone, son regard la suppliait.
« Dès qu’elle a terminé, assomme-la !!! Que j’y aille ! »
« Non April, pas question. On va retrouver Darren, toi tu restes là. »
« Putain de bande de traitres ! »
Jim attira l’attention de Lyanna.
Il donna les chargeurs approvisionnés à son collègue qui les passa aussitôt dans son gilet.
« Vous voulez bien veiller sur elle pendant notre absence ? »
Lyanna regarda Jim, mais elle garda ses distances avec lui. Pour l’instant, la jeune femme n’avait pas encore montré d’hostilité à l’égard du patriarche, contrairement à Max. Sans doute parce que Jim ne l’avait jamais provoqué, et veillait à rester à l’écart. Lyanna gardait une attitude neutre pour lui, mais elle était encore loin de lui faire confiance, ou de baisser sa garde en sa présence. La guerrière se contenta de hocher la tête, sans prononcer un seul mot.
Jim s’en contenta parfaitement. Il prit son M4 qu’il avait laissé appuyé contre le mur puis donna une tape sur l’épaule de Max pour lui donner l’ordre de bouger. Celui-ci retira sa main de celle d’April, secoua ses doigts douloureux pour prendre le sillage de son frère d’arme. Mais soudain, comme s’il avait oublié quelque chose, il fit volte-face et revint sur April. Il glissa une main sous son crâne et lui claqua une bise sur le front.
« A toutes, frangine ! »
« Si tu te blesses, je te finis ! » répliqua-t-elle dans un étrange encouragement fraternel.
Max repartit au trot, laissant maintenant cette dernière toute seule avec l’infirmière, Helen et Lyanna. La fille du D4 gémit et se contracta lorsque la soignante débuta les sutures un peu au-dessus de sa cheville. Malgré cette souffrance, elle parvint à fixer Lyanna d’un air diabolique tout en lui disant :
« Tu me donnes ta main ?!? »
"Pour que tu la broies aussi, comme la sienne ?" lança Lyanna avec un regard amusé.
La guerrière contourna le lit et elle s’assit là où se trouvait Max un peu avant. Elle prit la main d’April dans la sienne, pour assurer sa présence. Lyanna savait très bien que dans des moments de douleur et de souffrance, la personne blessée avait besoin d’être entourée et de ne pas se sentir seule.
« J’ai presque terminé. » fît Helen en tirant sur le fil.
« J’m’en balance, tant que je peux repartir ! »
Elle cria.
« Les garçons partent au combat sans moi. Et pendant ce temps, la petite fille blessée, elle reste là ?!? » April gronda. « MON CUL ! Fait ton boulot toubib ! »
« Vous avez deux lacérations profonde le long de la cuisse. Et je compte trois autres abrasions ou perforations. Vous n’irez nulle part ! La guerre est terminée pour vous ! »
« Putain ! Mes ancêtres se démerdaient mieux que toi avec un morceau de fer et du feu ! »
"Tu perds ton temps, elle ne te laissera pas retourner te battre" dit Lyanna en regardant April.
Sur le prochain quart d’heure, la jeune femme se montra tout aussi tétue. Helen termina les sutures et banda sa jambe entièrement. Les compresses qu’elle avait disposé à chaque endroit stratégique, sur les plaies les plus profondes, étaient déjà teintées de sang. Mais ça avait un aspect bien plus propre et sécurisant que le blessure qu’elle avait en entrant. Pourtant, bien loin de se laisser raisonner, April poussa nonchalamment la toubib sur le côté et tenta de se lever de son lit. Si Lyanna ne l’avait pas retenue, elle serait tombée en essayant de rejoindre ses camarades.
Helen se retrouva au pied du mur avec elle.
Bien que ce soit contraire à sa volonté, le médecin la sédata légèrement et attendit que son corps perde en tonicité pour assurer sa position et ramener une couverture sur ses épaules.
« Bon. Son état est stable maintenant. » confirma Helen.
« J’te déteste, l’endive ! » déclara April d’une voix pâteuse.
« C’est pour votre bien, soldat. »
Elle tourna son regard vers Lyanna.
« Je reviens dans une demi-heure. Je la laisse sous ta surveillance. Elle ne doit pas bouger ! »
Lyanna acquiesça d’un signe de tête, et regarda Helen et l’infirmière sortir de la pièce, la laissant seule avec April. La guerrière se leva et fit quelques pas autour du lit.
"Ca va mieux ?"
« Darren est isolé. Jim et Max partent seuls ! Nan, ça va pas mieux. »
Elle la regarda, attristée.
« C’est toujours dur à accepter quand on doit rester sur la touche. J’aime pas ça ! C’est ma famille qui est là-dehors... »
La patiente secoua la tête.
« Ouais, tu l’sais déjà. Après tout t’es avec Darren. »
Lyanna comprenait parfaitement ce qu’April ressentait. Elle était dans le même état d’esprit. D’ailleurs, la militaire lui fit la remarque, ce qui fit soupirer la jeune femme.
"Je sais ce que c’est. Je n’ai pas envie d’être ici. J’ai envie d’aller là bas pour chercher Darren, mais je ne peux pas, je suis coincée dans cet endroit parce que j’ai quelque chose à faire ici. Et ça m’énerve !"
Choisir entre Abelle et Darren, c’était difficile. Mais Lyanna ignorait où se trouvait le soldat. Alors que sa servante, elle savait où elle était.
"Darren m’a dit de venir te voir pour te parler de quelque chose de … particulier".
« Et tu cherches à passer le temps en me faisant deviner ? » ironisa April. « C’est à propos de quoi ? »
Lyanna se mordit la lèvre, et tourna la tête pour vérifier que personne ne les écoutait. Puis, elle croisa ses bras sur sa poitrine et reporta son attention sur April.
"Il m’a dit que, quand tu étais jeune, tu te droguais. Je cherche quelqu’un qui peut répondre à mes questions".
April donna l’air d’avoir reçu une gifle. Elle se redressa légèrement pour toiser l’Amazone, comprenant que son frère d’arme avait vraiment vendu la mèche, puis elle retomba aussi sec sur son oreiller, l’air blasée.
« Darren est une vieille donneuse à la langue pourrie !!! »
Elle finit par fermer les yeux, luttant intérieurement contre sa honte.
« C’est pas l’époque de ma vie dont je suis fière tu sais. Mais si je peux t’aider... »
April la regarda, elle avait perdu de sa superbe.
« Tu veux savoir quoi ? »
La guerrière voyait bien que ce sujet était délicat pour la militaire. Elle prit une chaise et la ramena à côté du lit pour s’y asseoir, cherchant ses mots.
"Une de mes amies est ici, elle a été arrêtée. Elle voulait emmener une grosse quantité de drogue sur son monde, mais j’ai découvert qu’elle a été torturée et poussée à faire ça. Mais elle … d’après Helen, elle a une quantité importante de drogue dans son organisme. Je ne la reconnais plus, on dirait quelqu’un d’autre. Et … je ne sais pas quoi faire".
Lyanna détourna les yeux quelques secondes.
"Je voulais l’interroger pour qu’elle m’explique ce qui se passe, mais ça s’est très mal passé. Et quand j’ai expliqué ça à Darren … c’est là qu’il m’a dit de venir te voir. Pour m’aider à gérer ça".
April ne voulait pas regarder l’Amazone dans les yeux. Elle fixait intensément le plafond, frissonnant lorsqu’elle entendant les détails qu’elle lui fournissait. Visiblement, elle savait très bien de quoi Lyanna parlait et elle ne lui répondit pas tout de suite, se mordant l’intérieur de la bouche.
« Donne moi ta main. » lui demanda-t-elle finalement.
Dès que la guerrière s'exécuta, April lui fît écarter un peu les doigts. Elle dessina alors les montagnes que formaient ses phalanges, ces grandes vagues à pic de montées et de descentes.
« Être accroc, ça déforme beaucoup ta vision de ce qui t’entoure. Tout ce qui avait de l’importance pour toi disparaît. Ta façon de te comporter, les gens que tu aimes, ton travail, ce qui t’entoure. Tout ça ne compte plus...tant que tu te trouves une dose. Ta vie devient une succession de montées et de descentes ! »
L’index d’April débuta du point le plus bas pour faire l’ascension de son index.
« Plus ta dose te manque, plus tu te renfermes. C’est une terrible souffrance, insupportable. Tout ton corps te supplie d’en trouver, tu trembles, tu sues. Tu serais prête à tout pour remplir ton besoin. Quitte à ventre ton cul ou buter un innocent, rien à cirer, tant que tu l’as. »
La jeune femme secoua la tête.
« Dans cet état là, tu peux rien en tirer du tout. C’est pas la peine, ton amie sera trop instable. Attends qu’elle prenne sa drogue. »
Elle atteignit le dessus de l’index.
« Là c’est l’extase ! Au fond de toi, tu sais que ça te détruit. Que chaque prise de drogue t’éloigne un peu plus de chez toi, de tout ce qui a pu compter dans ta vie. Mais tu es prisonnière de la douleur et du manque. La lutte est vaine d’emblée, c’est même pas une question de force mentale à ce stade. Le truc...c’est que quand tu es drogué, tu as une facilité incroyable à enterrer les scrupules et les doutes. »
April tremblait.
« J’ai fais souffrir tant de monde à cause de ça. Je vivrai à jamais avec ces regrets. »
Elle se perdait dans une nostalgie terriblement douloureuse. Forcément, parler de cet état pour lui faire comprendre la chose la renvoyait à son propre passé. April ne souriait plus, son énergie avait totalement disparue et elle était bien incapable de supporter le regard de Lyanna. Mais elle poursuivit.
Son index entama le début de la descente et tapota un point précis.
« Y’a un moment précis que tu peux utiliser. Je sais que quand je me droguais et que je commençais à redescendre. A la fin de l’extase et juste avant de commencer à sentir le manque de nouveau. Ce moment là...j’étais moi ! »
April acquiesça, sûre d’elle.
« Si tu veux revoir ton amie, c’est ce moment là que tu dois viser ! Ca dure pas longtemps. Mais elle sera… “elle”. »
Lyanna écoutait attentivement les explications d’April, sa conclusion ne lui plut pas malgré elle, même si c’était la seule solution. Elle déglutit avec difficulté.
"Donc … si je veux aider Abelle et lui parler, je … dois accepter qu’elle prenne cette saloperie ?"
« On ne peux pas arrêter d’un coup, c’est impossible. Si tu retiens sa dose, tu vas la rendre folle. Elle aura tellement mal qu’elle serait foutue de se suicider. C’est... »
Elle secoua la tête.
« Ca prends énormément de temps. Et le pire dans tout ça, c’est que tu ne peux t’en sortir que si tu le veux vraiment. L’aide des autres est pas mal...mais ça reste accessoire. »
April eut du mal à l’affirmer. Elle avait la gorge sèche et l’émotion commençait à déformer les traits de son visage.
« Ta copine. Si elle n’a pas la volonté de s’en sortir...tu ne pourras strictement rien faire. »
"Ca, ça me fait peur ..."
Lyanna détourna les yeux à son tour, réfléchissant à toute cette histoire. Voir Abelle se détruire pour avoir des informations allait être éprouvant, mais si c’était la seule façon de lui parler comme avant, la guerrière n’avait pas le choix. Elle garda le silence quelques secondes, avant de regarder April.
"Dis … je sais qu’Abelle a fait ça pour arrêter de souffrir, et je n’ai aucun jugement à porter là dessus, mais … toi … pourquoi tu as fait ça ?"
Elle souffla soudainement. Pas pour marquer le fait que le sujet lui déplaisait mais pour expulser cette terrible envie de pleurer. Son souffle était devenu d’ailleurs très irrégulier, signe que les larmes étaient au bords de ses yeux.
« J’étais jeune, seule, et je n’avais l’impression d’exister pour personne. Un vrai fantôme, j’en ai souffert. Et puis... »
La jeune femme renifla.
« J’ai commencé à remporter des compétitions de course. J’ai découvert que j’étais bonne pour ça. On a commencé à s’intéresser à moi, je suis devenue populaire. Les garçons me disaient bonjour, les filles me jalousaient. Je...vivais...tout simplement. »
April resta un long moment silencieuse. Elle revivait tout ça.
« Mais à chaque course, ma place était menacée. Par des coureuses toujours plus jeunes, plus puissantes, plus hargneuses. J’ai commencé par les amphets pour améliorer mes performances. Puis des drogues euphorisantes pour le loisir. »
Et forcément, ce qui devait arriver arriva.
« J’ai été découverte, dénoncée. Une putain de chute aux enfers. J’ai tout perdu et...au lieu de refaire ma vie, je me suis réfugiée dans les drogues dures. »
April ne parvenait plus à résister. Elle éclata en sanglots.
« Darren aurait pas dû te le dire, putain !! Il était seul à savoir ! »
Lorsqu’April se mit à pleurer, Lyanna posa doucement sa main sur son épaule. Tout comme avec Abelle, la jeune femme était impuissante dans ce genre de situation. Elle ne connaissait pas l’histoire de la militaire, ni ce que voulait dire exactement tous ces termes, mais elle se doutait que l’épreuve que la jeune femme avait connu et passé était la même que celle d’Abelle en ce moment. April en voulait à Darren, et Lyanna secoua la tête en cherchant des mots qui pourraient la calmer. Elle n’avait pas vraiment envie que ces deux là s’éloignent l’un de l’autre à cause d’elle.
"Il a fait ce choix pour aider quelqu’un dans le besoin. Et je pense qu’il savait que je ne te jugerais pas".
« S’il survit, il se prendra quand même mon poing dans la gueule ! »
"Essaie de ne pas y aller trop fort quand même".
Lyanna serra doucement l’épaule de la jeune femme pour la calmer. April souffla doucement pour essayer de ralentir son rythme cardiaque. Réceptive à son conseil.
« La quantité qu’elle transportait...c’était combien ? »
"Helen m’a dit qu’elle transportait 73 kilos de drogue. C’est plus que son propre poids".
« Elle devait s’en être mis plein pif pour pouvoir tirer ça... »
April secoua la tête.
« Abelle est une passeuse alors. Tout ça, ce n’est pas pour elle. C’est pour le type qui l’a asservi. Le genre de gros bonnet qui coupe ensuite le produit pour l’envoyer chez ceux qui le distribuent. Elle gagne un très faible pourcentage dessus. Juste de quoi faire en sorte que le manque ne la rende pas dingue. »
La jeune femme planta son regard dans le sien.
« Le type qui a fait ça à ton amie. Il n’est pas ici. Il est forcément sur sa planète. »
Elle en était certaine. Lyanna la regarda.
"Je savais qu’elle ne faisait pas ça pour elle, ni de son plein gré. Je l’ai toujours su innocente, victime de quelqu’un qui la poussait à faire ça. Et je veux le retrouver, mais je ne sais pas comment. Sauf si elle me le dit."
« Y’a différente façon de ferrer une fille. Soit en la prostituant. Ils la droguent de force puis laisse le manque agir. Ensuite elle gagne sa dose en vendant son corps. Et pour celles qui résistent...les sévices physique. Ils se servent de la douleur comme d’une arme. La drogue est le moyen d’y échapper. On revient sur le même schéma. Pour avoir sa dose...il faut faire ce qu’ils te disent. »
La description que donnait April ressemblait beaucoup à ce que Helen avait découvert en faisant des radios du corps d’Abelle. Et rien que de savoir que la jeune femme avait pu en passer par là fit rager Lyanna.
"Le médecin m’a montré des traces de torture chez Abelle, à différents endroits comme ses mains ou ses jambes. Un peu partout. Abelle a dû vivre l’enfer, et c’est pour l’aider que je suis venue. Je ne veux pas qu’elle soit enfermée dans une cellule comme une criminelle alors qu’elle n’a rien fait de mal. C’est une victime, quelqu’un lui a fait du mal, et je trouverais tous ceux qui y ont contribué".
« Si ça peut te rassurer...ça veut dire que ton amie a résisté, pour qu’ils en arrivent à la torture. Mais méfie toi surtout. A chaque fois qu’Abelle commencera à ressentir le manque, ce qui vous unit n’aura plus aucune valeur. Si tu ne lui poses pas ces questions au bon moment, soit elle va te mentir, ou elle tentera d’emporter l’information dans la tombe ! »
Lyanna hocha la tête, comprenant que le temps lui était compté, et qu’elle allait devoir user de stratégie pour soutirer des informations à Abelle. April tourna la tête, tremblante.
« C’est fini ? »
"Oui … je pense que j’ai mes réponses".
La guerrière retira sa main de l’épaule d’April, et se leva.
"Je te remercie … tu devrais te reposer, maintenant. Tu en as besoin".
« Dégage... » répondit-elle en pleurant.
Bien que cela lui arracha une plainte douloureuse, April vrilla pour lui présenter son dos et rester avec ses mauvais souvenirs. Lyanna comprit la réaction de la jeune femme, mais elle ne répondit rien. Elle se contenta simplement de quitter la salle en silence.
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Tout à un prix
Darren & Lyanna
Pour trouver le moment favorable, Lyanna avait obligatoirement besoin de discuter avec Helen. Elle la trouva en train de se charger d’un soldat blessé au niveau de l’épaule, lui retirant une balle que son gilet avait en majeure partie absorbé. L’homme semblait avoir eu de la chance, le projectile resté en surface n’imposant qu’une blessure légère. Le soldat la supplia pratiquement, comme April avant lui, de le laisser repartir au combat. Elle n’y voyait pas d’inconvénients tant qu’il changeait son pansement et revenait la voir en cas de nouvelle hémorragie.
Après ça, Helen retira ses gants et emmena Lyanna dans son bureau pour avoir un peu de paix. N’étant pas rancunière, sa colère à son égard était oublié et elle ressortit le dossier raturé de l’inconnu 31 pour lui exposer les récents éléments.
« J’ai placé ton amie sous sérum phi et j’ai mélangé un cocktail d’antidépresseurs. Elle devrait être moralement plus solide. Ses derniers relevés sanguins montrent une dégradation cellulaire. Ce qui veut dire que je dois encore adapter le cycle de ses prises. »
Elle la regarda.
« Si je te donne sa dose, il ne faudra pas la retarder, celle-là. » lui annonça-t-elle sans sous-entendu.
Lyanna prit le tube de prélèvement à contre coeur que le médecin lui tendait, et elle le rangea à nouveau dans la poche de son gilet tactique. Les deux femmes purent discuter et mettre en commun leurs découvertes. Il devenait maintenant certain qu’Abelle était une passeuse qui avait été asservie par la violence et la souffrance. Lorsqu’elle entama ce point épineux, le médecin voulut la rassurer un peu.
« Si Abelle n’a pas voulu céder à la prostitution, c’est la preuve d’une grande force morale. Ca lui sera très utile pour son sevrage. »
Helen attesta qu’Abelle, malgré ses différences, était bel et bien là.
« Nous sommes Atlantes. Laisser des innocents agoniser ne fait pas partie de nos habitudes. Si tu parviens à la convaincre de nous aider et de livrer toutes les informations qu’elle a, on pourra envisager de s’occuper d’elle très sérieusement. »
Le médecin referma son dossier.
« On pourrait l’emmener sur Atlantis, utiliser ses équipements de pointe pour lui donner toutes les chances de s’en remettre. Ses sources de souffrances sont majoritairement issues de traumatismes osseux. Nous détenons des outils qui peuvent y remédier. »
Ca avait cependant un prix.
« Mais on ne peut pas non plus sauver toute la galaxie. Si on veut admettre ma patiente sur Atlantis, il nous faut une bonne raison. Pas à tes yeux, ni aux miens, ça ne suffira pas. Mais aux yeux de notre hiérarchie. »
Le message ne pouvait pas être plus clair.
La pression venait de tripler à l’instant. Soit Abelle bénéficiait d’un traitement basique, enfermée dans une cellule. Ou bien elle gagnait un traitement avancé sur Atlantis et la possibilité de revenir chez elle. Tout ça dépendait de sa bonne volonté...mais aussi de la capacité de Lyanna à la convaincre.
Helen la soutenait d’un regard compatissant. Elle connaissait bien le problème mais, en l’état, Lyanna était la seule à pouvoir tenter le coup. Personne d’autre. Après avoir soupiré, signe qu’Helen était aussi réfractaire que l’Amazone à distribuer de la drogue, elle sortit de nouveau un tube de prélèvement qu’elle déposa sur le bureau.
Elle demanda le bras de la guerrière et y attacha une montre à son poignet.
« Quand ça sonnera, il faudra lui donner sa dose. Pas avant ni après ! » lui expliqua-t-elle. « Je te laisse y aller, tu connais le chemin maintenant. »
"J’ai combien de temps avant que ça sonne ?"
« À peu près vingt minutes. »
Lyanna acquiesça en regardant la montre, un objet qu’elle n’avait jamais porté. Helen lui souhaita sincèrement bonne chance puis la laissa partir.
En bas, les cellules étaient encore pleines de criminels et de truands. Elle reçut exactement le même accueil que la dernière fois, à croire qu’ils n’étaient ni lassés, ni originaux dans leur provocation. A l’entrée, la même femme soldat attendait de recevoir les armes et poignard que Lyanna pourrait lui confier.
La salle d’interrogatoire avait été remise en ordre et les quatre gardes n’avaient pas bougé d’un centimètre. Maintenant, Abelle tournait comme un lion en cage, les mains attachés dans le dos, comptant chaque tour qu’elle faisait autour de la table en marchant.
« 132, 133, 134... »
Elle ne lui prêta aucune attention, la contournant simplement pour poursuivre son circuit perpétuel en s’y concentrant comme si sa vie en dépendait. Une fois encore, elle était couverte de sueur. Malgré sa marche active, des tremblements inhabituels et nerveux la parcouraient. On l’aurait cru malade.
Sur la table, il y avait un plateau repas devenu froid. On lui avait visiblement proposé de quoi se sustenter, tant par la nourriture que de l’eau, et tout était resté intact. Abelle n’avait strictement rien avalé, ce qui n’allait pas en arrangeant son air émacié. Ses cheveux toujours en bataille et ses cernes incroyablement profondes lui donnant un air dément.
« 138, 139... »
Lyanna resta à bonnes distances, cette fois ci, observant le manège d’Abelle.
"Abelle, c’est moi. Je suis revenue".
« Chuuuut ! Je compte...143, 144... »
Ses liens la gênaient beaucoup, elle donnait parfois des coups d’épaule rageux comme si elle aurait pu avoir suffisamment de force pour les arracher. Elle s’était sûrement blessée aux poignets à force de faire ça.
« Mon sac, il est où alors ? »
"Je ne sais pas, je n’ai pas été le chercher" répondit rapidement Lyanna.
La jeune femme hésita quelques secondes, avant de continuer.
"Si je retire tes liens, tu resteras calme ?"
Ce fût au tour d’Abelle d’hésiter.
« Oui ! J’ai la tête qui me gratte ! C’est devenu un luxe, ici, de pouvoir se gratter la tête !!! »
Lyanna se mordit la lèvre, ignorant quelle serait la réaction d’Abelle une fois détachée. Puis, elle jeta un oeil à l’un des mâles.
"Détache la !"
Le concerné, qui jouait la figure de proue depuis le début, tourna son regard vers un autre homme, visiblement celui qui dirigeait la sécurité. Ce dernier hocha la tête, lui donnant l’autorisation. Le mâle que Lyanna avait hélé rangea donc son arme puis sortit de sa poche une pince coupante. Abelle avait enfin cessé de tourner, présentant volontairement son dos pour être enfin libérée. A moitié recroquevillée, elle se contorsionna et pencha la tête d’un côté afin de fixer l’Amazone au travers de ses cheveux sales. Mais dès que la claquement eut lieu, signe de la rupture des serflexs, elle eut un sourire mauvais et pleinement hypocrite. Elle se jeta sur le garde en portant ses mains sur son holster de cuisse.
Mais l’homme s’y était préparé. Depuis le temps qu’il voyait Abelle tenter toutes les astuces foireuses pour sortir d’ici, jusqu’à aller se pisser dessus, la tentative de voler son arme n’était pas qu’une hypothèse. C’était une obligation.
Le genou sur lequel reposait le holster se leva d’un coup sec. Elle qui y était penchée reçu le coup dans le foie et elle poussa une plainte pendant qu’elle se faisait contrôler. Le garde bloqua son bras, lui colla la figure contre la table, puis il attendit que la tempête se calme enfin. Lyanna eut envie d’intervenir, ne supportant pas de voir un mâle maltraiter Abelle. Mais, elle serra la mâchoire en se forçant à ne pas bouger, et à le laisser faire. Même si cela ne lui plaisait pas.
Abelle cessa de gesticuler et de se battre, consciente qu’elle avait une nouvelle fois échoué. Le souffle rauque, râlant comme un monstre, elle s’immobilisa puis se laissa faire.
Le garde cagoulé tourna ensuite son regard vers Lyanna sans dire un mot. Il attendait son ordre pour la relâcher puis regagner sa place au fond de la salle. La guerrière regarda Abelle.
"Si tu ne te calmes pas, il t’attacheront à nouveau. C’est ça que tu veux ?"
« Ah, tu es à la solde des mâles maintenant ? » fit-elle d’un air mauvais.
Abelle tourna la tête difficilement, ayant peu de champ de manoeuvre contre cette table. Elle se força à pouvoir se tourner du bon côté pour poser l’Amazone un regard plein de mauvaise foi et de vice.
« T’es devenue leur catin ? Tu aimes la faiblesse ? »
"Ton agressivité ne fonctionnera pas sur moi. Comme tu veux, il va te rattacher les mains" lança Lyanna en menace, pour faire réagir Abelle.
« Oh, ça va ! Je plaisantais ! » mentit la jeune femme avec un rire faux. « On peut rigoler, non ? »
"Moi, je n’ai pas envie de rire quand je te regarde te détruire !"
Lyanna regarda le mâle qui tenait Abelle.
"Lâche la !"
Le garde fît un signe positif de la tête, toujours muet, puis relâcha doucement sa prise. Quand Abelle eut enfin les mains libres, elle poussa une plainte douloureuse tout en les ramenant à elle. Elle récupéra encore un peu son souffle puis se laissa glisser sur la chaise que ce remue-ménage avait repoussé sur le côté. Le garde reprit sa position dans l’angle, arme neutralisante à la main.
« Bon alors ? » fit Abelle d’un air faussement enthousiaste. « Quand est-ce que tu me sors d’ici ? La dernière fois, tu ne m’avais pas dit que tu me protégerais ? Que tu étais là pour moi ? »
"Je suis là en ce moment, non ? Et te sortir d’ici ne dépend pas de moi. Mais uniquement de toi".
Lyanna désigna le plateau repas froid qui était sur la table.
"Pourquoi tu n’as pas mangé ? Ca se voit que tu meurs de faim !"
« Ce n’est pas bleu. » répondit franchement, pour la première fois, la servante.
Elle grimaça et se gratta la tête. Quand elle retira ses doigts, elle découvrit plusieurs mèches qu’elle s’était arrachée. La jeune femme les fit voler en soufflant dessus, nullement inquiète de ce signe de mauvaise santé.
« Qu’est ce que tu veux alors ? T’es venue me narguer avec une dose que je n’aurai pas ? Tu n’as pas un mâle à aller emmerder au lieu de moi ? »
"Ah si, il y en a un qui est dans la même situation que toi, mais qui est plus coopératif. Je vais aller le voir toute à l’heure, mais pour l’instant, c’est avec toi que je passe du temps".
Lyanna jeta un oeil à sa montre, se demandant quand elle allait sonner. Puis, elle regarda à nouveau Abelle.
"Ca fait combien de temps que tu apportes de la drogue sur ta planète ?"
« J’sais pas trop. » fit-elle en haussant des épaules. « C’est pas important. »
"C’est toi qui le dit … Heimda sait que tu fais ça ?"
Abelle n’eut pas de réaction sur le moment.
Elle resta muette, l’air dédaigneuse. Puis soudain, elle agrippa sa chaise d’une main pour la tirer avec elle pendant qu’elle s’approchait de l’Amazone. Automatiquement, les armes neutralisantes se levèrent sur elle. Mais Abelle ne semblait pas s’en préoccuper. Elle se pencha en dévoila sa figure ravagée les croûtes, à force de s’être grattée frénétiquement, puis elle déclara d’un air goguenard :
« Qui peut se permettre de s’offrir mon poids en bleu, d’après toi ? Heimda, cette si gentille reine...c’est elle qui m’envoie faire ses courses ! »
Lyanna n’avait pas bougé d’un poil, les bras toujours croisés, alors que les armes étaient toujours braquées sur Abelle. Heimda était impliquée ? La guerrière n’en croyait pas un mot. Mais April ne lui avait elle pas dit que les drogués étaient capable de mensonges quand ils étaient en manque ? Lyanna ouvrit la bouche pour répliquer qu’elle ne la croyait pas, mais est ce que c’était une bonne stratégie en attendant qu’Abelle ait sa dose ? Alors, elle acquiesça, rentrant dans son jeu. Elle lui poserait à nouveau la question quand ça serait le bon moment.
"Ah oui … je comprends mieux. C’est vrai que, avec son influence, tu peux t’acheter tout ce que tu veux, non ?"
« Que tu es naïve ! Le bleu...c’est pour elle et toute sa bande ! Je n’ai le droit qu’aux miettes. »
Abelle secoua la tête, furieuse. Elle voulait lui faire mal, elle voulait la faire souffrir. Lui mettre le doute. Son regard étincela à l’image de son venin et elle déclara d’un air moqueur :
« Tu es faible et stupide. Qu’est-ce que je peux attendre de toi ? D’une femme qui ne se rend même pas compte que son copain fuyait la chambre pour aller dans mon lit. »
Elle lui sourit, encore plus cruelle.
« C’est marrant ça. Dès que tu avais le dos tourné, j’accueillais son membre dans ma bouche. Vite fait, bien fait. Et on te faisait tourner en rond. On se moquait de ta crédulité par des petits regards coquin...pauvre idiote ! »
Ce fut au tour de Lyanna de sourire. Elle se retint même de rire, tandis qu’elle s’éloignait de quelques pas d’Abelle.
"Et ben, Darren sera tellement déçu d’apprendre à quel point tu le fais passer pour un mâle infidèle. Lui qui essaie en ce moment de t’aider, il va reconsidérer la question quand je vais lui raconter notre petite entrevue"
« Tu tomberas de tellement haut quand il confirmera ! »
Les paroles d’Abelle étaient destinées à faire souffrir Lyanna, mais cette dernière n’en croyait pas un seul mot. Si la jeune femme cherchait à énerver la guerrière, c’était peine perdue. Lyanna en avait vu d’autres. Alors qu’elle s’éloignait, la montre qui se trouvait à son poignet se mit à sonner pendant quelques secondes. La guerrière soupira, sachant ce que cela voulait dire. Elle se dirigea donc vers la table, sortit le tube de sa poche, et le posa sur la table en s’assurant qu’Abelle le voyait. Puis, elle recula de quelques pas.
Une fois encore, la jeune femme eut exactement la même réaction que la dernière fois. Elle se focalisa entièrement sur le tube contenant la poussière bleu, se dandinant sur sa chaise tant son corps l’y appelait. Elle vit cet objet posé sur la table, juste devant elle, et des automatismes se déclenchaient. Abelle claquait de la bouche, poussait un petit gémissement demandeur, presque un jappement de chien. Son regard écarquillé alternait entre Lyanna et sa dose, se demandant quelle épreuve lui serait imposée pour la gagner.
Pourtant, puisqu’elle faisait quelques pas pour s’en écarter, Abelle compris qu’elle pourrait s’en saisir avant que Lyanna ne puisse intervenir. Dès que son cerveau calcula cette probabilité, elle n’attendit pas plus longtemps et se jeta sauvagement sur le tube en criant. Son bassin percuta la table, faisant rebondir l’objet sur le sol. Ce à quoi Abelle réagit en montant à quatre pattes sur la table, allant à l’extrémité pour se laisser tomber sur le sol.
Ses mains entourèrent le tube, sa tête cogna fortement le sol en pierre, mais elle tenait enfin son sésame.
Abelle hoqueta de plaisir, ainsi recroquevillée sur le sol comme un tas de linge sale. L’espace d’un instant, elle tourna son regard vers Lyanna. Il y eut un petite seconde suspension avant qu’elle ne lui offre un grand sourire émerveillé. Être si heureuse...d’avoir obtenu une dose. April le lui avait dit, il n’y avait strictement rien d’autre qui comptait.
D’un coup de pouce, Abelle déboucha le tube et versa son contenu à même le sol avec la concentration d’un ingénieur. Une ligne parfaite, il ne fallait pas perdre la moindre miette. D’ailleurs, elle fît passer son petit doigt pour capter les restes de poudre piégé dans le tube et le lècha goulûment. La jeune femme continuait de pousser des petits cris de joies, ça aurait même eu une connotation parfaitement intime si on la plaçait dans une chambre à coucher.
Et enfin, d’un geste rapide et parfaitement habitué, signe qu’elle procédait ainsi depuis longtemps, Abelle se boucha une narine et inspira l’ensemble de l’Ephémérade. Une fois à l’arrivée, elle refit exactement le même chemin pour être certaine de n’avoir rien laissé puis se boucha les narines. La drogue eut un effet immédiat et fulgurant. La victime se redressa sur ses genoux, sa tête se révulsant en arrière, et elle poussa un long gémissement orgasmique en se serrant elle-même dans les bras.
« Ouuuuuuuiiiiiiiiiii ! »
Le produit faisait son action. Elle devint de plus en plus molle, perdant sa lucidité au profit d’un état second qui la faisait dodeliner de la tête. Pas moins de trente seconde après avoir inspiré sa dose, Abelle s’effondra sur le dos et demeura au sol, poussant une longue expiration extatique.
Son regard restait rivé sur le plafond. On aurait cru qu’elle y voyait le ballet de tout un tas d’expériences originales et inattendues, ce qui la faisait sourire et rigoler.
En la regardant faire, depuis le moment où Abelle avait débouché le tube jusqu’à l’instant où elle s’était effondrée sur le sol, Lyanna détourna les yeux, écoeurée de voir ça. Savoir qu’elle venait de contribuer à donner cette saloperie à sa servante lui donna un haut le coeur, et elle s’éloigna de quelques pas en mettant une main devant sa bouche, atterrée par ce qu’elle venait de faire. Elle essaya de respirer le plus profondément possible, mais en vain. Elle n’arrivait pas à se débarrasser de cette image : celle de quelqu’un qui venait de donner de la drogue à son amie. Lyanna resta quelques instants dans son coin, attendant le moment décrit par April, celui où elle pourrait parler avec Abelle. Et peut être obtenir des réponses à ses questions.
Son attente fut interminable. Une longue demi-heure ponctué par les soupirs de plaisirs d’Abelle. Elle se mettait parfois à chantonner. Elle se roulait sur le sol, disait combien elle était grande et puissante. Qu’elle était la déesse incontestable de ces barreaux. A croire qu’elle ne regrettait pas, à un seul moment, d’être enfermée. Et puis sa crise se calma petit à petit. La jeune femme donnait l’air de s’être endormie, son visage avait repris des couleurs et les fameuses cernes s’étaient résorbées.
Elle donnait toujours une allure lamentable. Mais un semblant de “mieux” s’affichait clairement. Lyanna l’observait, entre crainte et espoir, attendant un signe qui prouvait que son geste avait une utilité. Et ce geste était le réveil d’Abelle qu’elle attendait avec impatience, c’était trop long à son goût.
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Tout à un prix
Darren & Lyanna
Abelle reprit conscience à un moment donné. Elle se redressa doucement de flanc, clignant des yeux, ayant visiblement encore du mal à se repérer.
« Bonjour Messieurs. » fit-elle poliment.
Une voix qui allait fortement émouvoir Lyanna. Puisque ce timbre, cette intonation et cette douceur représentaient clairement la signature d’Abelle. Sa façon de s’adresser aimablement aux gens et de servir. Abelle...celle que Lyanna avait connu sur Héstevic.
« Puis-je mander un peu d’eau ? J’ai la gorge... »
Le reste de sa question mourut dès l’instant où elle constata la présence de Lyanna dans la prison. Le regard écarquillé, Abelle demeura silencieuse un moment. Elle faisait face à quelqu’un qu’elle aimait profondément et sa simple présence fît ressurgir un océan de honte qui l’avala toute entière. Abelle se sentit humiliée, rattrapée par tout ce qu’elle avait pu dire ou faire, ses souvenirs vaseux devenant des certitudes et non des cauchemars douteux.
« Dame... » dit-elle alors, les lèvres tremblantes.
Elle sanglota brusquement.
« Pas vous ! Je...je ne voulais pas être vue ainsi. Pardonnez-moi ! »
"Abelle ..."
Lyanna s’approcha de la jeune femme, s’accroupit à ses côtés et la prit dans ses bras pour la rassurer de sa présence.
"Tout va bien, je suis là. Ca va aller !"
La jeune femme répondit immédiatement à l’étreinte. Elle se cramponna à Lyanna comme à une bouée, lui transmettant par son corps tremblant de chagrin toute sa détresse. Elle éclata en pleurs douloureux, longs et virant, enfouissant sa tête dans l’épaule de la guerrière.
« Pardon ! » s’écria-t-elle. « De grâce...Dame ! Je...je ne veux plus revivre ça !!! »
Elle se détacha pour la regarder, elle secouait la tête. La jeune servante était paniquée, horrifiée à l’idée de replonger dans le manque, la douleur, la perdition.
« Je ne veux plus ! C’est un enfer ! Un tel enfer !!! Je...je vous en conjure, abrégez mes souffrances ! Je veux partir...avec ce qu’il me reste de dignité ! »
Dans cet appel à l’aide profond, elle agrippa son épaule. Elle semblait craindre que sa demande soit rejetée, qu’on ne la repousse et que son seul rayon de soleil, son espoir ne s’en aille à tout jamais. On aurait pu penser qu’elle n’était pas sérieuse. Mais Abelle la suppliait véritablement de tout son être.
« Tuez-moi ! Je vous en supplie, Lyanna ! »
"Je ne peux pas faire ça, Abelle. Tu me demandes l’impossible !"
Lyanna était très touchée par la détresse d’Abelle, et cela lui serra le coeur. Elle secoua la tête, cajolant la jeune femme pour essayer de l’apaiser. Mais elle savait qu’elle avait peu de temps avant que sa servante ne replonge.
"Ecoute moi ! Tu es forte, tu vas t’en sortir, et je suis là pour t’aider. Je te sortirais d’ici, et tu iras mieux, je te le promets. Mais tu dois t’accrocher, Abelle. Je sais que c’est difficile, que ça te paraît impossible, mais je te jure que tu iras mieux. Attends ..."
Elle acquiesça, essayant d’intégrer les encouragements. La voix et les propos de Lyanna avaient une grande force de persuasion, tout simplement parce qu’Abelle l’avait toujours adulé.
« Je suis forte... » avait-elle répété dans une tentative de se convaincre.
A contre coeur, Lyanna se redressa et laissa Abelle seule quelques secondes. Elle alla chercher la chaise et plaça cette dernière devant la table. Puis, elle souleva la jeune femme et l’assit, avant de lui servir un verre d’eau. Elle s’était laissée conduire, visiblement trop faible pour tenir seule sur ses jambes. A moins que son sens de l’orientation soit encore gravement altéré.
"Tiens, ça va te faire du bien. Est ce que tu as faim ?"
« Je meurs de faim. » avoua-t-elle d’une petite voix avant de se désaltérer.
Sans attendre, Lyanna appuya sur son oreillette.
//Helen ? Il me faut un repas chaud. Abelle a faim//
// Je vous envoie quelqu’un. Ce sera rapide. //
En attendant le repas, Lyanna posa sa main sur l’épaule d’Abelle. Elle resta près d’elle.
« Dame...j’ai prié votre retour. J’ai prié vous revoir un jour. Est-ce que vous... »
Elle essaya de calmer sa respiration paniquée.
« Me pardonnerez-vous un jour ? »
"Bien sûr que oui, je te pardonne. Je sais que ce n’est pas ta faute. Abelle, j’ai besoin de savoir ..."
La guerrière se mordit la lèvre, avec de regarder Abelle avait douceur.
"Qui t’a fait du mal ? Qui t’a fait subir ça, et t’oblige à ramener cette drogue sur ta planète ?"
La servante s’était emparée de la bouteille pour se verser de l’eau. La question de sa maîtresse l’immobilisa brusquement tandis qu’elle refermait distraitement le bouchon. Elle n’osa pas la regarder dans un premier temps, hésitante. Elle se disait qu’elle ne pourrait pas le croire.
« C’est... »
Elle prit une grande inspiration et donna l’identité de son tortionnaire.
« Son Altesse Heimda. » avoua-t-elle dans un souffle avant d’avaler le verre d’eau cul sec.
Abelle se mit à trembler. Mais cette fois, ce n’était pas nerveux. Son effroi était clairement palpable.
« La couronne est en péril. Son esprit a été...perverti. Héstevic n’est plus qu’un charnier d’âmes damnées. Des victimes. Des victimes ! »
Lyanna fronça les sourcils, et elle secoua la tête. Elle n’arrivait pas à croire que Heimda soit impliquée dans cette histoire de drogue. Et encore moins qu’elle ait pu torturer Abelle.
"Heimda ? Non, c’est … impossible. Pourquoi dis tu qu’il y a des victimes ? Qu’est ce qui se passe sur ton monde ? Raconte moi ..."
Une nouvelle fois, les larmes lui virent aux yeux.
« Je ne veux pas retourner là-bas. » lui supplia-t-elle. « S’il vous plaît ! »
"Tu ne retourneras pas là bas, je ne laisserais personne te renvoyer sur ton monde. Mais dis moi ce qui est arrivé".
Abelle acquiesça. Elle débuta un long monologue.
« Tout allait bien depuis votre départ ! Son Altesse Heimda finissait de pleurer feu son père. Son nouveau conseil était sain et pleins de bonnes intentions. Et moi...j’étais alors la porte-parole du petit peuple. Je lui apportais les doléances. »
La jeune femme affichait une nostalgie agréable.
« Nous passions la soirée tardive près du feu, nous évoquions de grands projets. Parfois même en votre présence. Et puis... »
Elle déglutit.
« Son Altesse s’est amourachée. C’était...très étrange. Messire Aurel était très attirant. Mais il n’avait aucun amour pour le peuple ni même pour la couronne. Il se montrait si arrogant que j’ai bien que cru que son Altesse l’expédierait par la Porte. Etrangement, ils se sont liés...j’ai... »
Abelle se tût lorsque quelqu’un frappa à la porte. L’un des gardes vint ouvrir et un infirmier posa un plateau repas chaud devant Abelle. Celle-ci regarda les vivres comme si on lui faisait une fleur et le remercia très chaleureusement. L’infirmier acquiesça, récupéra l’ancien plateau et partit rapidement.
« Je me suis douté que quelque chose n’allait pas. Son Altesse a changé ! »
La servante avait si faim qu’elle prit de grandes cuillerées tout en continuant de parler.
« De plus en plus distante. Elle s’est détournée petit à petit de son devoir pour Héstevic. Son amour pour les petits gens, sa grande bienveillance, s’était uniquement tourné vers Sir Aurel. Elle buvait ses dires. Brillaient de milles feux son regard pour lui. Je l’ai vu d’un très mauvais oeil. »
Une fois terminé les petits pois, elle prit le cordon bleu d’une main et croqua dedans. Ca faisait très longtemps qu’elle n’avait pas été suffisamment lucide pour prendre un vrai repas. Son corps lui-même semblait se revigorer instantanément.
« J’ai voulu faire appel à vous, Dame Lyanna. Je savais que si elle ne vous écoutait pas, alors vous trouveriez le maléfice. Mais...la Porte était gardée. Par les hommes de Sir Aurel ! »
Abelle secoua la tête.
« Le temps a passé. Puis l’enfer s’est abattu sur nous. Le peuple a été envoyé mourir aux mines. »
Elle s’interrompit, les lèvres encore garnies de nourriture.
« Je suis navrée, Dame. Votre sacrifice, celui de Sir Darren, de Dame Teyla...a été vain. Le peuple se meurt sous les quantités imposées de pierres précieuses à sortir des mines. A force de m’opposer et d’enquêter, j’ai été destituée de mon poste. Alors...j’ai trouvé des alliés. J’ai... »
La jeune femme déglutit et reposa le reste de son cordon bleu.
« J’ai honte à l’avouer. Je me suis lié aux groupes de rebelles qui ne voulaient pas de la couronne. J’ai résisté, enquêté avec eux. Et j’ai découvert que toutes ces pierres servaient à acheter la drogue que vous m’avez vu transporter. Sir Aurel l’entrepose sur notre planète. Il la fait couper, camoufler dans des artifices, puis l’envoie ensuite par la Porte. J’ai caché les diverses coordonnées de ces planètes pour qu’elles ne tombent pas dans les mains de sa milice. »
Tous ces souvenirs faisaient paniquer Abelle. Elle respirait de plus en plus fort, s’emparant de la manche de Lyanna comme une enfant terrorisée par un monstre imaginaire.
« J’ai appris que son Altesse Heimda était asservie par cette drogue depuis très longtemps. Son refus de me voir, de voir le peuple, ne servait qu’à masquer son état de dépravation. Je me suis battue comme une lionne ! Comme une lionne, je le jure ! »
Elle secoua la tête, les yeux humides.
« Mais ils étaient trop nombreux ! Si nombreux !!! La vieille dame...l’apothicaire...venait de trouver le remède. Mais...nous avons été vendues par sa fille. Sa propre fille ! Je n’ai pas su protéger la formule et...ils l’ont remis à Sir Aurel. »
Abelle ferma les yeux. Elle avait maintenant beaucoup de mal à trouver son souffle et se tenait la poitrine d’une main.
« Il a...il a….non ! NONNN ! COMMENT AI-JE PU ÊTRE SI SOTTE !!! »
"Tout va bien Abelle, calme toi. Tu es en sécurité ici. Ils ne te feront plus de mal".
Lyanna essayait de calmer la jeune femme comme elle pouvait, en se montrant douce, en lui apportant l’attention qu’elle voulait, sa présence. La guerrière savait que Heimda ne pouvait pas être mêlée volontairement à ce trafic, quelque chose clochait. Et maintenant, elle avait un nom. Sir Aurel. Mais qui était ce mâle ?
Abelle essaya de retrouver une respiration convenable. La douceur de Lyanna l’y aidait beaucoup.
"Tu le connaissais, ce Aurel ? Il venait de ton monde ? Tu l’avais déjà vu avant ?"
« Non. Il...il est apparu un jour. C’était un marchand d’épices réputé. Quand on usait de ses compléments, ça donnait envie d’en avoir d’autre. Il a rapidement gagné en influence et...il s’est approché de son Altesse Heimda le soir d’un grand banquet. »
Evidemment, les renseignements données par Abelle soulevaient une foule de questions. Aurel n’était pas net depuis son arrivée, il avait certainement drogué plusieurs personnes, dont Heimda, pour se faire une place et diriger son affaire.
"Tu as parlé de coordonnées de planètes où la drogue était envoyée. Tu t’en souviens ? Tu pourrais me les donner maintenant ?"
« Je regrette ! Il y avait tant d’adresses, des dizaines. J’y ai inscrit les résultats dans un recueil, enterré profondément. »
"Où est ce qu’il est enterré ?"
« Dans l’ancienne tombe de Monseigneur Virgil. Celle que Darren et vous aviez fait creuser. »
"D’accord, d’accord. Ca nous aidera à l’arrêter".
Lyanna se mit à réfléchir quelques secondes, cherchant quelle question lui poser.
"Ca fait combien de temps que tu viens ici pour chercher de la drogue ? Tu es la seule à faire ça ? Ou est ce qu’il y a d’autres personnes comme toi, qui n’ont pas le choix ?"
« On ne s’est jamais croisé. Mais je sais que je ne suis pas la seule. Les porteurs sont des hommes forts. Ou des personnes, comme moi, qui se sont battus jusqu’à ce que... »
Elle ferma les yeux.
« Une chambre dans le château de son Altesse Heimda. Elle y a un autre trône fait d’ossements. Elle s’y installe avec une drogue étrange, pas celle là, une...différente. Liquide. Qu’elle met dans son verre. Et ensuite elle nous regarde, subir les pires tourments. Elle en rigole... »
Une nouvelle fois, Abelle supplia du regard sa clémence et sa compréhension.
« J’avais si mal ! J’avais tellement mal ! Je n’avais pas d’autres choix que de prendre le bleu pour me soulager. Ils ne m’auraient pas tué. Ils m’auraient maintenu pour me faire souffrir encore. Je n’ai pas eu le choix ! »
Elle hocha la tête, perdue dans des sentiments de honte et de détresse.
« Je venais...trois fois par semaine. Il y a de cela des mois... »
Abelle ferma les yeux, se crispant pour ne pas sangloter.
« Mes souvenirs sont incertains, dans un étrange brouillard. Je me rappelle avoir eu des mots et comportements...mais...comme si ce n’était pas vraiment moi. »
"Ce n’était pas toi, Abelle. Pas vraiment toi. Ce n’est pas de ta faute".
Lyanna se redressa et amena la jeune femme contre elle, la serrant avec douceur pour la tranquilliser face à sa détresse et à son chagrin.
"Et l’apothicaire, est ce qu’elle va bien ? Tu sais si le remède peut être refait ?"
« Ils l’ont exécuté dans la rue, pour en faire un exemple. Ils lui ont tranché bras et jambes. Puis il l’ont laissé se vider de son sang... »
Abelle se mit alors à réfléchir.
« La formule n’a jamais été testé. Mais je crois qu’elle fonctionne. Juste avant d’être envoyée dans la chambre, Sir Aurel a décidé de faire parvenir le papier à Bogda. Il l’a sommé d’affiner la drogue bleue pour que le remède soit inefficace. Alors je crois...qu’il doit l’avoir sur lui... »
De précieux renseignements qu’il faudrait récupérer auprès de Bogda. Même si ce dernier avait eu le temps de rendre le remède inefficace, il y avait un début de quelque chose que les médecins pourraient exploiter afin de supprimer cette saloperie.
"On retrouvera cette formule. Et ici, tu n’avais à faire qu’à Bodga ? Ou tu voyais quelqu’un d’autre ? Tu n’as pas entendu de noms autre que le sien ?"
Abelle fit non de la tête.
« Ils s’appelaient par leurs noms mais ma mémoire défaille. Bogda est le fournisseur. Je lui donnai les pierres, il me donnait la drogue. En revanche, j’ai encore en tête les montagnes de paquet. Héstevic n’est pas le seul lieu de transformation. Bien d’autres mondes ont dû sombrer comme le mien. »
"Ces lieux, ce sont ceux dont tu m’as parlé ? Ceux où Aurel envoie la drogue que toi et les autres passeurs, vous ramenez ?"
La jeune fille parut prendre dix ans de plus.
« Non. Je te dis qu’il y a d’autres Sir Aurel qui prennent contrôle d’autres Héstevics. Je ne suis qu’une goutte d’eau dans ce que traite Bogda ! Et maintenant...j’ai la certitude que Sir Aurel provient de cette planète. Qu’il avait pour but de nous…”transformer”. »
"D’accord".
La théorie sur le fait que Aurel venait probablement de ce monde là, et qu’il serait allé à Héstevic pour faire cet odieux commerce tenait la route. Une information très préoccupante, car comme le disait Abelle, si Aurel venait de cette planète, d’autres avaient effectivement du faire la même chose ailleurs. De quoi s’en mettre plein les poches pour Bogda et tous ceux qui mouillaient dans ce trafic.
"Tu sais si Aurel a des gardes ? Ou une milice armée, ou quelque chose dans ce genre ? Et combien ?"
« Ses hommes gardent la Porte. Le château de son Altesse. Les mines. Et ils ratissent les bourgs à la recherche de main d’oeuvre, de tavernes à assécher, de richesses à piller. Ils sont tous venus de l’extérieur sous la demande de Sir Aurel. Il n’y a pas eu d’oppositions. Ils sont...nombreux. Très nombreux. »
"Et comment sont ils armés ? Comme les Atlantes ? Ou comme moi ?"
« Certains ont des armes qui jettent le tonnerre et le feu. Comme Sir Darren. D’autres emploient la lame, le marteau. Ils aiment ces outils pour torturer les innocents, faire régner la peur. La résistance... »
Une lueur d’espoir s’illumina dans son regard.
« La résistance est peut-être encore active ! Dame...vous devez les trouver. Ils vous diront tout ce qu’ils ont vu ! »
"Où est ce qu’on peut la trouver ?"
« Le bastion des Veilleurs...là où vous aviez secouru son Altesse. »
"Je me souviens. C’est parfait, Abelle. Je te remercie".
Lyanna eut un petit sourire rassurant pour Abelle, et serra son épaule.
"Ne t’en fais pas, je vais te sortir de là. Je te promets que tout ira mieux. Et on aidera ton peuple et Heimda. D’accord ?"
« C’est mon voeu le plus cher. » reconnut-elle avec gratitude.
eden memories
Tout à un prix
Darren & Lyanna
Après avoir fourni quelques détails supplémentaires, la conversation douloureuse de la chute d’Heimda se tarit. La servante se laissa aller dans de nouveaux échanges plus positifs, appréciant de pouvoir retrouver cette habitude qu’elle avait eu avec Lyanna autrefois. Quand Darren dormait encore et qu’elles partageaient une collation, une boisson chaude, tout en parlant avec une totale simplicité le matin. Elle avait besoin de ça pour oublier le drame, se conforter dans une époque qu’elle affectionnait. C’était, d’une certain façon, le moyen de se retrouver et de mettre sa situation délicate en sourdine.
Pourtant, le temps s’écoula très rapidement. Privé de la lumière du jour, ainsi enterrée profondément dans le sol, il était difficile d’avoir la mesure du temps. Lyanna était restée près de deux heures avec la jeune femme pour l’accompagner. Et malgré les quelques sourires et rires qui ponctuèrent leurs discussions comme à la belle époque, Abelle finit par se faire ratrapper par ses démons.
Au début ce n’était que de l’inconfort. Et elle se contorsionna ensuite un peu sur sa chaise pour trouver une meilleure position. Un étrange stress commençait peu à peu à la dévorer, lui faisant se nouer les doigts, plisser les yeux, se racler la gorge. Elles savaient toutes les deux ce que ça signifiait. Les gestes moins souples et trop énergiques, signe d’une hyperactivité illusoire, trahissaient le grand retour du manque.
Abelle n’aurait rien avant les deux prochaines heures et, quand on savait dans quel état elle se trouvait en pleine crise, la descente actuelle n’annonçait rien de bon. Fatalement, elle s’emporta de façon démesurée sur un sujet où régnait une différence d’opinion.
« [color:bf52=93586B] MAIS PUISQUE JE TE LE DIS !!! » s’était-elle écriée, subitement en colère.
Elles se regardèrent un instant, dans le silence, aussi surprise l’une que l’autre.
Contre toute attente, la servante pris Lyanna dans ses bras et la serra fort contre elle. Une nouvelle fois, elle tremblait d’angoisse et d’appréhension à l’idée de retourner dans son état de crise. L’envie de supplier la guerrière pour avoir une nouvelle dose plus tôt se lisait tant dans ses traits que son regard. Mais même si elle allait le regretter, la jeune femme mobilisait ce qui lui restait de volonté pour rester digne.
« [color:bf52=93586B] Je crois...que vous devriez partir maintenant... » murmura-t-elle d’une petite voix apeurée. « [color:bf52=93586B] Ca...ça revient. »
Elle essayait de ne pas sangloter.
« [color:bf52=93586B] Je ne veux pas que me voyez comme ça. Je veux que vous me gardiez en votre mémoire comme une servante fidèle et investie. Alors partez ! »
Abelle la repoussa alors de son étreinte.
« [color:bf52=93586B] De grâce, partez ! »
Elle se positionna devant la table, comme si elle s’apprêtait à manger le contenu de son plateau vide. La servante feignit d’avoir totalement effacé la guerrière de sa vue et de sa mémoire. Elle demeura bien droite, les coudes posés comme il se doit, désirant lui laisser pour dernière image une servante parfaite.
Lyanna s’était reculée de quelques pas, regardant Abelle s’enfoncer lentement mais sûrement vers son cauchemar. Il lui tardait que la jeune femme reçoive des soins adéquats, et aille mieux. Même si la route allait être très difficile à suivre pour elle.
"Je retrouverais la servante fidèle et investie que tu es, Abelle. Je retrouverais mon amie".
Elle ne lui répondit pas. Abelle ferma les yeux de toutes ses forces, se contraignant à ne plus bouger.
Ne supportant plus de la voir en manque, et ne voulant pas avoir à nouveau à faire avec son côté sombre et en détresse, la guerrière quitta la pièce, laissant Abelle. Elle reprit ses armes et se dirigea vers l’escalier pour monter à l’étage.
A peine la porte s’était-elle refermée qu’Abelle s’effondrait sur elle-même, en proie à l’effort qu’elle développait pour paraître saine. Elle s’enfouit le visage dans ses bras et pleura longuement.
Dix minutes plus tard, l’Amazone rencontrait le lieutenant Ridding pour lui faire part de ses découvertes. Sa femme l’avait rejoint, souhaitant connaître l’état de lucidité d’Abelle après sa prise de stupéfiant, combien de temps s’était écoulé avant ses premiers symptômes de manque. Après lui avoir répondu sur l’état de sa servante, Lyanna reporta toutes les informations qu’elle avait pu tirer d’Abelle. L’officier n’était visiblement pas étonné d’apprendre qu’Héstevic ait été manipulé et transformé en usine de conditionnement géante. Selon lui, c’était la tactique habituelle des criminels pour éviter de laisser l’ensemble de leur poudre sur cette planète.
Pendant tout ce temps, il se tenait devant un grand écran principal dressé sur pied. Entre lui et cette image, plusieurs opérateurs de drones se chargeaient de l'observation de plusieurs sites. Ils étaient assis à table, la main autour d’une manette d’avionique connectée à un dispositif de pointe qui se refermait en forme de mallette.
« Vous êtes certaine d’en avoir tiré tout ce que vous pouviez ? » lui demanda alors Ridding. « Un remède ! C’est bien trop beau pour paraître vrai. »
« Une solution miracle pour supprimer la dépendance, c’est impossible. » assura Helen. « En revanche, nous nous servons habituellement de molécules neutralisantes capable d’assister et de renforcer l’efficacité du sevrage. Cette fameuse formule, si elle est réelle, doit contenir une telle molécule. Ce ne sera qu’une question de temps pour l’adapter à nos méthodes de traitement. »
« Encore faudrait-il mettre la main dessus. »
Ridding avisa Lyanna.
« Si son créateur est décédé, où est-ce qu’on peut trouver ce document ? »
"Abelle m’a dit que, lorsqu’elle a été arrêtée sur son monde avec l’apothicaire, la formule a été remise à Aurel. Et qu’il l’a lui même donné à Bogda afin que ce dernier améliore sa drogue pour annuler les effets de l’antidote".
L’officier tiqua.
Il gardait son regard rivé dans celui de la guerrière, l’esprit mobilisé sur des réflexions tactique. Il se retourna pour s’adresser à l’un des opérateurs de drone.
« Le site de Clive à l’écran. » lui ordonna-t-il.
« A vos ordres ! »
Assis devant une mallette équipée d’une manette d’avion, l’opérateur répondit par l’affirmative. Il manipula son drone à distance, lui faisant quitter une opération d’arrestation pour suivre un signal particulier, celui de la balise du jeune homme. L’avion fît un très léger virage une fois arrivé à destination puis tourna lentement en cercle en fixant l’origine du signal.
Un amas de corps grouillant en surface le rendait difficile à repérer. Le technicien passa en mode thermique puis effectua un zoom. On y discernait alors la silhouette de Darren, identifiée par sa balise, en pleine bagarre, qui abattait plusieurs ennemis en profitant d’un avantage de position. Des hostiles peu nombreux mais très épars couraient, manifestement à sa recherche. Les plus proches débouchèrent d’un escalier en regardant du mauvais côté. On vit Darren se décaler légèrement de son couvert, marchant de biais tout en les éliminant. Il s’arrêta pour contrôler son secteur avec son neuf millimètre puis il recharga rapidement son arme principale. Darren ne semblait pas se rendre compte qu’il était surveillé par le drone. Pris dans le feu de l’action, il était alors en train d’écarter les armes des cadavres d’un coup de pied avant de revenir sur sa précédente cachette.
L’assemblée découvrit une autre personne. La silhouette plus large, les mains liées à l’avant, Darren le tenait par cette entrave et l’entrainait de force avec lui.
L’opérateur dézooma pour avoir une image générale. Des tas de gens s’approchaient. Ils étaient clairement à sa poursuite.
« Il traîne un prisonnier. Bogda ? » s’enquit Helen.
« A voir tous les hostiles qui lui filent le train, c’est certain ! »
Il fixa l’opérateur.
« Quel est sa situation ? »
« Bravo 8 s’est signalé isolé. On obtient ses informations régulièrement mais il ne nous reçoit plus. Sa radio est défectueuse, sûrement à cause du terrain. »
« Merde ! »
Lyanna avait assisté à la scène en observant l’écran sur lequel la zone de combat était apparue. Son coeur se serra en voyant Darren, seul, en mauvaise posture à cause de ses nombreux poursuivants. Il avait un prisonnier, mais il ne parviendrait pas à s’en sortir sans renforts. Où étaient ses équipiers ? Jim et Max qui étaient partis le chercher ? Darren n’allait pas tenir longtemps sans aide, ses ennemis allaient lui tomber dessus à un moment ou un autre. La jeune femme s’approcha de l’écran, ainsi que des deux Ridding.
"Il a besoin d’aide !"
L’officier était peut être à court d’hommes. Ou le reste du D4 était peut être occupé ailleurs. Ou bien bloqué quelque part, sans parvenir à le rejoindre. Lyanna ne voulait pas rester là, sans rien faire, impuissante à laisser Darren seul et en danger. Elle regarda Ridding.
"Je veux y aller ! Envoie moi là bas !"
« Hors de question. Vous êtes clairement parti pris dans cette histoire et vous ne brillez pas pour votre sens de la retenue. »
Lyanna leva les yeux au ciel en s’éloignant de quelques pas pour calmer sa colère. Ridding était vraiment borné. Il fixa l’opérateur.
« Pourquoi le transport S1 n’est pas venu le chercher ? »
« Le secteur est encore beaucoup trop chaud, lieutenant. A la première tentative d’approche, l’ennemi a fait détonner une sacoche d’explosif sur sa nacelle moteur, le jumper a dû se replier en urgence. »
Ridding fixa calmement la vidéo.
Ca ne servait à rien de paniquer et il tentait de trouver la meilleure solution.
Malgré la déformation de l’image à cause des différentes sources de chaleur, il était clair que Darren était amoindri et blessé. Il boitait fortement, traînant avec lui l’homme qui ne jouait pas le jeu. Le comble, c’est que les poursuivants le forçaient à s’enfoncer un peu plus dans la cité en guerre, l’éloignant des renforts à pieds qui cherchaient probablement à le rejoindre.
« Trouvez moi les unités les plus proches. »
« Reçu ! »
Le technicien appuya sur quelques boutons de son propre écran de contrôle, requérant le signalement des balises les plus proche de la zone de survol de son drone. Il donna la réponse immédiatement.
« Indicatif radio Bravo 6 et Bravo 7, section D4. »
Ils étaient deux, en pleine bagarre dans une avenue. Ces soldats montaient à l’assaut d’une position défensive. On vit le premier attirer le feu sur lui tandis que le second prenait un peu d’avance. Il se coucha au bord d’un amas de pierre d’un bâtiment effondré puis lança un objet. L’instant d’après, le nid de défenseurs vola en éclat. On vit les deux hommes se mettre à courir pour rejoindre le nouveau couvert et lancer l’offensive sur les prochains ennemis.
« Il y a un leader d’unité ? »
« Affirmatif, Bravo 6, le sergent Holman. »
« Ouvrez la fréquence. »
Ridding appuya sur son oreillette.
//Bravo 6, ici Sierra. Quelle est votre situation ?//
//Sierra, ici Bravo 6.// s’écria Jim au travers des coups de feu. //On tente de se frayer un passage. Bravo 8 est en danger. Nous l’avons manqué de peu, la moitié de la ville est à ses trousses. //
//L’unité Bravo 8 détient un VIP essentiel à la mission. Que vous faut-il pour l’atteindre ?//
Jim ne répondit pas tout de suite. On le vit s’emparer de son collègue, probablement Max, et le forcer à se retirer juste avant qu’une rafale ne leur tombe dessus. Ils attendirent que la tempête passe puis Max sortit de son couvert pour se déployer plus loin. Il donna un puissant coup de ranger dans une porte, contrôla l’entrée, puis fit signe à Jim qui le suivit de près. L’opérateur de drone n’avait plus le visuel.
//Sierra, des hostiles ne cessent de nous canarder depuis une position élevée. Le soutien de mortier n’est pas efficace. Je répète, soutien inefficace. Tant que cette position ne tombera pas, on peinera à rejoindre Bravo 8.//
//Un instant.//
Il se pencha vers l’opérateur de drone.
« Envoyez les Oggs me bombarder ça. »
« Négatif, lieutenant. Ils ont déployés des miroirs qui reflètent le soleil sur nos lanceurs. Il faut obligatoirement aller sur place pour marquer la cible ! »
Ridding laissa échapper sa frustration cette fois, cognant un poing sur la table en ne comprenant pas comment ces truands pouvaient offrir une telle résistance face aux armes avancées.
Visiblement, l’officier avait épuisé toutes ses options, vu sa réaction. Lyanna revint alors à la charge, se plaçant dans son champ de vision.
"Tu n’as personne pour aller les aider. Et moi, je suis là. Alors, envoie-moi là-bas tout de suite !" lança-t-elle sur un ton autoritaire.
Le lieutenant Ridding était au-dessus des comportements de Lyanna. S’il se vexait pour son manque de respect pour la chaîne hiérarchique, il n’aurait pas fini. Pour le moment, il devait considérer ses choix tactique et la carte “Lyanna” devenait la seule optique efficace. Il serra les dents en acquiesçant lentement.
« Opérateur ! »
« Chef ? »
« Faites revenir S1. Mission de transport prioritaire ! »
« Transport prioritaire, je transmets. »
Le lieutenant se redressa pour faire face à Lyanna, la défiant tout autant qu’elle le faisait avec lui.
« Je vous fais déposer sur ce toit sous couverture. Détruisez la résistance ennemie. Vous ferez ensuite jonction avec le sergent Holman. Placez-vous sous ses ordres. »
Il insista de son regard.
« Votre mission...est...le transport du VIP. Coûte que coûte. »
Clairement, il sous-entendait qu’elle ne devait pas y aller pour Darren. Lyanna comprit d’ailleurs l’allusion, et elle se retint de faire la moindre remarque. Si elle commençait à dire à Ridding que son seul but, c’était d’aller chercher Darren, et que Bogda passait en second, elle ne partirait jamais. Et puis, une fois là bas, l’officier ne serait plus là pour lui faire des remontrances, non ? La jeune femme resta donc silencieuse, levant légèrement le menton comme pour défier un peu plus Ridding.
Il n’était clairement pas enchanté à l’idée qu’elle rejoigne Darren. Il doutait fortement qu’elle reste pro et il sentait, vu son impulsivité, qu’elle réagirait aux sentiments. L’attachement entre les deux jeunes gens ne lui avait pas échappé depuis la mission d’Héstevic. Et dans ce type de mission, ça pouvait être désastreux.
« Cet homme doit arriver ici en vie. Ca doit être votre seule priorité ! Compris ? »
"Ca va, j’ai compris !" lança Lyanna sur un ton irrité. "Je ramène le mâle ici et vivant !"
Lyanna avait entendu lorsque le Lieutenant lui avait expliqué qu'elle serait sous les ordres de Jim, une fois qu’elle aurait rejoint son équipe. Ce détail ne lui plaisait pas vraiment, et elle ignorait si elle parviendrait à lui obéir, ou à n’en faire qu’à sa tête. Après tout, elle était elle même chef de guerre, alors obéir à un mâle … Cependant, c’était comme si elle était sous les ordres de Sheppard, non ?
"Je pars quand ?"
« Maintenant. » décréta-t-il. « Rendez vous dans la cour du bâtiment, contactez Bravo 6 pour accorder votre intervention. On vous suivra à distance. »
Le lieutenant s’éloigna de quelques pas, récupéra un objet et vint le lui placer devant les yeux.
« C’est un marqueur. Au prochain toit qui vous empêche d’avancer, vous appuyez sur le bouton, vous le balancez, et vous vous écartez en vitesse. Vu ? »
Lyanna prit l’objet que lui tendait Ridding, et le regarda en écoutant ses explications sur son utilisation. Elle le rangea aussitôt dans une poche de son gilet, et acquiesça d’un simple hochement de tête à l’officier.
« Je l’accompagne jusqu’à la cour. » décida Helen.
Le lieutenant acquiesça puis les laissa partir.
Avant que Lyanna ne se rende vers la surface pour monter dans le jumper, le médecin lui demanda de la suivre jusqu’à la petite armurerie. Elle prit un sac dans lequel elle plaça des munitions de P90, de M4 et de neuf millimètres. Quelques grenades fumigènes et explosives.
« Tes futurs collègues ont utilisé beaucoup de leurs munitions. Ton soldat aussi. Je te conseille de leur apporter ça. »
Elle referma la fermeture éclair d’un geste sec puis lui tendit la bretelle en bandoulière à faire passer autour de son cou. Lyanna ajusta le sac qui tombait sur son flanc, elle vérifiait que ses gestes n’étaient pas entravés par ce nouvel objet. Et en particulier la sortie de ses épées. Heureusement, ce n’était pas le cas. Helen avait encore quelque chose à lui donner. Elle lui tendit un neuf millimètres.
« Tes épées n’iront pas partout. Tu sais t’en servir ? »
Lyanna secoua la tête en regardant le pistolet.
"Non. Je l’ai déjà utilisé, mais c’était un désastre".
« Il va falloir que tu t’y mettes. »
Le médecin tira sur la culasse et retira le cran de sûreté. Elle s’empara d’un holster de cuisse dans la caisse et y plaça l’arme à l’intérieur.
« Tu sors, tu pointes, tu appuies sur la détente. Tout est prêt. » lui dit-elle avant de lui installer le holster à la cuisse droite. Elle vérifia que les sangles étaient bien serrées, que ça ne risque pas de se balader pendant la course.
Enfin, le médecin décrocha de son gilet tactique une poche modulaire qu’elle plaça sur celui de Lyanna, sur le flanc, quasiment au dos, pour éviter qu’elle soit gênée dans ses mouvements.
« C’est un kit médical complet. Dedans, tu trouveras un tube noir et rouge. C’est un fortifiant. Si l’un d’entre vous est trop amoindri, piquez vous avec, ça devrait aider. »
"Noir et rouge" répéta Lyanna comme pour s’en souvenir. "D’accord".
Helen la fixa.
« Ca ira ? »
"Je n’en suis pas à ma première bataille !"
Cela dit, Lyanna cacha le fait qu’elle était quand même inquiète. Certes, elle avait mené moults combats depuis son enfance. Mais cette guerre était un genre différent de ce qu’elle connaissait. Depuis qu’elle avait rencontré les Atlantes, et qu’elle partait en mission avec eux, elle avait l’impression que les combats étaient plus dangereux que ceux de son monde. La différence d’armement jouait beaucoup, surtout quand la jeune femme ne connaissait pas ces armes là, mortelles à distance.
Une fois en surface, accompagnée par l’éternel bruit d’émeute au niveau de la Porte, Helen vérifia que la radio de la guerrière était bien branché sur les ondes de l’escouade du D4 puis lui souhaita bonne chance.
« Si tu m’apportes cette formule, ça me donnera plus de poids pour faire transférer Abelle sur Atlantis. Je songe à faire une demande pour la placer en stase. Ca ne réglera pas sa situation. Mais elle dormira, sans douleur, le tant qu’on obtienne la molécule. »
C’était une offre.
Si Lyanna ramenait Bogda et la formule, Helen lui promettait qu’Abelle serait plongée dans un sommeil sans douleur. Une proposition qui, forcément, allait l’intéresser. Et elle intéressa beaucoup la guerrière. Abelle voulait arrêter de souffrir, elle ne voulait plus être dans cet horrible état de dépendance. Elle avait même demandé à la guerrière de la tuer pour ne plus subir ça. Alors, forcément, être en stase le temps de la guérir était une très bonne idée.
« Il nous faut ce type. »
Ridding femme était exactement comme Ridding mari. Les deux voulaient Bogda. Pour des raisons différentes. Lyanna soupira, elle savait que c’était la mission. Mais y parviendrait-elle ?
Helen tourna son regard vers le ciel, attiré par le bruit de moteur défaillant d’un jumper. Tout une partie d’une nacelle moteur avait noirci. Mais même s’il semblait vaciller dans sa stabilité, l’engin était toujours en vol. Il opérait une descente régulière pour embarquer Lyanna.
« Bonne chance ! N’oublie pas de contacter Bravo 6, c’est important ! »
eden memories
Tout à un prix
Darren & Lyanna
La guerrière hocha la tête, et plaça son bras devant son visage au moment où le jumper atterri. Puis, une fois le sas arrière ouvert, elle grimpa à l’intérieur, allant s’asseoir sur un siège. Un dernier regard vers Helen, avant que le sas ne se referme, le jumper étant prêt au décollage. Et Lyanna se sentit maintenant isolée, bouillant intérieurement par la bataille à venir. Écoutant la dernière requête du médecin, la jeune femme appuya sur son oreillette, et chercha d’abord quoi dire.
//Heu … Bravo 6 ?// dit elle d’une voix hésitante, ignorant tout des procédures radios.
//Je suis là !// fît la voix de Jim au milieu d’une fusillade. //Content de vous avoir avec nous, jeune femme. Vous prendrez l’indicatif Bravo 5 pour les échanges radio, c’est celui d’April. Ca ira ?//
//D’accord pour Bravo 5//
//Ok ! Pour rejoindre l’objectif, on doit passer par une avenue. Les hostiles nous empêchent de l’emprunter depuis les toits, en particulier un immeuble en hauteur, bien défendu. Le jumper sera invisible et fera un passage pour vous permettre d’y voir clair.//
Une explosion brutale le coupa soudainement. Max cria par-dessus ses tirs.
//A votre signal, on enverra du fumigène et on commencera à passer dans l’avenue, ça va attirer leur attention. Nettoyez le toit. Mais attention, une fois hors du jumper, vous serez visible par les hostiles. Ils sont dangereux, la drogue les rend plutôt tenace, entendu ?//
Lyanna se leva du siège et s’approcha de l’avant du jumper, en regardant l’extérieur par la verrière. En temps normal, elle n’apprécierait pas que des gens risquent leur vie pour la couvrir. Mais là, c’était des mâles, ce n’était pas très important. Quoi qu’elle avait besoin d’eux pour arriver jusqu’à Darren. Et à Bogda. La jeune femme acquiesça d’un hochement de tête, se tenant au siège libre qui se trouvait sur le côté du poste de pilotage.
//Compris. Je nettoie les hauteurs pendant que vous deux, vous attirez l’attention//
Le jumper se dirigeait tout droit vers l’objectif de l’Amazone.
Effectivement, elle constata bientôt un immeuble à plusieurs étages. Ou plutôt une grande tour en bois, garnie de plusieurs voiles de moulin sur ses flancs, dont les bases étaient toutes renforcées par les bâtiments alentour. Un immeuble...prenant ses fondations sur des maisons et des entrepôts.
Souvent, de vives lueurs balayaient le ciel. Par les fenêtres, des hostiles tentaient de viser les drones en vol avec les miroirs pour les éblouir avec les rayons du soleil. Les traits de lumières qui touchaient accidentellement la verrière du jumper étaient immédiatement absorbée par la vitre polarisée, aucun problème de ce côté là.
Le pilote lui signala qu’il allait faire le tour, ce qui permit à la jeune femme de commencer l’observation de son environnement.
Lyanna détenait le gène des anciens. Sans qu’elle ne le veuille réellement, plongée dans son observation silencieuse des différents truands qui se penchaient par le garde-fou pour tirer en contrebas, la verrière s’anima de diverses informations. Ce qui surprit énormément Lyanna qui recula d’un pas, ne comprenant pas ce qui se passait. Mais cela n’avait pas l’air de perturber le pilote, comme s’il avait l’habitude. La jeune femme était loin de se douter que c’était elle qui venait de provoquer ça. Elle se mit à regarder ce qui était apparu. L’Amazone ne connaissait pas le Lantien mais les différents signes étaient clairs. Le jumper répondait automatiquement à ses songes en modélisant une carte signalant le nombre d’ennemis en temps réel. Ce qui la perturba un peu. Dès qu’elle pensait à quelque chose, ça apparaissait sans qu’elle ne sache pourquoi. Mais cette apparition était une bonne chose, elle put étudier le terrain et voir ce qui l’attendait.
Un dépôt de munitions au centre, dans une structure en bois de type cabanon. Puis le reste de la surface était ouverte au ciel, là où s’agitaient pas moins d’une douzaine d’ennemis. Cinq d’entres eux se pressaient contre la rambarde, équipés d’armes Geniis, en tirant largement à volonté contre la position de Jim et Max. Mais les autres, étonnamment, s’affairaient sur un emplacement libre de la surface. On y montait un engin en bois, l’ouvrage était presque terminée.
Une fois encore, la perplexité de Lyanna fût capté par l’ordinateur de bord qui zooma sur le dispositif et en fît un schéma plus compréhensible. C’était une catapulte ! Ils comptaient envoyer un projectile dans le bâtiment qu’occupait les deux hommes.
Le lourd paquet de poudre bleutée qui faisait office de munition ne lui échapperait pas.
Helen ne lui avait-elle pas dit que la dépendance serait immédiate ? Si ce paquet de poudre explosait dans la maison et qu’ils en inhalaient ?!? Ca serait une très mauvaise chose, Lyanna serait entièrement isolée, et les coéquipiers de Darren seraient perdus s’ils devenaient comme Abelle et les autres. Elle devait s’occuper de cette catapulte avant tout. Mais comment s’en approcher sans attirer ses ennemis ? La jeune femme regarda le plan des lieux, et vit un peu plus loin une sorte de large pilier assez éloigné du premier groupe d’ennemis. Le jumper pourrait atterrir derrière, et la guerrière en sortirait sans être vue, dissimulée derrière un abri. Pour la suite, ça serait plus difficile.
"Va là bas, derrière ce pilier !" ordonna-t-elle au pilote.
Le pilote acquiesça d’un signe de tête.
Lui aussi avait dû recevoir la consigne de la part de Ridding.
Sans attendre, le jumper évolua efficacement pour se rendre derrière ce pilier tout en lui tournant le dos. Lorsque la nacelle arrière s’ouvrit, le panneau se posa sur le rebord de la surface. Lyanna n’avait plus qu’à emprunter ce pont pour se mettre à couvert derrière le pilier. Deux truands torse nu, le corps parcouru de tatouages, passèrent devant sans se rendre compte de la présence du jumper. Pourtant, le bruit inhabituel de celui-ci allait finir par les alerter. Ces truands chargèrent l’énorme paquet de poudre bleu dans le contenant de la catapulte avant de se regarder l’un et l’autre, brusquement immobilisé.
Ils tournèrent ensuite leur regard intrigué et effrayé vers le jumper invisible.
« Etalh qué bago ? »
L’un des deux dégaina une arme de poing genii. Il la pointa devant lui, fronçant des sourcils, en avançant très lentement.
« Qué bago ??? »
Il fixait Lyanna sans la voir. Si cette dernière sortait directement du jumper, cet ennemi la verrait se matérialiser comme par magie pour se rendre derrière son pilier et il donnerait l’alerte.
La guerrière regardait son ennemi approcher, il était trop éloigné pour qu’elle lui saute dessus par surprise, avant qu’il n’appelle les autres. Si elle sortait maintenant, il la verrait forcément. Il fallait détourner son attention, mais comment ? Lyanna regarda dans le sas arrière du jumper, ses yeux tombèrent sur une mallette. A l’intérieur se trouvait un pistolet de détresse et des munitions. Elle prit une de ses dernières, et revint devant le sas arrière. Si elle jetait l’objet, peut être que le mâle serait intrigué de voir quelque chose voler, et lui tournerait suffisamment le dos pour qu’elle sorte ? Ou alors, si elle donnait le signal à Jim, le bazar engendré par le D4 le détournerait de son objectif. Il fallait essayer les deux solutions. D’abord, prévenir son … équipe. Vraiment étrange de se dire qu’elle appartenait à cette équipe.
//Bravo 6 ? Je suis sur le toit. Vas y !//
//Reçu !//
La réaction ne se fît pas attendre. Le mélange de cri et d’ordres des mafieux redoublèrent brusquement lorsqu’ils découvrirent le nuage de fumigène. La majorité des effectifs ennemis se placèrent contre la rambarde pour préparer un tir de suppression tandis que le tatoué tournait brusquement les talons. Il rejoignit son copain qui finissait de tendre la corde puis ils poussèrent ensemble, par accoups, la catapulte sur une position de tir. Un cri plus fort retentit et un déluge de balle tomba sur la position de Jim.
En voyant l’ennemi s’éloigner, Lyanna garda la munition de pistolet de détresse qu’elle glissa dans une poche, et sortit du jumper en venant se plaquer contre le pilier. Le jumper prit aussitôt de l’altitude et partit, la laissant seule. La guerrière retira le sac qu’elle avait en bandoulière, cela la gênait pour se battre, et elle le posa sur le sol. Puis, elle sortit ses épées et se dévoila légèrement afin d’observer la scène. La diversion de Jim et Max fonctionnaient, l’attention des ennemis était pointée sur eux. Et comme la guerrière était dans leur dos, personne ne la remarqua. Lyanna vit alors les deux mâles qui poussaient la catapulte vers le bord du bâtiment. Il fallait l’empêcher à tout prix. Sans attendre, elle quitta sa cachette et se déplaça très vite vers son premier adversaire, avant de planter rapidement sa lame dans sa nuque. La mort du mâle ne passa pas inaperçu pour son compère. Ce dernier remarqua alors la présence de la guerrière qui lui faisait aussitôt face pour l’attaquer à son tour, voulant encore profiter de l’effet de surprise.
Le boucan du combat avait couvert le cri de douleur de cet ennemi quand Lyanna avait fait glisser sa lame dans ses entrailles. Pourtant, elle sentit tout de suite d’expérience que la réaction n’était pas normale. Au lieu de subir la douleur, l’effroi, en se contractant autour de cette lame qui avait déjà goûté beaucoup de sang humain, la victime ne s’était que cambrée sous le choc. Il avait voulu tirer sur l’Amazone mais son coup de feu s’était perdu en l’air, accompagnant la mélodie guerrière qui tournait en fond depuis la balustrade.
Mais là, le truand descendit sur elle un regard de fou. La peur ? Inexistante. La douleur ? Endormie. Il se saisit de la main de Lyanna et lui envoya un coup de tête avant qu’elle ne puisse répliquer. Lyanna reçut le coup sans pouvoir l’en empêcher, et elle ressentit une violente douleur au visage. Heureusement, le mâle n’avait pas frappé assez fort pour la blesser, mais la guerrière fut quand même sonnée pendant quelques secondes. Elle poussa un gémissement de douleur avant de secouer la tête, en reculant de quelques pas. L’épée qu’elle venait de lâcher encore coincée dans son corps, le type fît apparaître un hachoir de boucher. Lyanna retrouva ses esprits à temps pour voir l’attaque de son adversaire, et l’esquiva de justesse. Le coup passa si près du visage de l’Amazone qu’elle sentit le coup de vent la gifler.
Il hurlait comme une bête, préparant déjà un revers qui cherchait son cou en guise de guillotine. Par réflexe, Lyanna se baissa au moment où le mâle frappa. La jeune femme en profita pour s’éloigner un peu plus, gardant ses distances en levant la seule épée qui lui restait. Tournant autour de lui, elle chercha une faille à exploiter. Elle devait se concentrer sur les organes vitaux, car son adversaire était coriace, et son état dû à la drogue semblait l’avoir immunisé contre la douleur. Ce n’était visiblement pas une entaille au ventre qui allait le faire tomber, même s’il saignait abondamment en cet instant.
La drogue le privait également de logique. Il ne chercha pas l’aide de ses compères ni signaler la présence de cette menace sur le toit. Par ses râles bestiaux qui avertissaient la jeune femme de ses attaques, il donna plusieurs coups dans le vide. Elle était rapide, mobile, difficile à toucher. La dernière tentative lui fît planter son hachoir dans le bois du cabanon juste à côté et il tira de ses deux mains, peinant à dégager sa lame. C’était l’ouverture ! Lyanna profita de cette occasion pour passer dans son dos, avant de lui planter sa lame au niveau de la colonne vertébrale. Elle sentit les os crisser contre sa lame, son adversaire s’écoula immédiatement, paraplégique et bientôt raide mort. Puis, la jeune femme reprit l’épée qui était toujours plantée dans son torse. Elle finit par se retourner pour voir le reste de la scène, cherchant déjà les autres mâles à éliminer.
C’est à ce moment qu’elle se rendit compte de l’absence de coup de feu. La dizaine d’hostiles qui en voulaient à Jim et Max avaient cessé le feu, finalement alerté par les mouvements dans leurs dos. Ils étaient maintenant alignés devant la jeune femme, les mines complètement ravagées par la consommation de drogue, en la fixant silencieusement. Les armes étaient toutes braquées dans sa direction, clairement au jugé et sans concentration spécifique pour lui atteindre un endroit vital. Lyanna resta immobile pendant quelques secondes, incapable de bouger en fixant ces armes prêtes à faire feu sur elle. Même si elle ne mourrait pas, elle serait quand même blessée, ce qui n’arrangerait pas sa situation. Elle commença à s’inquiéter, même à avoir peur, se rendant compte que les armes à feu étaient terriblement efficaces face à elle, vu leur nombre important.
Le barbu dans le groupe laissa échapper un grondement qui se transforma en rire gras, bientôt suivi par toute la ribambelle qui trouvait visiblement amusement le fait d’avoir surpris Lyanna. Et soudain, contre attente, ils ouvrirent simultanément le feu. La guerrière retrouva suffisamment d’esprit et d’instinct pour se jeter sur le côté, se mettant à l’abri d’un obstacle en bois qui ne tiendrait pas longtemps. Elle resta recroquevillée sur elle même, se plaquant les mains sur les oreilles à cause du bruit des coups de feu. Le même vacarme reprit aussitôt, la jeune femme inondée par les copeaux de bois de la cabane transformée en passoire. Les balles passaient, perçaient la paroi, la suivait de près...sans qu’une seule d’entre elle ne la touche.
Quand la douche se termina enfin, et que le silence retomba, Lyanna sortit lentement de sa cachette. Son abri ne ressemblait plus vraiment à rien, mais heureusement, étant à terre, elle n’était pas blessée. Elle avait eu beaucoup de chance. Elle se redressa et regarda ses adversaires. Avec les rires goguenards des drogués, ils fixèrent la jeune femme et découvrirent qu’ils n’avaient pas le compas dans l’oeil. Tous ces sourires moqueurs s’effondrèrent lentement. Une partie du groupe s’imaginait faire un mauvais trip et ne voyait aucune menace en sa présence. L’autre, un peu plus lucide, se mit à reculer de quelques pas en débutant la recharge frénétiquement apeurée de leurs armes.
« C’EST...C’EST...C’EST PAS UNE HALLU !!!! » hurla quelqu’un.
C’était le barbu qui tentait de fédérer l’autre moitié restée hagard. Certains trouvaient même ça drôle, rigolant bêtement en pointant l’Amazone du doigt. Lyanna se laissa aller à la colère qu’elle ressentait, et sans attendre, elle se lança dans leur direction. Elle devait faire le plus de dégâts possible avant que les mâles ne puissent recharger leurs armes. Il y en avait une dizaine, et alors que la guerrière poussait un cri de rage menaçant en se jetant sur le groupe, certains ennemis prirent peur et s’enfuyèrent en hurlant. Quant aux autres, soit courageux, soit trop stupides et drogués pour se rendre vraiment compte de la situation, ils laissèrent tomber leurs armes à feu pour s’emparer de machettes et de couteaux. Un combat féroce commença alors. Lyanna parvint à en éliminer un d’un coup dans la gorge avant que le mâle ne puisse prendre son arme. Puis, elle se tourna vers les autres, restant le plus mobile possible pour les esquiver. Heureusement pour elle, ils étaient comme le premier mâle qu’elle avait combattu. La drogue les privaient de logique, même si les coups qu’ils portaient étaient mortels. De temps en temps, assaillies de toute part, ils parvenaient à frapper Lyanna de leurs poings ou du revers de leurs armes. Mais la guerrière ne se laissa pas faire. Elle leur tournait autour comme elle pouvait, cherchant des points stratégiques et vitaux. L’un d’eux tomba sous ses épées, frappé au coeur. Un autre fut à moitié égorgé au moment où elle esquiva son attaque, entaillant la chair de son cou. Serrant les poings, elle le frappa plusieurs fois au visage, le faisant reculer jusqu’au bord du toit. Puis, un dernier coup de pied au niveau du torse, et elle regarda son adversaire basculer en arrière, par dessus la balustrade. L’un des mâles profita de son inattention pour lui porter un coup de couteau au bras, la faisait crier sous la douleur au moment où la lame entailla la chair. La jeune femme recula, le fusillant du regard. La blessure n’était pas grave, mais il lui faudrait des soins plus tard. Elle analysa la situation, tout en reprenant son souffle en gardant ses distances avec eux, esquivant les coups suivants. Puis, elle s’attaqua à celui qui avait osé la blesser, l’assaillant de ses épées jusqu’à ce qu’il baisse sa garde. Là, elle le frappa au visage, au niveau de l’oeil, enfonçant l’acier jusqu’à sortir de l’autre côté de sa tête. Elle donna un coup de pied au corps pour retirer son épée, et fit face aux autres adversaires. Il n’en restait que trois, et Lyanna reprit son souffle en le regardant un à eux, restant en retrait avant de pouvoir les affronter.
Mais alors qu’elle reprenait sa posture de combat habituelle, repérant ses ennemies, la position, échaffaudant ses différentes stratégies, un coup très brutal la fît crier. On aurait cru qu’un arbre lui était tombé dessus et qu’elle s’était retrouvée écrasée au sol. La jeune femme chuta au sol, face contre terre, en gémissant de douleur. Son dos lui faisait mal, mais elle ignorait si elle était blessée, ou même ce qui venait de se passer. Ce choc avait été aussi surprenant que douloureux. Lyanna finit par secouer la tête et essaya de voir autour d’elle. Son coup de regard instinctif vers l’origine de son mal lui révéla un ennemi également allongé, derrière elle. Son bras amputé, un trou béant dans la poitrine, il tenait encore le pistolet. L’adversaire agonisant tira encore deux ou trois fois dans le vide avant de s’éteindre. La guerrière avait donc reçu une balle dans le dos. Malgré le gilet, c’était douloureux. Et encore, elle ignorait que le gilet avait réussi à stopper entièrement la balle, avant d’atteindre son corps. Cependant, ce mâle la détournait du véritable danger : les trois adversaires qui restaient.
Malheureusement, Lyanna s’était à peine positionnée sur le sol pour se redresser que ses ennemis lui foncèrent dessus. Ils l’entourèrent pour la bourrer de coup de pied de part en parts, un vrai déluge. C’était mal connaître la jeune femme de penser qu’elle se contenterait de se rouler en boule en cherchant à se protéger. Si au début, elle encaissa les coups en serrant les dents, Lyanna finit par se ressaisir. Elle amena la lame de son épée pile sur le chemin d’un pied qui s’empala dessus comme dans du beurre. Il hurla de douleur, se pencha en voulant prendre son membre blessé entre les mains. C’est ce qui l’ouvrit entièrement à Lyanna qui profita de sa proximité pour enfoncer son épée dans sa gorge. Pouvoir réagir et contre attaquer eut le mérite de faire reculer les deux autres, ce qui lui permit de se redresser complètement, ayant mal au dos. Mais elle se fit violence pour ne pas y penser, et se jeta sur le mâle plus proche, poussée par la rage. Elle le taillada rapidement, abattant plusieurs fois ses épées sur lui pour l’empêcher de riposter. Cette tactique était épuisante, mais elle fonctionna. Il hurla de terreur tandis que sa défense s’étiolait. Il se laissa lacérer petit à petit, à chaque coup. Lyanna finit par planter les lames dans son ventre, le tournant dans la chair en fusillant son adversaire de son regard noir. Mais pour toute réponse, le type se mit à rire. Du sang coulait de sa bouche grande ouverte et il ricanait encore. Lyanna sortit les épées et fendit son crâne avec. Une fois le corps tombé au sol, la guerrière se tourna vers le dernier mâle, essoufflée.
Son dernier ennemi l’embarqua comme un rugbyman en hurlant. Il la colla une nouvelle fois au sol, l’écrasant de son propre poids avant de lui coller deux droites très sèches. Lyanna cria de douleur sous les coups infligés par son adversaire, elle en perdit ses armes. Elle aurait pu songer automatiquement à son poignard mais le temps lui manquait. Ce type au regard fou était ivre de sa drogue. Il s’était saisi de la jeune femme par le gilet, la soulevant et la cognant sur le sol sans même chercher à la tuer. Le mâle évacuait simplement sa rage et sa frustration au travers elle. Chaque fois qu’il la plaquait au sol, la tête de la guerrière cognait contre la surface dur. Pas suffisamment fort pour la blesser, mais elle en fut étourdie. D’un geste fébrile et nerveux, le mâle s’empara d’une grosse corde de chantier qui trainait sur le sol. Elle servait habituellement à la grue qui permettait de monter et descendre des fournitures depuis l’extérieur. Maintenant, il lui servait à enrouler la corde autour de la gorge de Lyanna avant de serrer de toutes ses forces. La jeune femme était encore un peu assommée, elle n’eut pas le réflexe de l’en empêcher. Puis, sentant la corde serrer son cou, elle essaya d’attraper la corde pour la retirer. En vain. La mâchoire serrée, il l’observa fixement tout en s’appliquant à la faire souffrir, la voir étouffer faisait visiblement partie de ses petits plaisirs personnels. Lyanna sentit l’air lui manquer peu à peu, et sa gorge la brûler à force d’être serrée par la corde. Comme sur Héstevic. La panique commença alors à s’installer peu à peu. Cette fois, Darren n’était pas là pour la sauver, comme la dernière fois. La jeune femme tenta de se débattre, mais le mâle l’entravait suffisamment pour l’empêcher de bouger. Et frapper son torse ne le fit qu’éclater de rire. Le regard effrayé de Lyanna se posa sur lui, alors qu’elle luttait pour trouver de l’air.
« RECK ALH MAC ! » s’écria-t-il d’une voix sourde alors qu’il se redressait très légèrement.
Alors qu’il se relevait, l’étreinte sur la gorge de Lyanna fut plus faible, ce qui permit à la jeune femme d’avoir une nouvelle bouffée d’air, même si la corde était toujours serrée. Mais rapidement, celle ci resserra à nouveau son étreinte, tandis que la guerrière glissait sur le sol, gémissant de douleur. L’homme se servit de la corde pour la traîner comme en animal en laisse jusqu’au bord de l’immeuble. Lyanna découvrit alors que ce fou furieux voulait la jeter dans le vide ! Elle se casserait le cou et pendrait lentement à la vue de tous, au gré du vent. Paniquée, elle tenta à nouveau de desserrer la corde, mais rien n’y faisait. Elle n’y parvint pas.
« Reck alh mac ! » fit une dernière fois celui-ci.
L’Amazone ne parlait pas sa langue. Mais il n’y avait pas besoin de s’y connaitre pour voir combien il la narguait, sur le point de la balancer comme un paquet de linge sale. Elle approchait dangereusement de la balustrade, elle terminerait comme celui qu’elle avait jeté d’un coup de pied. Sauf que son corps n’atteindrait pas le sol. Lyanna devait trouver une idée avant de mourir. Elle avait son couteau, mais le mâle était trop loin. Elle ne pourrait pas le frapper. Et couper la corde lui prendrait trop de temps, vu l’épaisseur. Et du temps, elle n’en avait pas, seulement quelques secondes avant de finir pendue dans le vie. Le manque d’air lui embrumait l’esprit, elle se sentit doucement partir, comme à cet arbre la dernière fois. Puis, comme une dernière tentative de son cerveau pour la préserver, une idée lui vint en tête. L’arme que Helen lui avait donné. Une arme à distance, parfaite pour la situation, même si elle ne savait pas s’en servir. Difficilement, sa main tâtonna contre sa cuisse pour chercher le holster. Puis, elle attrapa le pistolet, et sans viser, elle appuya plusieurs fois sur la détente en direction du mâle, vidant presque entièrement le chargeur sans le savoir. Par instinct de survie alors qu’elle sombrait.
Le dernier opposant se recroquevilla inutilement lorsqu’il fût surpris par les claquements du neuf millimètres. Deux balles dans l’ensemble finirent par le toucher à l’aine et à l’épaule. La force cinétique le propulsa en arrière, sur le rebord du bâtiment. Sentir le vide dans son dos le fit hurler d’effroi et agripper la corde avec encore plus de force. Lorsqu’il tomba, le truand tenait encore la corde et s’y cramponnait comme un film d’ariane. Le coup très sec tendit la corde comme un arc, faisant fatalement glisser Lyanna à son tour vers les abysses. La guerrière poussa un cri qui mourut dans sa gorge serrée, jusqu’à ce que son corps soit bloqué contre le rebord du balcon, la seule chose qui la séparait du vide, et l’empêchait de basculer. Cependant, le poids d’un homme sur la corde, le mâle s’accrocha toujours, exerçait une forte étreinte autour de la gorge de la jeune femme qui en eut le souffle totalement coupé. Par réflexe, elle tenta à nouveau de retirer la corde, mais cela ne servait à rien. Lâchant le pistolet, elle attrapa son couteau et essaya de couper ce qui l'entraînait vers une mort certaine. Plus le temps passait, plus elle perdait pied. Lyanna se sentit à nouveau partir, les ténèbres l’enveloppèrent lentement, tandis que la lame coupait la corde trop lentement à son goût. Elle essaya encore et encore, les yeux fermés, sans regarder ce qu’elle faisait. L’air lui manquait, elle était entrain de mourir, seule sur ce balcon. Puis, après un moment qui parut être une éternité, la corde presque découpée se rompit soudainement, rejetant la jeune femme en arrière, lâchant le couteau. Le mâle poussa un cri en se sentant tomber, puis plus rien. A bout de forces, Lyanna réussit à desserrer un peu la corde pour que l’air entre à nouveau en elle, et elle se mit à tousser encore et encore. C’était très douloureux, comme si ses poumons étaient en feu. Elle se tourna sur le ventre, mais la corde n’était pas suffisamment desserrée pour qu’elle puisse respirer correctement. Lyanna finit par être submergée par les ténèbres, et elle s’évanouit sans s’en rendre compte, respirant très faiblement et difficilement.
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