C'est du fond de la caverne que nait l'espoir - pv Shaun

Le pilotage de Jumper était quand même plus tranquille que celui d’un F-302, pour plusieurs raisons qui tenaient, d’une part, à la conception radicalement différente des deux engins, mais aussi, d’autre part, à la façon dont ils se pilotaient. Déjà, technologiquement, le Jumper intégrait des systèmes lantiens qui surclassaient facilement le plus abouti des F-302, et d’un point de vue ergonomie, leur usage était différent. Transport de troupes pour l’un, chasseur aérien pour l’autre, ce qui rendait leur assemblement et leur fuselage différents également.

Bref, pour Chenoa, se retrouver aux commandes d’un Jumper, c’était un peu les vacances. Déjà d’une, il n’y avait pas Scott pour la faire chier avec ses remarques de merdes, de deux, les systèmes d’inerties de l’appareil ancien permettait de faire des acrobaties sans prendre des “g” dans la tronche, ce qui était amusant, quoiqu’un peu déroutant les premières fois, de trois, la commande par la pensée était intuitive, même s’il fallait rester concentrée pour de bon, une qualité qu’elle avait parfaitement développée, même si on pouvait se poser des questions là comme ça.

Y’avait pas à dire, cet engin collait bien moins la nausée que les habituels hélicoptères sur lesquels Shaun avait appris ce genre de manoeuvre, et quand bien même la notion de mal des transports était un bien lointain souvenir enfoui au plus profond de ses jeunes années, il ne pouvait s’empêcher d’apprécier l’incroyable stabilité du Jumper.

L’exercice d’aujourd’hui était un standard d’Atlantis. La descente en rappel depuis le pont arrière d’un Jumper. Le vaisseau permettait ce genre de manœuvre, et sans rotors !

Certes, ils n’étaient pas sur un théâtre d’opération, et que si cela avait été le cas, il aurait été à prévoir des secousses issues de facteurs extérieurs - vitesse, manoeuvre, tir hostile, tout ce qui pourrait faire qu’un pilote s’obligeait à une conduite moins linéaire, mais ça resterait bien plus gérable que n’importe quelle technologie terrienne. Mogadiscio en était témoin. Pour preuve, le Lieutenant se tenait debout, sans avoir même à se maintenir sur un quelconque autre appui que celui de ses godasses, dans le compartiment arrière en compagnie de trois autres hommes qui participaient, tout comme lui, à la manœuvre.

« Bon les petits gars, on arrive sur zone dans deux minutes. J’espère que vous n’êtes pas claustro car je vous envoie directement dans un trou bien humide et accueillant, au coeur de cette montagne que vous avez devant vous !! » brailla Timber en se tournant vers l’arrière pour causer aux différents militaires réunis.

Scott aurait été là qu’il aurait souligné le côté dégueulasse de sa phrase, mais il n’était pas là pour, du coup ce serait aux plus pervers du groupe de se faire une idée. Pour sa part, Chenoa avait lancé ça sans arrière pensée. Au naturel, comme toujours.

Le sous-entendu ne glissa pourtant pas dans l’oreille de sourds, arrachant à au moins deux des militaires flagués du drapeau américain sur le biceps de leur treillis, un sourire amusé à la remarque, le troisième, lui, ne pu s’empêcher de rire grassement, raillant aussitôt, d’un commentaire quasi tac-o-tac :

« Vous inquiétez pas pour moi, Lieut’nant. Même si Mère nature a décidé que j’aurais tout ce qu'il faut, là où il faut, et même de l'excédent sous la ceinture, j’suis un expert niveau p’tit trou bi... »

Il n’eut pas vraiment le temps de finir sa phrase, qu’une frappe à hauteur de son casque de combat, le bousculant assez pour faire déplacer l’un de ses pieds à la recherche d’une nouvelle stabilité. Il n’y avait pas eu de douleur, l’acte était plus humiliant qu’autre chose, tandis que le Caporal fraîchement débarqué sur la cité, arquait des sourcils grondeurs plus que surpris, en bon habitué qu’il était. Il ravisa pourtant le moindre commentaire quand il tomba sur le regard rigide et froid de l’officier qui les manoeuvrait pour cet exercice, auteur de ce recadrage en règle.

« Au lieu de déblatérer des conneries à un officier qui n'intéressent personnes sinon ton égo bien trop surdimensionné et qui compense des attributs proportionnellement inverses, tu ferais bien mieux de vérifier ton matos parce que ta putain de sangle de sécurité n’est pas attachée. » Il flanqua une nouvelle tape sur le fameux mousqueton peinturé en rouge qui pendouillait mollement à son harnais, avant d'enchaîner. « J’veux voir un sans faute sur ce déploiement. C’est compris ? »

Chenoa avait observé la scène par reflet interposé dans la verrière du Jumper. Un petit rictus peint sur le faciès, l’amérindienne souriait dans sa barbe. Elle était Lieutenant elle aussi, mais elle savait qu’elle était trop proche des hommes pour être un bon officier. Elle tenait son grade surtout de son statut de pilote, et pas tant pour sa capacité à diriger des troupes. Chacun sa merde. Encore qu’elle avait réussi à s’en tirer en chef d’escadrille nommée par la force des choses, et elle avait mené les deux F-302 qui accompagnaient son aile à s’en tirer et à abattre un Jumper. Ce n’était pas rien.

« Ouais les pseudos experts là, vérifiez bien tout deux fois avant de sauter, j’suis pas un Jumper médicalisé moi, alors je ramène tout le monde à l’heure prévue et personne en avance. »

Elle jeta un coup d’oeil à son copilote qui pouvait assurer son rôle si jamais elle devait défaillir. Et vice-versa.

L’auteur du commentaire qui se voulait gras était déjà en train de remettre correctement son mousqueton. Pour un peu et il se serait rendu compte de son erreur trop tard. D’un côté, il valait mieux maintenant qu’ils s’entrainaient que lors d’un déploiement effectif. D’un autre côté, exercice ou pas, il fallait quand même assurer un minimum sa sécurité, et ça c’était quand même la base. Les instructeurs n’étaient généralement pas tendre avec les petits inconscients qui se mettaient en danger, et qui pouvaient mettre en danger tout le groupe.

La taloche était donc méritée.

« Une minute... » énuméra-t-elle. « Trente secondes. Attention j’ouvre la baie arrière. » prévint-elle en actionnant le mécanisme. Le pont de chargement commença à s’abaisser, et l’atmosphère à l’intérieur du Jumper changea radicalement. L’air s’engouffrait et le bruit du vent relatif rendait les communications pénibles. Les cheveux de la jeune femme virevoltaient autour de sa tête. Elle ne semblait pas faire grand cas de tout ce merdier soudain. Réputée pour être une bourrine, il en fallait un peu plus pour impressionner Chenoa.

Shaun s'empara rapidement peu après l’annonce d’une des sangles de maintien sur les flanc de l’appareil pour maintenir la stabilité de sa position suite à l’ouverture du pont, tandis que l’autre main vérifiait une dernière fois la bonne attache de la corde de rappelling. Il s’était placé le plus au devant possible, observant avec une assurance pragmatique, le décor qui se mit à filer sous son regard et de cette hauteur dans laquelle il allait s’élancer, la bouche béante des enfers s’ouvrant là, en bas.

Avec une douceur qui ne lui ressemblait pas, elle vint stabiliser l’appareil ancien au-dessus d’un gouffre assez large qui semblait s’enfoncer directement dans la montagne, comme une gueule géante qui ne demandait qu’à avaler son lot d’hommes.

« Préparez dépose. » Ordonna Shaun aussitôt l’engin stabilisé à correcte hauteur en faisant monter sa voix assez fortement pour se faire entendre du brouhaha aérien à l’attention du Caporal qui s'emparait de la corde et répondait immédiatement.
« Vert pour dépose, reçu. J’envoie la corde. »

La tresse de polyamide se déploya rapidement, faisant jonction entre le Jumper et le sol plusieurs dizaines de mètres en contrebas.

« La corde est au sol. » Confirma finalement le Caporal en se redressant.

Elle laissa les commandes au copilote quand le Jumper fut parfaitement stable, et elle se leva pour rejoindre l’arrière. Les hommes se préparaient, et les cordes avaient été jetées dans le trou béant.

« Y a plus qu’à envoyer vos hommes là-dedans Lieutenant. » indiqua-t-elle pour la forme. Elle se tenait aux filets de sécurité qui tapissaient le haut du compartiment voyageur du Jumper.
« Après l’exfiltration par grappe sur la zone d’insertion sécurisée, si on a le temps et le carbu, on fera une deuxième session. » Symbolisa t-il en dressant son index et son majeur de sa senestre gantée, la dextre toujours solidement ancrée dans la sangle de maintien.

Il se retourna finalement vers son trio qui attendait l’ordre de descente. La difficulté en l’état était la longueur de la chute avant de trouver la terre ferme, mais également le terrain que la planif avait choisi particulièrement ardu. Le premier s’était déjà placé dos au vide, les pieds sur le rebord du sas ouvert, une main sur la corde devant lui, l’autre derrière qui l’agrippait également fermement. Aucun d’eux n’en était à sa première fois, mais chacune d’elle était une situation différente de ce qu’ils connaissaient, ce qui donnait tout l’intérêt des entraînements, pour se souvenir des mécaniques et apprendre des spécificités. Shaun s’approcha du Caporal, prêt à s’élancer dans le vide.

« Go. » s’exclama t-il après s’être assuré d’un coup d’oeil que tout était en règle, escortant cet ordre rapide d’un claquement du gant sur la paroie.

Le Caporal fila droit sur la corde qui oscillait sous son poids, s’agitant dans les airs tandis que le suivant prenait sa place, mettant en place ses sécurités, et exposant son dos au vide du gouffre. Le Lieutenant observait la descente du premier mais n’attendit pas que celui-ci ait touché le sol pour lancer le second sur la corde. Après tout, le but de la manœuvre était d’arriver le plus vite au sol, se détacher et sécuriser la zone. Ils avaient d’ailleurs embarqué leur matériel pour être au plus proche du réel dans cette simulation. Il n’y eut aucune hésitation, et le second se propulsa dans les airs aussi lourd qu’il paraissait, s’accrochant à la corde en rappel pour descendre à vitesse maîtrisée. Puis le troisième vint, se dégageant du contact de la carcasse métallique de l’appareil lorsque il en reçu l’ordre alors qu’au même moment, son acolyte tout en bas toucha des pieds le relief rocailleux, quelque part au cœur même du gouffre.

L’instant d’après, Shaun agrippa à son tour la corde et il pivota sur ses appui pour faire face au pilote, restée sur le pont. Mais alors qu’il s'apprêtait à s’élancer à son tour au tréfond de ce gouffre qui s’impatientait un peu trop de les avaler, un grondement se fit entendre, grandissant, tout autant qu’il se fit sentir sous les pieds des deux soldats qui avaient trouvé terre presque ferme dans l’obscurité profonde. Le buste de Shaun bascula légèrement sur le côté pour se dégager plus de visibilité en contrebas. Il vit le troisième homme qui avait arrêté sa descente à mi-course, lui-même observant plus bas, alerte, faisant poids sur la corde qui resta raide. Rien d’autre ne lui apparut.

« \\ Caporal, rapport de situation. \\ » Ordonna brusquement Shaun en activant la communication de sa radio via le déporté de son oreillette.

Mais avant qu’il ne reçoive de réponse, il sentit un poids supplémentaire s’exercer sur le cordage qui tira brusquement, une fraction de seconde après, sur le support qui le retenait à la carcasse du vaisseau. L’élan fut si brusque qu’il donna une inclinaison sévère au Jumper, et le soldat en fut déséquilibré, ses rangers rippant sur la trappe inclinée et son coude droit percutant durement cette dernière en l'obligeant à lâcher prise. Son corps chuta sous l’effet d’un bon mètre avant qu’il n’en freine la tombée de sa clé de jambe serrée, son buste retenu par ses filins de sécurité. Au même moment, un soulèvement de poussière émergea du contrebas, remontant si haut qu’il enveloppa l’officier d’un épais nuage, escorté d’un concert de cris que ses hommes lançaient dans la résonance du gouffre.

Chenoa n’avait pas eu vraiment le temps de faire autre chose que de se raccrocher en gueulant aux filets. Elle s’y tenait déjà à moitié pour assurer sa position à l’arrière du Jumper, et heureusement, sinon elle aurait tout simplement ballé par la trappe comme un gros sac de patates. Seulement, elle sentit la morsure douloureuse des cordes sur ses doigts et elle faillit lâcher prise. Seul son instinct de survie l’aida dans sa faculté à rester suspendu fermement. Franchement, finir comme ça lui aurait clairement foutu les boules. D’un côté, ce serait une bonne blague de Coyote cette histoire. Le pilote qui meurt en passant par la soute arrière. Improbable et pourtant.

Le copilote essaya de compenser la déclinaison soudaine, ce qui fit faire un rebond au Jumper. Pour un peu et il cassait le filin, ce qui aurait des conséquences fâcheuses pour l’officier suspendu, tout comme pour Chenoa. Sous l’à coup, elle n'aurait certainement pas eu la force de tenir, tirée par les G.

« ARRETE !! STABILISE !! » gueula-t-elle en retombant le long de la paroi intérieure du Jumper, ses deux genoux heurtant la banquette. Elle n’osa pas lâcher le filet tout de suite, malgré qu’elle sentait ses phalanges cisaillées par les cordages. Elle saignait mais elle avait eu trop peur pour lâcher tout de suite. De toute façon, elle était tétanisée. La poussière la fit tousser un peu et le calme relatif la conduisit à se pencher vers l’extérieur. Shaun était toujours suspendu, heureusement.

Le haut de son dos et la ligne de ses épaules avaient cogné durement contre l'arrête du sas arrière lorsque le Jumper avait rabattu à nouveau à l’horizontal, lui arrachant un grondement sourd à l’encaissement du choc, ses bras retrouvant non sans mal leur prise sur la corde tendue à l’extrême, dont le grincement du treuil métallique faisait témoin de la tension extrême qui en résultait.

« Lieutenant, ça va ? Rien de cassé ? » s’enquit-elle. Tenait-elle sur ses jambes ? Le choc lui avait coupé les guiboles quelque peu, mais elle avait surtout eu très peur.

« Ça va. » répondit-il d’un nouveau grognement, non pas adressé à la pilote qui venait prendre de ses nouvelles, mais bien à cette situation.

Son attention était principalement rivée vers le bas, alors que le gouffre avait disparu de son regard sous l’épaisse couche de poussière et de terre, avalant même la silhouette sombre d’un des soldats qui s’agitaient toujours et dont il sentait les mouvements. Difficile de donner des ordres sans savoir ce qui se tramait là-dessous.

Elle se tourna en sentant le filin se tendre :
« PUTAIN BRAM, STABILISE MOI CE JUMPER, CONCENTRE TOI !! » Mais quel trou du cul serieux, il allait les envoyer faire un câlin à la montagne. Que s'était-il passé bordel ? Et l’équipe là-dessous ? Tout s’était effondré ?
« J’y peux rien Timber, ça tire tout seul bordel !! »
« Accrochez-vous Lieutenant, c’est pas fini !! » eut-elle le temps de dire avant qu’une nouvelle secousse tira le Jumper presque à la verticale. Merde, le filin, c’était du costaud !! Chenoa bascula et elle glissa dans le vide. Cette fois c’était la fin.

Shaun se sentit chuter brutalement, renforçant la prise de ses jambes qui nouèrent d’autant plus la corde pour ne pas y glisser. Au-dessus de sa tête, la gravité exerça sa force et il vit le corps de l’officier basculer et tomber à son tour sans sécurité pour sa part. Il eut un mouvement réflexe, celui de son bras qui se détendit pour essayer de la rattraper. C’était un peu fou, en y repensant, de croire qu’il allait y parvenir. Il sentait le cuir de son gant glisser le long de l’uniforme de la femme, cherchant à se saisir des multiples sangles qui composaient son gilet pilote. Il crut même un instant y parvenir, mais la résistance de ses doigts cédèrent au poids de l’attraction. Ceci eut néanmoins l’acte de les rapprocher assez pour qu’elle saisisse sa propre opportunité. Elle n’eut même pas le temps de songer à cette éventualité qu’elle se retrouva accrochée au gilet du lieutenant alors qu’un nouveau nuage de poussière était en train de les recouvrir. Tiendraient-ils longtemps comme ça ? Chenoa était au bord de la crise de panique, tenant que par la force de sa volonté. Il fallait descendre, et fissa !

« Accroche-toi ! » cria-t-il à son attention.

Une pure rhétorique, assez idiote, lancée un peu sous l’impulsion du moment. Que pouvait-elle faire d’autre sinon cela ? Ils n’avaient pas le choix. Il fallait glisser tout en bas. Il fallait libérer le Jumper de la prise, et ils n’auraient ni le temps, ni la force nécessaire pour remonter là-dedans. Aussitôt, ses accroches se libérèrent assez pour permettre au poids de leur deux corps de tomber et disparaître à leur tour dans ce nuage épais et ocre.

Chenoa n’était plus assez lucide pour juger du conseil qu’elle appliquait avec toute l’ardeur que lui permettait son entraînement quotidien pour rester en forme. Autant dire qu’elle était cramponnée comme un beau diable au gilet du lieutenant. Le peu de descente qu’amorça Shaun lui arracha un cri de panique, pensant qu’elle tombait pour de bon.

Une voix leur parvint d’en contrebas, criant un « Je coupe ! » se répercutant en résonance sur les paroies du gouffre qui prit effet immédiatement. Cet enfoiré de Première Classe avait eu la même idée que Shaun, mais avait oublié de s’assurer que ça ne causerait aucun dommage pour les autres. Brusquement, Shaun sentit la corde se détendre et sans vraiment avoir de visibilité sur ce qu’il se passait, ni en dessous, ni au-dessus, le filin repartit en sens inverse. Mais c’était trop tard pour eux. Les deux officiers se retrouvèrent sans prise, continuant à tomber, appelés par le noyau terrestre, plus rapidement encore que la descente contrôlée.

Il n’eut d’autre choix qu’alpaguer la pilote qui tombait en même temps que lui dans l’antre des enfers. Il ignorait combien de mètres ils leur restaient à parcourir, ou quelle qualité de sol ils allaient atterrir, mais une chose était certaine, dans tous les cas, elle supporterait bien moins son quintal sur son maigre corps que l’inverse. Il devait toucher le premier.

Pas le temps de hurler que c’était une mauvaise idée de couper. C’était trop tard de toute façon. Heureusement, la détente du câble ne leur lacéra pas le corps, et pour une bonne raison : ils tombaient maintenant, et pour de bon cette fois !
Chenoa avait déjà expérimenté cette sensation de chute libre au manche de plusieurs machines, et même dans un hélicoptère. Le pilote avait volontairement perdu de la portance pour faire une descente rapide avant d’en reprendre, et elle avait adoré. Là… Elle allait probablement détester, Miss J’Aime faire Vomir les Gens. Encore qu’il fallait que ce soit très profond pour qu’elle ait le temps de se poser quelques questions, questions dont elle se souviendrait si la chute n’était pas mortelle bien entendue.

Ils le sauraient rapidement, très rapidement.

Peut-être était-ce parce qu’elle était plus bas que l’officier à qui elle était suspendue, mais ce fut elle qui arriva la première sur le sol, suivie de très près par Shaun. Coup de chance, il ne tomba pas sur elle mais sensiblement à côté. Quoiqu’il en soit, ils n’eurent pas le temps de reprendre leur esprit qu’ils se sentaient glisser encore et encore, sur un tapis de mousse humide collé à la roche. Chaque aspérités du rocher les frappaient dans leur glissade, et soudainement, le vide s’ouvrit encore une fois devant eux, dans les ténèbres ambiantes qui ne permettaient pas d’anticiper quoi que ce soit. La chute fut brève, avant d’être amortie par un tapis d’herbe ventru.

L’amérindienne resta sur le dos dans l’herbe. Elle n’osait pas bouger de peur de sentir soudainement la douleur fulgurante et atroce d’un membre cassé ou d’une fracture ouverte. Mais force était de constater que cela ne venait pas. Elle avait certainement de nombreuses estafilades, et des ecchymoses en pagaille, mais elle s’en tirait miraculeusement bien. Timidement, elle se redressa. Ses yeux s'habituaient à la pénombre, mais un nuage de poussière ambiant l’empêchait d’y voir très loin. Elle était tombée près d’un petit bassin d’eau qui clapotait doucement. Sa chance ne s’arrêtait pas là, car une stalactite pointait son pic acéré vers le ciel, juste à côté d’elle. A deux centimètres à vrai dire, et elle finissait embrochée.

« Putain... » souffla-t-elle, en louant ses ancêtres comme son Totem. « Lieut’, vous êtes là ? Ça va ? »

Un autre grondement émergea en réponse, un peu plus diffus, étouffé, avant qu’une quinte de toux n’en casse la démarche. Shaun avait atterri face contre terre, bouffant poussière et terre dans sa chute. Il respira l’humus flétrit de la couche d’herbe spongieuse qui séjournait dans ce fond de caverne, et cela lui tira une grimace supplémentaire. Dans la chute, il en avait perdu son sac à dos, l’une des bretelles accrochant une aspéritée rocheuse solide, déchirant la couture avant de soumettre son épaule à une légère torsion pour le laisser continuer sa chute. Cette dernière était douloureuse, mais pas déboitée. Un coup de chance qu’il ne tenait qu’à une très vieille blessure qui avait rendu cette articulation assez malléable mais qui en subissait quelques vieilles douleurs lorsqu’il forçait de trop dessus.

« Entier. » répondit-il après une certaine attente, perturbé par le roulement de cailloux qui chutait contre la paroie qui leur avait servi de toboggan géant. « Et vous ? »

Il poussa sur son bras droit pour se redresser, se plaçant à genoux avant de venir desserrer la sangle de son casque qu’il balança sur le côté, bien plus gêné maintenant par sa présence bien qu’il n’était pas tout à fait à l’abri d’une chute de roche supplémentaire. La pénombre continuait de régner en maîtresse dans de gouffre profond, mais à mesure que le soulèvement de poussière s’estompait, une trop légère lueur issue de l’extérieur leur parvint, mais aussi du fond du bassin dont le fond était nappé d’une sorte algue luminescente verdâtre qui renvoyait à la hauteur de cavité, le reflet des ondes d’eaux en image.

Leur caverne n’était pas bien haute de plafond, si on ne comptait pas l’espèce de cheminée tordue qui les avait envoyée jusqu’ici, mais elle était en revanche assez large, taillé dans un ovale que les colonnes de pierre forgées par des stalactites et stalagmites qui se rejoignaient, et se perdait dans le fond au delà des eaux, leur en barraient le passage. Il faisait un froid terrible dans ce lieux qui avait trop longtemps été privé de la chaleur du soleil, en témoignait les manifestations de légère glace sur les parois luisantes.

« Étrangement, entière aussi. » répliqua-t-elle en se redressant. De savoir que l’officier était là et qu’il parlait la rassura un peu. Il n’était pas mort ou pire, gravement blessé. Dans la situation dans laquelle ils se trouvaient, cela aurait compliqué rapidement les choses.

D’un geste, elle épousseta un peu la poussière dans ses cheveux, et sur ses jambes. Ce n’était pas très efficace, mais elle renouait ainsi avec le contact de son propre corps. Elle observa alors un peu les alentours, son œil s’habituant à la faible clarté. Si les détails ne lui sautaient pas aux yeux, elle pouvait néanmoins se faire une petite idée de l’endroit dans lequel ils avaient atterrit. Une cavité naturelle bordée d’un bassin légèrement luminescent, une cheminée assez haute par laquelle ils étaient arrivés, et un ensemble de stalagmites et stalactites qui formaient une série de piliers qui s’étiraient dans les profondeurs de la montagne.

Il ne faisait pas chaud, et ce n’était pas ses atours de pilote qui allait la préserver. En Jumper, ce n’était pas la même combinaison de vol que dans un F-302. Celle des chasseurs terriens permettait de survivre dans l’espace en cas de pépin, pour un temps donné. Le froid n’aurait pas été un problème. Mais là, ce n’était pas terrible, même si elle n’était pas en short et en marcel non plus.

« Pas certaine qu’on arrive à remonter par là... » dit-elle en se redressant finalement pour se mettre debout. Elle était soulagée de sentir le sol assez stable sur ses pieds. Quelques éboulis continuaient de se produire et amenaient leur lot de petites roches et autres poussières jusqu’à eux, sans constituer une réelle menace. « J’espère qu’il n’y a pas de gros bobos et que Bram a réussi à tenir le Jumper sans se crasher... » Elle était inquiète. Les secours allaient arriver rapidement de toute façon, non ?

« Putain quelle merde, première fois qu’on me fait ce coup-là ! » s’exclama-t-elle enfin en se secouant d’un petit rire, son optimisme d’être en vie et entière reprenant le dessus sur le côté anxiogène de la situation.

Shaun l’observa brièvement, suivant le parcours de la silhouette de la pilote dans cette étrange ambiance verdâtre et presque malodorante, pour s’assurer qu’elle ne voile pas involontairement une blessure ou autre chose qui n’aurait pas encore manifesté sa présence. Un moyen de s’assurer, de ses propres yeux, qu’elle était effectivement entière et en bon état.

« C’est pas la première fois qu’un exercice se déroule ici. Quelque chose a peut-être rendu les paroies fragiles. J’en sais putain de rien... »

L’inspection aussi rapide que discrète faites, il se redressa complètement en secouant la tête, sa dextre venant se poser à hauteur de son oreille pour s’assurer que son oreillette était toujours bien en place, en profitant pour ouvrir le canal de communication une fois bien en place, alors que ses pas le rapprochait, hasardeusement, vers l’ouverture étroite vers le ciel.

« \\ Pilote Jumper ici Lieutenant Kelly. Est-ce que vous me recevez ? Parlez. \\ »

Les parasites qui crépitaient à son ouïe confirmaient que l’ensemble fonctionnait encore, mais comme il s’était attendu, aucune réponse ne vint en retour et pour cause. Les paroies bloquaient toutes émissions radio, et pour capter quoi que ce soit, il aurait fallu que le fameux vaisseau se trouve juste au-dessus du gouffre, en vue ouverte des deux officiers bien en contrebas.

« \\ Caporal Jensen, vous me recevez ? Répondez. \\ »

Son regard se perdit sur les hauteurs, où les résidus de poussière continuait de flottait, sereinement, donnant au bleu du ciel une teinte ocre virevoltante. Le froncement que ses sourcils avaient gagné se renforcèrent d’autant plus avec les secondes qui s’écoulaient. Il n’arrivait pas à concevoir qu’il avait perdu trois de ses hommes en plein exercice.

Quelques pierres un peu plus grosses vinrent dégringoler le long de la pente légère, emportant sur leur passage un nouveau flux de poussière. Il entendit un bruit, un grattement, ou autre chose, sans savoir en déterminer la source. L’origine, elle, semblait bien définie. C’était là-haut, à plus de quatre mètres de hauteur, voire plus - les distances lui semblaient difficilement appréciables sans repère en l’état.

Silencieuse, Chenoa était suspendue à un quelconque signe sur la physionomie du Lieutenant qui trahirait un retour radio. Mais rien, il ne semblait recevoir aucune réponse. Déçue, elle observait le trou au-dessus d’eux, qui montrait un ciel impeccable. Il ne se souciait pas des humains en contrebas. Comme toujours, la nature était insensible à la détresse, tout comme elle était insensible au bonheur des êtres humains. Immuable, elle défilait comme un paysage qui ne s’arrêtait jamais.

Chenoa n’était pas tellement inquiète pour elle-même, mais plutôt pour les hommes qui étaient descendus les premiers. L’avantage de faire des manœuvres au-dessus du continent résidait dans le fait qu’Atlantis n’était pas loin et qu’elle dépêcherait des renforts et des secours assez rapidement. Il ne restait qu’à patienter… ce qui n’était pas le fort de la pilote. Dans son malheur, elle avait du bol de ne pas être tombée au fond d’un trou avec Cross. Cet enfoiré n’aurait pas arrêté de dire que c’était de sa faute.

« Vous entendez ? On dirait qu’on gratte quelque part au-dessus de nous ? » finit-elle par dire en tendant l’oreille. Tous les fantasmes étaient permis : Des hommes enterrés ? Des hommes en train de fouiller la terre dans l’espoir d’accéder à la grotte ? Une grosse bestiole aveugle amatrice de chair humaine ?

L’amérindienne avait beau se dévisser le cou, elle n’arrivait pas à voir exactement depuis quel endroit ça venait. Les parois renvoyaient un écho qui rendait difficile l’appréciation. Son œil fut attiré par quelque chose dans l’eau, qui se découpait par ombre sur la lumière luminescente du bassin.

« Merde…. Lieut, venez m’aider ! » s’exclama-t-elle en se précipitant dans l’eau… glacée. Mais son cerveau était figé sur quelque chose et ne semblait pas se soucier du caractère gelé de l’eau. En effet, flottait sur le ventre un corps en treillis. Elle dû s’enfoncer jusqu’au nombril pour rejoindre promptement le corps qu’elle tira à elle. Le passage du pubis dans l’onde lui avait quand même arraché un “putain” éloquent qui en disait long sur le fait qu’elle prenait sur elle.

L’attention de Shaun fut immédiatement attirée vers l’officier qui s’était élancée vers la cavité inondée, s’engouffrant littéralement et sans une once d’hésitation dans le froid glacé de l’eau étincelante. Son regard, qui s’était porté avec une attention particulière sur les paroies hautes plongé durement dans l’obscurité terrible des lieux à la recherche de l’origine du bruit, en avait littéralement oublié ses premières intentions pour se porter sur les alentours pour savoir ce qui l’avait alerté.

Et il le vit, là, flottant comme une branche de bois immobile, une masse sombre qui se détachait à peine du néant. Difficile à voir d’un regard rapide, mais discernable si on y prêtait une vive attention. Il ne se fit pas prier davantage, et à peine le temps de le dire qu’il se lançait déjà dans sa direction, rejoignant la pilote dans l’eau sans même réfléchir, les roches nappées de mousse spongieuses faisant glisser ses godasses qui s’inondèrent immédiatement de cette eau saisissante. La surface ondula vigoureusement, des éclaboussures jaillissant çà et là par les mouvements répétés de l'avancée de ses jambes, puis de son bassin.

Elle commença à le tirer vers la rive tant bien que mal. Ses rangers gorgées d’eau rippèrent sur le fond bioluminescent. Certainement une couche d’algue qui renvoyait la lumière. Elle se retrouva complètement dans l’eau jusqu’au menton avant de reprendre un appui plus stable. Cette fois, elle n’avait pas pu réprimer un grognement de froid, mais elle s’accrochait à la manche du type pour le tracter le plus rapidement possible vers la rive.

Une main vigoureuse s’était lancée sur le gilet du pauvre malheureux à hauteur de ses omoplates, cherchant à crocheter d’une poignée dure le vêtement pour en gagner une prise solide. Sa taille lui permettait d’avoir un brin plus de stabilité dans ces eaux d’une clarté particulière. Il dérapa pourtant, à deux reprises, alors qu’il faisait marche arrière, dans la précipitation de sortir son camarade de là, jouant de sa main libre pour son équilibre, jusqu’à ce qu’il accroche le bord des rochers mousseux. D’une dernière impulsion, aidé par Chenoa qui ne lâchait pas non plus l’affaire, il le fit basculer sur le bord en le retournant dans la manœuvre pour qu’il se retrouve visage à l’air libre.

Il n’eut aucun mal à le reconnaître, le fameux Caporal Jensen quand bien même il n’avait pas toute la palette de couleur dont ses iris pouvaient disposer par la luminosité blafarde. Un corps étendu, sans conscience, sans souffle. Depuis combien de temps ? Avait-il seulement une chance de le ramener ? A dire vrai, il se fichait totalement des statistiques, des probabilités ou toutes ces putains de conneries dont il n’arrivait même pas à penser à l’heure actuelle.

« Il respire plus. »

Il n’avait aucune véritable hésitation dans ses gestes, mécaniquement lancé à ouvrir le gilet du soldat pour lui libérer le thorax qui dégoulinait d’humidité.

« Occupe-toi des insufflations, je fais le massage.»

Il avait déjà joint ses deux mains l’une à l’autre en crochetant ses doigts, ouvrant une de ses paumes pour la plaquer contre le thorax du militaire, d’une application aussi plane que possible. Dans toute sa carrière, il n’avait eu qu’une seule fois l’occasion d’effectuer ce geste, en dehors des sessions d'entraînement sur des mannequins, mais ça avait été peine perdue. Le type était mort sans qu’il n'ait rien pu faire pour le sauver, car si son cœur avait flanché et sa respiration s’était arrêtée, c’était bien une hémorragie qui l’avait emporté. Il était jeune engagé à l’époque, mais cela avait suffisamment marqué son esprit pour rester gravé au fer rouge.

Si le type ne respirait plus, Chenoa elle, était à bout de souffle. Heureusement que Kelly était là pour aider, car elle en aurait parfaitement chier pour le monter sur la rive. Mais voilà, il était au sec dans ses habits mouillés, et s’il ne crevait pas par noyade, ce serait de froid, comme ses deux sauveteurs. L’adrénaline du moment l’empêchait de claquer des dents, mais elle se sentait transi, plus encore depuis qu’elle était revenue à l’air libre. Comment un petit courant d’air qu’elle n’avait pas senti jusqu’alors, pouvait sévir dans ce trou à rat ?

« Euuh ok, les insufflations…. Je n’ai jamais fait bordel ! »

Elle avait bien eu une formation rapide pour apprendre quelques gestes, mais avec sa promo, ils n’avaient pas été les plus disciplinés du monde. Et puis… On leur avait dit de pratiquer le massage thoracique sans aller coller leur bouche sur celle du mannequin. Nouvelle façon de faire où le bouche à bouche était optionnel. Enfin qu’importe. Elle avait vu des films.

A quatre pattes, elle contourna la tête du malheureux pour être à son niveau et pouvoir se pencher sur lui. Peut-être que Shaun aurait des instructions à donner pour la guider ? Il fallait attendre un certain nombre de pressions avant d’essayer de lui gonfler ses poumons, non ?

Un éclat de pragmatisme passa dans son regard à la confession de la pilote qui le força à une rétrospective rapide. Une légère seconde de flottement avant qu’il ne secoue lentement la tête, reportant son attention sur le visage de l’inerte, les bras toujours tendus au-dessus de son buste. Les lèvres du soldat était déjà cyanosée, teintée de cette légère couleur bleutée assez caractéristique du froid qui l’avait saisit. Honnêtement, ses chances étaient maigres. Pas inexistantes pour perdre espoir et ne rien tenter, mais il fallait se rendre à l’évidence qu’ils ne pourraient pas tenir la cadence jusqu’à ce que les secours arrivent. Pire, ils se mettraient en danger.

« Prends son poul. Prends juste son poul. » Souffla-t-il, la voix empreinte de fatalisme.

Il sentait ses doigts s’engourdir, ses membres tremblant à la fois sous la décharge d’adrénaline à la découverte du jeune Caporal, et au froid environnant que ses vêtements mouillés ne faisait qu’accélérer. Il était en train de prendre une décision alors qu’il continuait dans ses réflexions analytiques. Si le cœur ne battait plus, ils ne pourraient dans tous les cas, absolument rien faire pour lui. Il n’y aurait pas lieu de s’acharner.

« Ouais... » fit Chenoa. Ils auraient peut-être dû commencer par là. Poul, respiration, conscience… mais elle n’était pas bien formée. De toute façon, cela semblait trop tard. Elle était plutôt optimiste comme fille mais là quand même… il était blanc comme un cul, sa peau était fripée et… on aurait dit que le côté de sa tête était abîmé aussi.
Son optimisme ne s’améliora pas alors qu’elle palpait sa carotide pour chercher le poul. Rien. Elle décala son index et son majeur joints. Rien. Un peu plus bas. Rien. Un peu au-dessus. Rien. Rien rien rien et encore rien.
« Lieut…il est mort. Pas de poul. Rien... » elle qui était sur les genoux retomba sur les fesses, sur ses talons. Un violent frisson vint la secouer. Elle lui caressa les cheveux, ses doigts rencontrant le fluide vital poisseux qui collait sa tempe, maintenant qu’il n’était plus immergé.
« Sa tête a heurté la roche. Il est… parti. » dit-elle pour appuyer ses propos, un peu simplement mais au fond ça voulait tout dire.

Il y eut un instant de flottement, figé dans le temps, à l’image de ses membres qui s'engourdissaient d’autant plus par le froid insidieux, où Shaun resta immobile. L’avoir envisagé n’enlevait rien au dramatique de la situation et en tant que responsable de cette jeune équipe, perdre un de ses hommes quand bien même il n’aurait absolument rien pu faire pour lui, vrillait son estomac de manière brutale. Pour lui, la fatalité n’existait pas, ou du moins, il ne voulait en entendre parler. Il n’y avait pas de faute à “pas de chance”, de loi de Murphy ou toutes ces conneries du genre qu’on sortait quand on arrivait pas à se figurer autre chose afin de mieux en accepter les conséquences.

Pour l’officier, c’était inconcevable. Il fallait une responsabilité, une vérité, quelque chose dont il aurait eu la maîtrise pour changer le cours des évènements, pour que cette perte-là serve à une leçon, à une correction. Sa tête avait heurté la roche. Où était passé son casque ? L’avait-il enlevé volontairement, ou la chute avait-elle arraché la sangle ? L’avait-il correctement attaché ? Aurait-il dû voir, au moment de l’inspection de troupe, que son matériel était défectueux ? Y avait-il prêté attention ? Tout ça, c’était des putain de foutaises. Mais son esprit ne pouvait s’empêcher de fonctionner à cent à l’heure et de remonter le fil des évènements pour en analyser chaque geste, chaque réaction, chaque acte.

Mais le froid le ramena à la réalité, et il se maudissait déjà d’avoir seulement rejoint la pilote dans ces eaux glacées et de n’avoir pas pris une seconde de réflexion avant de s’y jeter. Parce que maintenant que la mort du Caporal Jensen était actée, aussi déroutante et ébranlante soit-elle, il ne pouvait pas rester là, à seulement s’apitoyer sur ce drame, et en oublier qu’un timer s’était déclenché pour eux-deux. Ça le touchait. Profondément, mais l’officier était un mur de résilience qui lui permettait d’avancer. Il saurait trouver le temps des rétrospectives lorsqu’il le pourrait.

Plusieurs urgences se superposaient maintenant à ses pensées, poussé par ses instincts reptiliens. Ses bras, qui s’étaient maintenus tendus et apposés sur le corps du Caporal, fléchirent à nouveau pour se détacher de l’homme à qui il jurait silencieusement de le ramener auprès des siens. D’un regard périphérique, il chercha le sac à dos du soldat. Là, au fond du lac, la petite masse sombre se découpait des halos lumineux verts que les algues renvoyaient. Rien à en tirer. On pouvait oublier les vêtements de rechange, les allumettes et allume-feu, tout avait pris l’eau. Le sien, en revanche, était toujours suspendu là-haut, sur les hauteurs de l’ouverture vers le ciel, le narguant d’être si précieux et inatteignable. Les grattements sur la paroie, eux, avaient cessé.

« Ok...ok. » Amorça-t-il d’une première réflexion, son index de la dextre s’agitant en direction de l’objet de convoitise en se redressant. « J’ai une couverture de survie dans mon sac, là. Des vêtements de rechange, de quoi faire un feu. »

Il fit un pas vers Chenoa, tendant la main en la déployant ouverte pour lui offrir toute l'aide nécessaire pour qu’elle se relève d’un appui solide. Quand bien même elle n’en avait pas vraiment besoin, la symbolique y était.

« On se laisse pas abattre, Lieutenant. Allège-toi un maximum, on va attraper ce sac. »

C’était là que les difficultés commençaient.

L’amérindienne empoigna la main du lieutenant et s’aida pour se relever. Elle n’en avait pas spécialement besoin encore, mais c’était aussi une façon de recoller avec l’humanité alors que cette dernière venait de perdre l’un des siens. Elle acheva de se redresser avec une grimace alors que les parties de ses vêtements qui n’étaient pas collées à sa peau se plaquèrent sur son derme. C’était parfaitement désagréable. Et surtout, cela lui rappela qu’elle allait rapidement être transi de froid. L’hypothermie commençait déjà à rôder de façon pernitieuse, comme un mal latent qui s’insinuait insidieusement.

« Pas le genre de la maison Lieutenant. » répliqua-t-elle. Non, Chenoa n’était pas connue pour se laisser abattre. Elle venait de prendre un coup sur la gueule en constatant la mort du soldat, mais elle n’était pas encore à genoux. Elle était déjà en train de dézipper sa veste de pilotage pour la suspendre à un rocher. Même si soudainement, le froid se faisait plus mordant, elle ne resterait pas dans son vêtement humide qui le rendrait encore moins supportable dans quelques instants. Et puis, elle serait plus légère sans sa combinaison pleine de flotte.

Elle n’avait pas grand chose d’autre à faire valoir pour s’alléger. Elle glissa sa chaînette qui portait ses plaques identitaires dans son t-shirt réglementaire et considéra la hauteur qui les séparait du sac.

« C’est ce que je voulais entendre. » Il avait lâché ces mots d’un air entendu, escortant ces derniers d’un sec hochement de tête, simple et bref, tout à fait convaincu de ce qu’elle venait de confirmer. On ne pouvait pas dire qu’il avait épluché le dossier de la pilote de long en large, après tout il ne s’était agi que d’un entraînement, mais comme chaque fois qu’il savait qu’il aurait affaire à d’autre personne, il survolait les documents que la hiérarchie lui avait confié, en tant qu’officier. Ca lui donnait peut-être un air prétentieux, certains l’avaient affirmé d’ailleurs, mais il se fichait bien des “qu’en dira t-on”. Pour lui, seul le résultat comptait.

Elle avait opiné du chef en lui adressant un sourire. Viendrait peut-être le temps où elle le lui redirait, car elle comptait bien être la dernière à craquer si la situation devait durer !

« Bon… Si tu arrives à me hisser sur ce rebord là, je pense que je pourrai trouver des prises pour aller chercher le sac ensuite. » fit-elle en analysant la paroie. Sans trop de luminosité, ce n’était pas simple de se rendre compte vraiment du chemin à prendre, mais elle pensait trouver suffisamment d’aspérités prononcées pour glisser ses doigts et ses pieds. La perspective de se mouvoir et de forcer un peu lui paraissait censée. Certes, elle allait brûler de l’énergie dans l’effort, et l’énergie était essentielle pour lutter contre le froid, mais surtout, elle allait se réchauffer un peu. Elle était déjà en train de se frotter les mains pour les sécher un maximum. L’humidité du bassin devait remonter vers la paroie et la rendre assez glissante comme ça.

« Bon ce que je fais, c’est que tu me hisses sur ce rebord. Je pense qu’on peut tenir à deux. Je me penche et je t’aide à monter. Ensuite on voit comment on peut faire. Je ne pense pas qu’on pourra atteindre le ciel quand même… » fit-elle les mains sur les hanches.

Shaun se plaça à ses côtés tout en tirant sur l’extrémité de ses gants pour en ôter chacun de ses doigts, tour à tour. Son regard scruta pendant ce temps la fameuse paroie verticale aux aspérités si lisses, qu’il était difficile d’imaginer qu’elle puisse seulement être escaladable. Mais l’éboulement avait fracturé certaines zones qui offraient des bords d'accroche tout à fait envisageables, et parfois même un peu trop saillants. Il ne comptait pas bazarder cette protection à ses mains pour l’ascension qui l’attendait, sachant pertinemment à quel point ces derniers seraient d’une véritable utilité. Mais ils gênaient pour la suite.

Comme d’hab, elle ne portait pas de soutif, et le froid n’aidait en rien à le camoufler, mais ça faisait longtemps qu’elle ne s’en formalisait plus vraiment.
« Aller, avant que je gèle sur place. » Elle avait déjà expérimenté le froid dans l’espace, et disons qu’elle préférait ne plus trop y goûter.

Shaun fit rouler ses épaules pour se débarrasser de sa veste, entraînant son gilet tactique dans la manœuvre. La vague de froid qui assaillit son épiderme le fit brièvement frissonner, mais il avait l’avantage qu’aucun de ses vêtements supérieurs n’étaient trempés. C’était une raison suffisante pour lui de partager le peu de chaleur qu’il pouvait.

« Retire ton haut et met ça. » Laissa-t-il entendre sur un ton toujours aussi neutre mais qui laissait bien entendre qu’il n’était pas disposé à écouter quelconque contestation à ce sujet, déployant sa veste à l’attention de la pilote. Il était lui-même désormais en tee-shirt kaki sombre de son uniforme de terrain, ne faisant guère d’état d’âme de la situation, gardant d’ailleurs son attention déportée, que ce soit volontaire ou non.

« Quoi ?! » fit-elle surprise en se tournant vers Shaun qu’elle ne regardait pas puisqu’elle était en train d’observer le mur pour essayer de se projeter un maximum dans sa future escalade. « Hum, ok. » finit-elle par dire après avoir fait le focus sur la veste en question. Elle l’attrapa d’un geste souple, lança un : « Merci. » et elle se tourna pour virer son t-shirt, lequel collait affreusement à sa peau parcheminée par la chair de poule qui la dardait. Tournée ainsi, elle se moquait bien de savoir si le lieutenant avait les yeux baladeurs. Au pire verrait-il ce que beaucoup n’avait jamais vu dans sa section : ses tatouages. Du moins celui qui se trouvait dans son dos et qui rappelait ses origines amérindiennes, puisqu’il s’agissait d’un immense attrapeur de rêves qui débutait sur ses omoplates pour descendre jusqu’à ses reins. Elle passa la veste et étendit le t-shirt dans l’espoir qu’il sèche un peu.

Elle se mit près du mur et attendit que Shaun l’aide. Après avoir à nouveau enfilé ses gants, calant les interstices de chaque doigt au plus loin et s’assurant que la bande scratch soit suffisamment serrée, le militaire posa un genou à terre, déployant l’autre à la verticale pour qu’elle s’en serve de tremplin, affaissant également son épaule droite, la plus robuste des deux pour qu’elle s’en serve sans difficulté. Une fois en place et avec la certitude qu’elle avait assurée sa stabilité les deux pieds callés sur les deux mains jointes, le brin de femme pu sentir toute la hauteur de l’homme se redresser tandis qu’il prenait appui contre le mur. Quand elle parvint à se hisser sur la petite corniche qui les surplombait, en opérant un mouvement que les militaires connaissaient bien pour le faire de temps en temps, à savoir la planche pour se hisser, elle se pencha ensuite pour essayer de tendre le bras pour qu’il arrive à s’en saisir… Elle n’était pas confiante sur sa capacité à l’aider réellement de cette façon vu la différence de gabarit.

Shaun prit un bref instant à reculer. La hauteur du perchoir sur lequel elle se trouvait était bien trop difficile à atteindre d’une seule impulsion. Mais s’il se débrouillait bien, il pourrait se servir de la main tendue pour atteindre le rebord. D’un pied en appui sur une petite roche surélevée, gagnant à peine quelques centimètres sur sa hauteur, il bondit à la verticale en élançant sa main vers celle de Chenoa, s’en emparant à hauteur de son poignet pour une meilleure prise et gagner rapidement de l’autre le rebord. La suite ne serait plus qu’une sinécure, mettant au travail ses biceps pour une traction simple, passant un pied, puis faisant la bascule de son bassin. Il sentait son froc peser une tonne, gorgé d’eau comme ses godasses d’ailleurs, forçant d’autant plus sur ses bras.

Chenoa grogna quand il attrapa sa main, sentant qu’elle allait déraper et se faire entraîner en bas de la corniche, mais Shaun attrapa rapidement le rebord de la corniche, soulageant soudainement la traction qu’il exerçait sur elle. Elle l’aida du mieux qu’elle put, penchée comme elle était, et il fut rapidement sur la corniche avec elle. Plus qu’à passer à la suite !

« Ça fait longtemps que tu es sur la cité Lieutenant ? » demanda-t-elle pendant l’escalade, histoire de faire la conversation.

« Quelques mois à peine. » répondit Shaun en expirant son souffle d’effort, sa masse large se trouvant à l’étroit sur la petite corniche atteinte. Quelques mois qui auront suffit pour qu’il perde un de ses hommes à l’entrainement. « J’suis peut-être pas le meilleur porte-bonheur au monde. » confessa-t-il assez détaché, sans grande conviction à propos des superstitions pour autant tout en se remettant d'aplomb.

« Bah… Tu sais c’est pas gravé dans le marbre ça. Je suis plutôt une poissarde, m’arrive toujours des couilles depuis que je suis née. Alors si on doit blâmer quelqu’un, c’est moi. » Elle haussa les épaules alors qu’il se redressait. « C’est parce que je suis proche du Coyote, dans ma… on peut dire, religion. Ça tourne souvent mal avec lui. » commenta-t-elle. Elle se demandait quand même ce qu’il se serait passé si elle était restée aux commandes plutôt que de venir superviser le déploiement au sol à l’arrière. Elle s’en voudrait certainement un peu pendant quelques temps à ce sujet là, surtout après la découverte du cadavre en bas.

« Coyote, hein ? Un genre d’animal totem ? » Y’avaient des indices qui ne trompaient pas beaucoup. Le nom, le teint, le tatouage...

« On peut dire ça oui… C’est aussi une forme de… divinité pour comparer avec une religion plus classique. » Elle haussa des épaules. « Ce pourrait très bien être une histoire à lui, ce qui nous arrive. » expliqua-t-elle. « Ça veut dire qu’au fond, il y aura quelque chose de bien à tirer de tout ça. » Elle lui fit un sourire, essayant de rester optimiste malgré le froid, le mort en bas, les disparus, leur ascension foireuse, et tout le reste. Ils étaient en vie, eux. Et ça, ça comptait déjà beaucoup.

Il prit un instant pour l’observer, avec une attention redoublée. Il ne voulait pas lui retirer son optimisme exacerbé qu’il constatait sur son visage, au dessin de ce sourire sur ses lèvres, mais son esprit pragmatique se tailler la part du lion dans ses pensées. Les probabilités n’étaient vraiment pas en leur faveur et il avait vraiment du mal à concevoir un bien à tirer de tout ça. Peut-être la claque monumentale qu’il mettra au putain de préposé qui avait mis en place cet entrainement. Aussi se contenta t-il de rester fidèle à lui-même, ni plus dure, ni souriant, se dégageant complètement d’un quelconque défaitisme dont il n’était en aucun cas familier, conservant une neutralité certaine.

« On y est presque, regarde. »

Il désigna de l’index le sac en question, bien accroché par les lanières entremêlées sur le reste d’une stalagmite qui s’était partiellement brisée. Un peu plus en hauteur, mais surtout bien plus sur le côté.

« Si on réussit à atteindre la crevasse, juste là, on sera juste un peu plus haut que le bordel, et je pourrais te servir de contre-balancier pour que tu l’atteignes. Suffira de le décrocher, on le récupèrera ensuite en bas. »

Ils avaient gagné sensiblement en clarté en se rapprochant de la cheminée de lumière qui menait vers la sortie, mais il y avait bien plusieurs dizaines de mètres entre eux et l’entrée du gouffre. Chercher à l’atteindre de cette manière était bien trop périlleux pour le Lieutenant. Non seulement la moindre erreur conduirait à une chute mortelle qu’ils avaient déjà évité de justesse, mais ils prenaient le risque de choisir la mauvaise roche et de faire s’écrouler sur eux, la suite de la montagne.

Chenoa observait le sac qui se balançait devant eux. Qu’il fasse son narquois, cela ne durerait pas longtemps avant qu’ils ne le décrochent de là pour le faire tomber ! Très franchement, cela aurait pu être une histoire de coyote, comme elle l’avait dit à Shaun.
« Ouais je le vois... » et elle voyait aussi la crevasse à atteindre. Ce ne serait pas simple, mais ce serait plus sûr que d’essayer de grimper encore un peu pour tenter de le décrocher. La pente était raide, et la paroie assez lisse, en plus d’être sacrément humide. Quant à monter jusqu’en haut… Le ciel était là, tentateur, mais il restait inaccessible pour le moment, et ce n’était pas la clarté retrouvée qui démontrait le contraire, leur offrant toute l’étendue de l'ascension périlleuse qu’il restait à faire.

« Aller, je passe la première, je suis plus légère. On rejoint la crevasse comme tu as dit et on choppe ce putain de sac. » dit-elle en assurant sa prise pour avancer et d’ajouter, plus pour elle-même que pour le lieutenant : « Pas aujourd’hui qu’un sac va faire chier Timber. »

Il fallait alterner passage délicat et plus simple. Parfois, une petite corniche permettait de longer un instant, en prenant garde à rester plaqué contre la paroi et en serrant les fesses. Parfois, il fallait grimper de quelques degrés, trouver une piste plus praticable, avancer, reculer, faire des détours, le tout avec prudence et minutie. Dans son dos, Shaun suivait de près, bien qu’il laissait toujours une distance confortable à la femme pour ne pas gêner sa progression, surtout si elle devait s’y reprendre à plusieurs fois. Lui-même n’était pas un fin escaladeur. Certes, il avait la puissance dans ses bras et ses jambes qui suivaient, mais l’exercice lui demandait une certaine souplesse sur de nombreux passages, une chose que sa stature lui retirait sans impunité, là où Chenoa se faufilait avec plus d’aisance. Une fois, la roche sur laquelle Chenoa s’appuyait dérapa sous son pied et elle se rattrapa de justesse par le biais de ses mains. Elle faisait en sorte de conserver trois points d’appuis justement au cas où, et elle loua son bon sens quand elle crut que sa dernière heure était venue. Au final, plus de peur que de mal tandis que son acolyte venait l’aider à remonter la pente.

« T’es déjà monté dans un F-302 ? » demanda-t-elle tout en se hissant sur un petit plateau. L’objectif était en vue, ce n’était pas le moment de flancher.

« On m’avait proposé un jour de faire un vol à bord d’un F-16...» entama-t-il en se hissant à son tour sur le dernier plateau en hauteur avant d’envisager la crevasse, poussant sur ses bras d’un dernier élan. « … mais j’me suis fait recaler à l’entrée. Une histoire de longueur de jambes. Et j’étais plutôt d’accord sur le fait que ça ferait bien chier de m’en retrouver privé en cas d’éjection. »

« Ouais c’est que ça peut servir quand même. » s’amusa Chenoa avec un sourire tout en observant par où elle pouvait passer pour rejoindre l’objectif tandis que Shaun se hissait à sa hauteur maintenant.

L’exercice avait eu au moins l’avantage de le réchauffer un peu, mais le froid continuait d’agresser ses jambes, et ce n’était pas les quelques mètres gagnées le long de la colonne glissante qui élèverait la température des lieux. Il faisait un putain de froid, atténuant certes les contractures musculaires, mais il le sentait, dans son souffle plus court, et aux battements de son coeur, plus intense et rapide.

«Mais jamais monté à bord d’un F-302, pas même pour visiter. Et toi ? T’as déjà tiré avec un .50 BMG ? » Il redressait un sourcil, un brin diverti par la tournure de la conversation. C’était un bon moyen de s’occuper l’esprit à d’autres choses plus désinvoltes que la criticité de la situation ou même de la présence d’un de leur camarade, là en contrebas, sans oublier les deux autres disparus.

« Nan jamais, je ne vois même pas à quoi ça ressemble pour être honnête. Mais une chose est sûre, si ça te branche, je te ferai grimper en cabine, et on verra si on peut faire quelque chose pour tes deux grandes cannes. » répliqua-t-elle avec un sourire, avant de se tourner pour négocier la suite du parcours.

« Ça dépend. Tu fais partie de ces pilotes qui se font des concours à celui qui réussira à faire dégueuler le plus vite possible son passager ? Parce que, si c’est le cas, je risque d’être un très mauvais cheval de course sur lequel parier. J’ai l’estomac bien accroché. »
« Ah ouais ? » dit-elle en tournant son regard, sombre de par son ethnie, mais chaleureux par son sourire. Elle rigola quelque peu avant d’ajouter : « Tu ne sais pas à qui tu viens de dire ça. Mais alors pas du tout. » dit-elle d’un air entendu.

« J’en avais bien une vague idée, justement. » confia-t-il finalement d’un fin souffle amusé d’avoir animé le défi qu’il voyait dans ses yeux sur la base d’une provocation voilée. Il n’était pas spécialement inquiet. Au mieux, elle l'oubliait dès qu’ils sortiraient de ce gouffre, au pire - tout en restant parfaitement optimiste, elle n’obtiendrait jamais les autorisations nécessaire.

Dernier obstacle, dernière étape avant d’atteindre l’objectif, ou du moins sa proximité la plus proche atteignable. Maintenant qu’ils en étaient non loin, à un bond près de l’atteindre, la fameuse crevasse lui paraissait plus étroite qu’il ne l’avait pensé.

« Putain, j’passerais jamais... » souffla-t-il d’un constat, le grisé de ses yeux aussi glacé que la paroie, observant l’étroite embouchure avant de venir constater l’espacement entre les deux roches qu’ils devaient franchir. « On y va et on avise. » Finit-il tout de même en revenant se serrer sur le plateau étroit qui ne laissait guère beaucoup de place.

« On y va et on avise oui. En serrant les fesses et en rentrant le bide, ça devrait le faire. » fit-elle confiante comme toujours, en adressant un petit signe d’encouragement au lieutenant. C’était son petit côté naturel et sans filtre, il ne fallait pas trop s’y attarder. « Je te laisse passer le premier et je te pousse si tu coinces, ou je passe la première et je te tire si tu passes pas ? » demanda-t-elle en se posant devant l’embouchure pour l’observer.

Pour sa part, elle passait largement, même si elle allait devoir se contorsionner. Très franchement, elle n’était pas aussi sereine qu’elle essayait de le montrer. Se mettre à plat dans ce genre de concave en s’imaginant avec des milliers de tonnes suspendus aussi près d’elle, qu’il suffisait qu’un mouvement de terrain fassent lâcher et elle serait broyée en deux. Ce serait certainement très douloureux et très long avant de mourir. Mais si on y regardait de plus près, qu’elle soit là entre deux morceaux de roches, ou debout dans une grotte, le risque était strictement le même. Si ça devait se casser la gueule, ce serait l’ensemble et pas juste ce morceau précisément.

Et comme le terrain avait bien bougé toute à l’heure… il y avait toujours le risque que ça recommence.

Shaun prit un instant pour observer le fameux couloir horizontal qui se découpait dans la roche tout en reprenant son souffle, les bras en arc, les mains perchées à sa taille. L’effort avait fait un peu plus monter sa température encore, et de son souffle s’échappait une nuée brumeuse perceptible. Dans cet angle du gouffre, ils profitaient d’une meilleure, bien que très légère, luminosité, mais pas d’accès direct au soleil.

A la question de la pilote, il prit un temps à la réflexion, sans pouvoir empêcher son esprit de sortir des sentiers tactiques pour comparer les possibilités d’une autre perspective. S’il devait crever écrasé par un lourd rocher, qu’est-ce qu’il préférait avoir comme dernière vision ? D’un reniflement léger, sa main droite venant effacer une perle de sueur qui dégringolait de sa tempe, il déporta ensuite son regard sur Chenoa.

« Stratégiquement, ça a plus d’intérêt que tu passes en premier. » Et il restait complètement stoïque en plus, de sa linéarité habituelle, et qui pourrait aisément passer pour une véritable réponse sérieuse. « Tu pourras plus facilement repérer les passages les plus larges. » Il en revint ensuite à l’entaille dans la roche, portant déjà ses mains à sa ceinture tactique qu’il défaisait. Les sangles avaient la fâcheuse habitude d’être des pièges, celle de son sac à dos en étant témoin, ainsi coincée à plusieurs mètres du sol.

Chenoa était taillée pour ce genre de “sport” de grimpe, dans le sens où elle s’entraînait, comme tout bon militaire qui se respecte, régulièrement, travaillant son cardio et son endurance pour pouvoir tenir le choc là-haut quand elle volait. Elle avait l’avantage d’être une grande gigue montée en graine, si bien qu’elle n’avait pas une grosse carrure à mouvoir.
Qui plus est, elle venait d’Arizona, de sa réserve Navajo, où il faisait vraiment très chaud. Alors, avec ce froid plutôt palpable, son pantalon trempé, ses chaussures pleines de flotte qui laissaient ses pieds froids, elle ne transpirait pas. Elle se réchauffait tout juste, et c’était agréable même si l’effort était là.

« Si stratégiquement, c’est mieux que je passe en première, alors, soyons stratégique. » répondit-elle, à des milliers d’années lumières de s’imaginer la raison "stratégique" de cette affaire. Elle opina du chef, volontaire comme toujours, ce qui manqua d’arracher un sourire satisfait au gaillard tandis qu’il pinçait légèrement le tissu de son tee-shirt pour le décoller un peu de sa peau. C’était l’avantage d’une attitude aussi stricte qu’il affichait en permanence. C’était que ses dérives passaient inaperçues, et il ne se les permettait que s’il estimait que ça ne changeait rien au bon déroulement de ses missions.

Elle prit le temps de respirer un bon coup avant de se pencher pour observer le couloir horizontal. Elle analysa un peu, se redressa pour ajuster la veste qu’elle glissa dans son pantalon, pour être la plus lisse possible. C’était le moment de s’engouffrer dans les méandres de la bête pour Chenoa, et le moment de se rincer l’oeil pour le lieutenant. Elle se coula dedans avec souplesse, s’allongeant enfin pour ramper. La veste qu’il lui avait filé n’allait pas ressortir de là indemne, et Chenoa était plutôt contente de l’avoir sur les épaules plutôt que d’être en t-shirt à ramper sur la caillasse. Elle eut une petite pensée pour son collègue derrière elle qui lui, n’avait que sa peau à opposer… Elle s’en voulut un peu, mais elle n’allait pas lui rendre le blouson pour ramper à poil non plus.

« Ok, c’est un peu serré pour le moment, mais j’ai l’impression que ça s’élargit un peu plus loin. » commenta-t-elle sans se retourner. Impossible dans la configuration actuelle. Si le passage sembla s’élargir un peu, cela ne dura pas longtemps. Il fallait négocier un coude, et le seul moyen de le faire consistait à se glisser sur la tranche, s’enrouler sur la pierre et pousser tant bien que mal pour le passer. Elle sentit que sa veste rapait la pierre, mais elle parvint à se glisser tant bien que mal. Plus qu’à espérer que Shaun en forçant un peu ne passe. Le pire serait qu’il reste coincé pour de bon. Ce serait vraiment une galère sans nom. Une ligne droite s’étirait ensuite, et bientôt, l’air libre de leur objectif. Chenoa accéléra sur les derniers mètres, pouvant même se payer le luxe de se remettre à quatre pattes, et elle s’extirpa de ce cercueil de pierre pour prendre une bonne respiration. Cette fois, elle transpirait.

Elle se retourna vers le trou pour encourager Shaun.

« Tu y es presque, après le coude c’est une promenade de santé. Et ne joue pas au con en restant coincé parce que je ne pourrai rien pour toi ! » l’engueula-t-elle à moitié, plus par inquiétude que pour le houspiller réellement. A la place de Shaun, Scott l’aurait copieusement insulté.

Il avait l’avantage que sa carrure se dessinait bien plus en largeur qu’en épaisseur, c’était du moins sa pensée lorsqu’il s’engouffra à la suite de la pilote, laissant une distance convenable entre elle et lui pour ne pas avoir à subir les quelques ratés qu’il pouvait y avoir aux appuis de ses chaussures encore gorgées d’eau. Le relief érodé de la caillasse lui offrait l’avantage de pouvoir s’y glisser parfois, mais la difficulté résidait dans les prises humides, ses doigts glissant sur les accroches qu’il essayait de se donner. Il ne manquait de force, ni dans la poussée, ni dans les tractions, jouant de ses muscles pour gagner centimètre par centimètre.

Ce genre de parcours, il en avait déjà fait les frais lors de ses différents stages à l’époque où il opérait encore pour le 75ième, quand bien même il avait fait l’impasse sur ceux en jungle équatoriale - bien trop différent des théâtres où il opérait habituellement. Mais nombreuses épreuves avaient ces obstacles là d’avoir à se faufiler, soit sous un treilli de barbelé, soit dans une gouttière d’égout aussi épaisse qu’un homme et inondée de bouillasse infâme pour ne pas ressentir la sensation de claustrophobie. De là à dire qu’il était parfaitement à l’aise était un tout autre monde, mais il se débrouillait, non sans écorchures.

Certaines roches étaient bien plus saillantes que d'autres, et il avait beau être prudent dans chacun de ses mouvements, il sentait le frottement de son ventre séparé que d’une très fine épaisseur de tissu gratter la surface de sa peau et rappait sa chair par endroit. Et puis, il y eut le coude. Il s’immobilisa un instant en observant le passage qui bifurquaient tout en se demandant si cette crevasse avait été une bonne idée finalement, profitant de cette halte pour reprendre son souffle. Mais pas de retour en arrière possible, ce n’était pas son genre de toute manière. Même en enfer, il continuerait. C’était sa doctrine, après tout.

Il frotta son visage sur l’amorce de son épaule, retirant l’excès de sueur que son corps dégageait en épongeant son front et ses joues, laissant une trace sombre sur son tissu déjà bien imprégné.

« L’avantage, c’est que si je me retrouve coincé… y’aura qu’à attendre sans me nourrir pour que je puisse continuer. Une dizaine de jours devrait suffir. » répondit-il en retour, sans même se formaliser de l’insulte qu’il ne percevait même pas comme tel, jouant plutôt sur l’humour, sur un ton toujours aussi sérieux qui le caractérisait.
« Dix jours ? Tu ne vas retrouver que mes os d’ici là.... » commenta-t-elle avec humour. Vrai qu’elle n’était pas trop épaisse.

Il étendit ses bras pour affiner sensiblement sa taille, son bassin heureusement étroit lui permettant de pivoter sur le flanc en espérant que sa ligne d’épaule suive. Il sentit la roche au-dessus, celle en dessous, et même si cela soulageait sensiblement les douleurs accumulées à son torse, sa hanche et ses flancs prenaient maintenant le relais. Il chercha ensuite un appui de son pied, repliant sa jambe et poussant sur le côté pour gagner du terrain.

« Putain de sa race... » eructa t-il lorsqu’une poussée forcée avait tracé le sillon d’une pointe caillouteuse sur son biceps gauche, l’entaillant jusqu’au sang. Y’aura de quoi péter un plomb ou céder à la panique, mais une inspiration longue suffit à faire redescendre la machine. Il gardait étouffé sa colère, accumulant les batteries.

Il enroula son corps le long de la paroie, suivant le parcours emprunté par la pilote juste avant lui jusqu’à atteindre, enfin, le fameux dégagement plus large promis.

Chenoa admirait le calme placide du jeune homme, même s’il jura quelque peu, et il y avait certainement de quoi en se retrouvant à ramper dans un boyau aussi étroit. Il devait raper sur toutes les aspérités avec le sentiment que ça n’allait jamais passer. Elle aurait eu deux stratégies à sa place : gueuler comme un charretier, ou chanter.

Elle ne le discernait pas bien dans les ténèbres du conduit de pierre, mais il arrivait.

« Je ne peux même pas te promettre une glace ou une gaufre pour te motiver. » blagua-t-elle un peu, soulagée de voir qu’il arrivait à venir vers elle et qu’il avait négocié le coude.

Ils n’étaient pourtant pas au bout de leur peine ces deux-là, car il fallait encore récupérer le sac, et ensuite… Redescendre ? Ou attendre ici ? Elle n’en savait fichtrement rien. Ils aviseraient le moment venu, voilà tout. Déjà… le sac. Après une petite pause. Ce passage souterrain avait mis les nerfs à rude épreuve.

« Quelques mètres et c’est bon, l’air libre. » commentait-elle. Ouais, Scott trouvait ça chiant qu’elle cause toujours, mais elle était comme ça. Plus calme quand elle se trouvait dans son cockpit, et encore.

« Les glaces et les gaufres… c’est pour les enfants. Si tu voulais vraiment m’appâter...» finit-il par laisser entendre, chaque mot prononcé dans un souffle d’effort certains qui le poussait un peu plus vers la liberté avant de s’interrompre en dressant le regard sur la pilote.
« Vu comment tu galères pour ramper, je ne sais pas si te faire miroiter une bonne binouze est une bonne idée. » répondit-elle en rigolant, restant sur le registre alimentaire et arrachant un rire nasal de Shaun expulsé en un souffle.

Elle lui tendit la main pour l’aider, et il s’en saisit aussitôt d’un élan porté, mais avec la transpiration et l’humidité, quand elle le hala, ses doigts se décrochèrent et son coude alla taper dans la roche derrière elle, lui envoyant une décharge électrique douloureuse dans tout le bras.

« Oh putain de bordel de merde !! » éructa-t-elle en ramenant vivement son coude vers elle, en se le tenant un peu. Elle serra les dents en se massant le bras. Elle espérait qu’il ne s’engourdirait pas à cause du coup, parce qu’elle en avait encore besoin.

Il l’observa avec une légère attention supplémentaire, sans vraiment se formaliser de ses éructations, s’enquérant plutôt d’une éventuelle blessure avant de reporter son attention sur sa propre condition. Il prenait le temps d’un souffle assez long, se redressant sur ses bras légèrement tremblant des efforts prodigués et de cette douleur à son muscle gauche, pour l’instant anesthésié.

« Petite pause et on se fait ce sac. » proposa-t-elle en posant son cul sur la pierre. Ils avaient une vue d’ensemble de la caverne dans laquelle ils étaient tombés. Est-ce que c’était l’endroit où ils devaient faire la manoeuvre ? Enfin, les collègues, car Chenoa était censée rester dans son Jumper elle. D’ailleurs, elle leva les yeux vers le ciel, l’observant pensivement. Là-haut, personne ne pouvait l’atteindre. Sur terre et sous terre, ce n’était pas pareil.

Il resta un instant debout, pour sa part, se déployant librement de toute sa stature après avoir rampé les derniers mètres, plutôt soulagé de pouvoir enfin en profiter et de se sentir libre alors qu’il avait été compressé un instant plus tôt. Son bras gauche s’était teint d’une substance carmine, dégringolant à son coude, puis son avant bras jusqu’à s’égarer sur la frontière de son gant porté autour des mains. L’épreuve n’avait pas été de tout repos mais bien moins que Shaun ne l’avait pensé, bien trop focalisé sur son objectif à atteindre et la nécessité de sortir de cette crevasse au prix de ces nombreuses blessures. Il porta un regard crispé à sa peau blessée, la roche coupante auquel il s’était accroché l’ayant cisaillé par très proprement. Il observa l’état de son biceps avec attention, tout en pestant et lançant quelques jurons murmurés à cette contemplation souffreteuse,

Son ventre et ses flancs lui étaient sensibles, mais ce n’était rien maintenant que l’adrénaline redescendait doucement, à ce que cette blessure lui faisait ressentir. Le sang avait cessé de s’en échapper, mais il suffisait de quelques mouvements, de quelques frottements, pour que ça reparte à nouveau. Il posa genou à terre, l’autre gardé en équerre, juste à côté de la pilote, s’immobilisant volontairement le bras pour ne pas avoir à le bouger plus que nécessaire tout en approchant la dextre de la femme.

« Bouge pas. » avait-il laissé échapper, une tension visible à son regard alors que sa voix restait impassible, en ouvrant la poche latérale d’un des flancs de la veste que portait l’amérindienne.

Dans la pénombre, Chenoa s’était installée contre un morceau de rocher qui ne faisait pas trop mal à ses fesses pointues. Elle observait le lieutenant, qui semblait s’être sérieusement amoché le bras en passant dans le boyau de pierre. S’il avait gardé sa veste, rien de tout cela ne se serait produit, ou peut-être qu’il aurait une estafilade après l’avoir déchirée, mais sans avoir un sillon profond et sanglant.
Sans trousse de soin, ce serait compliqué de désinfecter. Par contre, ils pouvaient toujours arrêter l'hémorragie par un pansement compressif avec un morceau de tissu déchiré. Elle allait proposer quand il lui demanda de ne pas bouger. Il était tendu, cela se sentait dans sa posture, dans son regard. Chenoa se crispa un peu alors qu’il venait chercher quelque chose dans la poche de la veste.

« Si tu as besoin de quelque chose, tu peux aussi me demander hein ? » dit-elle en prenant un ton léger en portant sa main à la poche en question pour reprendre l’initiative.

Il la laissa faire, venant poser son avant bras sur sa jambe en appui, l’observant avec un peu plus d’attention. A l’intérieur de la poche cible, un long chiffon en coton rapeux, un peu usé par endroit, de ceux utilisés pour nettoyer les armes à feu des résidus de poudre.
« T’as rien à craindre. » répondit-il en baissant sensiblement le ton de sa voix qui gardait un timbre grave.

« Je sais. C’est juste que je suis à poil là dessous. » fit-elle remarquer en lui présentant le chiffon. Elle ne semblait pas lui en vouloir, ou du moins ne le montrait-elle pas explicitement, même si elle avait répondu plutôt directement. Certains pouvaient penser que c’était une forme d’agressivité, alors que c’était juste une franchise assez déroutante. Si elle n’avait pas de problème dans l’intimité, elle restait assez farouche du contact avec les hommes cependant. « Aller, montre ton bras, je vais t’enrouler ça autour assez serré pour que ça arrête de saigner. » proposa-t-elle en agitant le chiffon en coton de grossière qualité.

« Ouais, c’est l’principe des vêtements, tu sais ? » Souffla t-il sur un ton légèrement amusé teinté d’ironie, alors qu’il s’affaissait davantage vers le sol pour s’y poser, l’une de ses jambes toujours en équerre cela dit, gardant la hauteur de son genou pour appui à son bras valide. Il se décala sensiblement, pivotant le torse pour lui présenter l’autre, blessé. « J’suis aussi à poil sous mon tee-shirt. »

« Ouais enfin… un t-shirt c’est pas une veste. » répliqua-t-elle d’un ton qui laissait à penser que cette seule justification évidente mettait tout le monde d’accord. Elle examina rapidement le bras blessé. La vue du sang ne lui faisait pas spécialement peur, cela dit elle n’avait rien pour désinfecter, alors elle se contenterait de faire stopper l'hémorragie sur ce gros biceps.

Il garda son attention sur elle, fixant son visage avec peut-être un peu trop d’application, ce qui aurait pu en déranger certains, pendant qu’elle se préparait à lui enrouler le tissu sur l’épaisseur de son bras, le soulevant sensiblement pour lui faciliter le passage. « Timber. C’est un surnom ? Ca vient d’où ? »

Elle tira sur le tissu tandis qu’il la questionnait sur son surnom. « Mon surnom de pilote, on communique que par nos surnoms dans l’escadrille quand on est en vol… Et forcément un peu au sol aussi. » Elle releva le nez vers son faciès et lui fit un sourire de circonstance, avant de retourner à ce qu’elle faisait, ignorant son regard qui pesait sur elle, alors qu’un oscillement léger du menton de Shaun concluait la réponse donnée. « Bon.... » ponctua-t-elle en ramenant une mèche de cheveux qui l’embêtait derrière son oreille pour ne pas l’avoir dans les yeux. Déjà qu’il n’y avait pas assez de lumière…

Elle posa un premier morceau sur la peau saine et enroula le tissu en le serrant assez fortement pour faire une compression suffisante. « Parait que j’suis un peu bourrine. D’où le surnom. C’est souvent les autres qui le trouvent. » fit-elle constater, alors qu’elle tirait encore sur le tissu pour le tendre. Bourrine on a dit.

Une grimace crispée s’étira sur le visage du Ranger, les muscles de sa mâchoire se contractant de circonstance à cette douleur. Il en secoua la tête, lentement, de droite à gauche, la respiration retenue le temps que la douleur ne se dissipe, avant qu’il n’en relâche tout son souffle contenu d’une extraction d’air prononcé de ses narines. Il avait clos quelque peu les yeux pendant ce temps, et son bras blessé avait légèrement tressailli, bien qu’il restait absolument immobile. En seul autre symbole visible de la douleur ressentie, la contraction de son poing associé qui fit tendre le cuir de son gant en un crissement progressif.

« Mais maintenant que tu le sais, ça ne te dédouane pas de venir vomir dans mon F-302. » fit-elle avant de demander avec toute l’innocence qui pouvait la caractériser en se redressant un peu pour contempler son oeuvre : « Pas trop serré ? »

« L’objectif est atteint. Plus de sang qui coule. Plus de sang dans le bras tout court. » répliqua t-il en escortant le tout d’un léger grognement alors qu’il reculait sensiblement en étirant ses doigts, s’éloignant d’elle pour symboliser que, malgré ses dires teintées d’une ironie exagérée, il ne souhaitait pas qu’elle y retouche.
« Parfait alors, il tombera tout seul du coup. » blagua t elle en se redressant, contente d’elle.