Tentative de fuite

Le retour de la mission n'avait pas été de tout repos. Bien que j'étais pas le plus atteint du groupe, j'avais du rester quelques jours en observation à l'infirmerie, comme le reste de mon équipe. Quant à Arès, il avait été placé en chenil, mais il allait bien. A ma sortie, j'avais pu le récupérer, pour sa plus grande joie. Et la mienne aussi. Cependant, si j'avais cru pouvoir être libre et avoir du temps à moi, c'était peine perdue. Il avait fallu que je m'occupe du rapport de mission, et du bilan individuel pour chaque membre de l'équipe. La paperasse, je détestais ça, et je comprenais mes supérieurs qui devaient habituellement s'en occuper. Quelle galère. Il me fallut un moment pour tout clôturer, car je n'étais pas habitué.

Une fois libéré de cette corvée, me voilà disponible pour faire ce que je voulais. La première chose en haut de ma liste fut d'abord de prendre des nouvelles de mon équipe. Ayant été le leader du groupe pour ma première mission, c'était mon devoir de connaitre leur état de santé, et s'ils s'en étaient remis. Orsu avait été le plus durement touché, mais les médecins m'avaient donné des nouvelles rassurantes. La deuxième personne qui avait eu le plus de soucis était Esfir, et son gros problème d’hypothermie. Je me souvenais encore lorsqu'elle était dans mes bras, tandis que je tentais de la réchauffer comme je le pouvais. On m'avait dit qu'elle était hors de danger, mais qu'elle était encore en observation à l'infirmerie pour plusieurs jours. Je décidai alors d'aller lui rendre une petite visite.

Me voilà entrain de me diriger vers l'infirmerie, Arès à mes pieds, sage comme une image. Celui ci avait la cote avec Esfir, la jeune femme serait sans doute contente de le revoir. Arrivé sur place, je demandai à une infirmière où se trouvait Lunienko.

"Elle se trouve dans une chambre individuelle, la dernière au fond de l'infirmerie. Ne restez pas trop longtemps, elle a besoin de repos".

Après avoir remercié l'infirmière, je me dirigeai vers l'endroit indiqué. Tout était calme, il fallait dire que la soirée venait de commencer. Et il n'y avait pas beaucoup de patients. Je n'allais pas m'attarder trop longtemps, je n'étais pas à l'aise dans ce genre d'endroit. Trop de mauvais souvenirs refaisaient surface. Arrivé devant la porte fermée de la chambre, je commençai d'abord par frapper trois fois. Puis, comme je n'eus aucune réponse, je recommençai. Esfir dormait-elle ? Peut être. Il n'était pas tard, mais vu que la jeune femme avait besoin de repos, elle s'était probablement endormie. Cependant, un son étrange me parvint aux oreilles à travers la porte. Celui d'un moniteur dont le bruit ne m'inspirait pas confiance. Sans attendre, j'ouvris la porte, pour découvrir la russe debout, accrochée contre le bord de son lit pour ne pas tomber.

"Mais, qu'est ce que vous faites debout ?"

Je m'inquiétais pour Esfir, c'était normal. Pourquoi était elle debout, et débranchée du moniteur ? Les infirmières n'allaient pas tarder à arriver en entendant ce vacarme. Je m'approchai de la jeune femme, et je la pris dans mes bras pour la soutenir. Je voyais bien que ses jambes menaçaient de flancher.

"Retournez vous allonger, ce n'est pas l'heure de sortir de l'infirmerie".

Et ben, quel accueil. A peine étais je entré dans la chambre que je fus accueillie par un flot de paroles en russe. Et vu le ton, ce n'était pas des mots d'amour, loin de là. Je retrouvais Esfir debout à côté de son lit, visiblement prête à tomber par terre, ce fut donc normal que je me précipite vers elle pour la rattraper et l'empêcher de chuter. Mais alors que je pensais recevoir un quelconque remerciement, la jeune femme me lança un regard suppliant, en me demandant de l'aider à sortir de cette chambre. Mais elle me faisait quoi ? Elle paniquait ? Je savais que l'infirmerie n'était généralement pas un lieu très apprécié, j'étais le premier à le penser, mais quand même. De là à être terrorisé, c'était étrange. Et Esfir était complètement paniquée d'après ce que je voyais.

"Quoi ? Vous faire sortir d'ici ? Mais non, voyons. Votre place est ici ! Je ne peux ..."

Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase qu'une infirmière déboula rapidement en entendant le raffut du moniteur. Et j'eus le droit à une réplique concernant ma proximité avec Esfir. Sur le coup, je ne compris pas de quoi elle parlait. Quoi ? Des roucoulades ? Avec elle ? Gêné, je secouai immédiatement la tête, comme un gosse pris sur le fait après avoir commis une bêtise.

"Non, attendez ! Ce n'est pas ce que vous croyez ! J'étais juste entrain de ..."

Laisse tomber mec, tu vas t'enfoncer. Je regardai l'infirmière remettre Esfir dans le lit, restant silencieux quelques instants. Comment cette femme avait elle pu penser à une telle chose ? Bon d'accord, la jeune russe était jolie et charmante, je ne pouvais pas le nier. Mais de là à penser que je sortais avec elle, l'infirmière avait beaucoup d'imagination, non ? Il était vrai que me voir la prendre dans mes bras, mon visage baissé vers le sien pour la regarder, pouvait prêter à confusion. Mais quand même.

L'infirmière venait de replacer les électrodes, mais pas la perfusion qu'Esfir avait arraché dans sa tentative de fuite. Puis, elle s’éclipsa en acceptant que je reste un moment dans la chambre avec la patiente, ayant enfin compris que ce n'était pas de ma faute si la jeune femme s'était levée de son lit. Une fois qu'elle fut partie, fermant la porte, il n'en fallut pas davantage à la russe pour essayer de se carapater à nouveau. Je la voyais déjà essayer de retirer encore les capteurs.

"Non, arrêtez ça tout de suite !" dis je en m'avançant vers elle, posant mes mains sur les siennes pour l'empêcher d'aller jusqu'au bout de son geste.

Je devais essayer de trouver un moyen de la calmer.

"Si vous les retirez encore, l'infirmière va revenir et elle n'aura pas d'autre choix que de vous attacher au lit. Vous voulez vraiment être entravée jusqu'à votre sortie définitive ?"

Voilà pourquoi l'infirmière avait accepté que je reste, pour dissuader Esfir de s'enfuir à nouveau. Je pouvais comprendre que la jeune femme ne voulait pas rester ici plus longtemps, mais elle n'avait pas le choix. Autant l'accepter et attendre que le temps passe. Je soupirai et je m'installai sur une chaise près du lit. Arès vint s'asseoir à mes pieds.

"Pourquoi avez vous cherchez à vous enfuir ? Les médecins m'ont dit que vous sortirez dans quelques jours. Je sais que l'infirmerie n'est pas un endroit réjouissant, mais vous sortez bientôt. Il suffit juste d'un peu de patience".

Je ne comprenais pas la réaction disproportionnée d'Esfir concernant sa présence à l'infirmerie. Je restai là, assis près du lit, à la regarder et à l'écouter. La jeune femme eut des mots durs, comme quoi la mort avait été donnée dans ce genre d'endroit, et que cela en faisait un lieu maudit. Je secouai la tête pour essayer de la rassurer.

"Je ne sais pas pour les hôpitaux sur Terre, mais je ne pense pas qu'ici, le Docteur Beckett ou un autre médecin aient volontairement donné la mort à un patient. Bien au contraire, ils s'en occupent bien pour qu'ils soient remis sur pied rapidement".

Bien sûr, mes paroles ne suffisaient pas pour calmer l'angoisse d'Esfir. Cette dernière tenta une nouvelle fois de sortir de là, avec mon aide. Je me doutais que, lorsque j'aurais le dos tourné, elle essaierait encore de fuir. Et cette fois, je ne serais pas là pour l'en empêcher. La russe m'expliqua alors qu'elle ne voulait pas rester à l'infirmerie car elle sa présence dans ce genre d'endroit finissait toujours mal pour elle.

"Que ça tourne mal pour vous ? Qu'est ce qui pourrait mal tourner pour vous ici ? Tout est calme, il n'y a pas beaucoup de monde, et nous ne sommes pas attaqué. Vous ne risquez rien, jusqu'à votre sortie définitive".

Je gardai le silence quelques secondes, avant de continuer.

"Ecoutez, je sais que c'est difficile de rester ici quand on a vécu des choses pas drôles dans ce genre d'endroit. J'en sais quelque chose, je suis bien placé pour savoir ça. Mais si vous continuez à essayer de vous enfuir, c'est là que vous aurez des problèmes. Et vous resterez ici plus longtemps que prévu".

Essayer de faire entendre raison à quelqu'un qui était terrorisé était difficile. A mes côtés, Arès bougeait légèrement, comme s'il s'impatientait. Il devait sûrement sentir la détresse de la jeune femme. Voyant que mes yeux étaient posés sur lui, il me regarda et poussa un petit jappement.

"Regardez qui j'ai emmené avec moi ? Ca vous fera peut être du bien de le voir" dis je à Esfir en lui désignant mon chien.

Bien sûr, Esfir ne m'écoutait pas. Mes paroles ne parvenaient pas à la rassurer. Je n'étais pas le mieux placé pour ce genre de chose, je n'avais rien d'un psychologue, et je n'étais pas ami avec la jeune femme. C'était donc comme si je parlais à un mur. Par contre, je ne m'étais pas du tout attendu à ce que la russe éclate en sanglot en avouant qu'elle avait peur, non pas pour elle, mais pour les autres tant qu'elle resterait à l'infirmerie. Comme si elle portait malheur. C'était ridicule bien sûr, mais comment convaincre quelqu'un qui croyait dur comme fer à ce genre de chose ?

A l'entendre, Esfir se sentait responsable de la mort de certaines personnes de son entourage. D'abord, ses parents, ce qui me surprit car je ne connaissais pas du tout le passé de la jeune femme. Ainsi que quelqu'un d'autre dont j'ignorai l'identité, mais dont Esfir pensait avoir causé la mort. C'était absurde, bien sûr. Un simple concours de circonstances, une simple coïncidence. Mais comment la convaincre ?

Esfir pleurait encore et encore, sans s'arrêter, et cela me mis très mal à l'aise. Je n'aimais pas voir une femme pleurer.

"Oh non, vous ... non, ne pleurez pas !"

Mais bien sûr, la jeune russe continua. Et moi, avec mes paroles maladroites, je n'allais pas réussir à la calmer. Alors, quoi faire ? Je jetai un oeil à Arès, mais ce dernier ne me serait d'aucune utilité tant qu'Esfir serait dans cet état. Je réfléchis à une solution, puis je me redressai et m'assis à côté de la jeune femme. Je la pris doucement dans mes bras afin d'essayer de la consoler. Il paraît qu'en cas d'immense tristesse, le contact humain était un bon remède. Un fait que je ne voulais pas admettre à l'époque de mon deuil. Je serrai légèrement mon étreinte, cherchant les mots pour calmer Esfir. Si l'infirmière débarquait à ce moment là, elle penserait encore que nous étions un couple vu ce deuxième rapprochement pourtant innocent.

"Bien sûr que si, vous êtes solide et forte. Souvenez vous de notre mission, vous avez quand même sauté dans un puits et sauvé le maire du village. Il faut de la volonté et du courage pour faire un tel geste. Et vous avez réussi, tout le monde s'en est sorti".

D'un geste maladroit, je tapotai légèrement le dos de la jeune femme que je gardai toujours dans mes bras. Je détournai les yeux pour ne pas la regarder pleurer, je n'aimais pas cela. J'espérai que mes paroles et mes gestes parviennent à la calmer un peu.

"Ne dites pas de bêtise, vous ne portez pas malheur. Ce n'est pas parce que vous êtes dans une infirmerie ou dans un hôpital que vous êtes responsables des morts qui arrivent. C'est simplement du hasard".

Arès sentit la détresse d'Esfir, et il posa ses deux pattes sur le bord du lit, poussant un nouveau jappement.

"Tout le monde est confronté à la mort dans ce genre d'endroit, ça ne veut pas dire qu'ils sont responsables. J'en sais quelque chose. J'ai regardé ma soeur mourir dans un hôpital, je n'ai rien pu faire pour la sauver. Mais ce n'était pas de ma faute. Comme ce qui vous est arrivé n'est pas de la votre" dis je doucement, sur le ton de la mélancolie en pensant à ma petite soeur.

Pendant qu'elle était dans mes bras, Esfir posa une main sur son ventre en affirmant qu'elle avait tué une personne en particulier, par choix. Sur le coup, je ne compris pas de quoi elle voulait parler, je restai là à froncer les sourcils, en continuant de la réconforter du mieux que je le pouvais. C'était difficile, mais finalement, la jeune femme se calma peu à peu. La panique et la tristesse semblaient s'envoler lentement. Et voilà que maintenant, elle donna de l'attention à Arès qui ressentait la détresse humaine grâce à ses sens sur développés de meilleur ami de l'homme. Mon chien resta sans bouger, la tête posée sur le lit.

Je secouai la tête aux paroles de la russe qui me remercier de l'avoir aidée.

"Vous n'avez pas à me remercier, je n'ai fait que mon travail. C'est mon rôle de protéger ceux qui ont besoin d'aide, et de m'occuper des membres de mon équipe".

Esfir ne pleurait plus, c'était le principal. Lorsqu'elle parla de ma soeur, je lui lançai un petit sourire triste. Penser à Alison était toujours difficile, même si plusieurs années étaient passées. J'avais l'impression de l'avoir perdu depuis seulement quelques jours. Ce fut à mon tour de détourner les yeux pour éviter le regard de la jeune femme.

"C'est du passé, j'essaie de ne plus y penser".

Mais bien sûr, comme si les gens allaient me croire quand je disais que je voulais passer à autre chose, et oublier ce souvenir douloureux. Je soupirai et retournai m'asseoir la chaise. Après avoir réfléchis, je compris enfin de quoi Esfir avait voulu parler sur cette histoire d'avoir volontairement tué quelqu'un. Et cela me glaça le sang. Oui, au début, j'eus du mal à croire qu'elle avait pu faire une telle chose. Mettre fin à une vie si innocente était souvent quelque chose d'incompréhensible. Mais heureusement pour la jeune femme, j'avais l'esprit ouvert, et je ne faisais pas parti de ceux qui croyaient dur comme fer que l'avortement était un crime abominable.

"Je maintiens ce que j'ai dit tout à l'heure, vous ne portez pas malheur. Et pour ce qui vous est arrivé" dis je en désignant son ventre, "vous deviez avoir vous raison pour le faire. Ca ne fait pas de vous un monstre".

Je restai silencieux quelques instants, avant de reprendre.

"Ca va mieux ?"

Même si Esfir avait parlé à voix basse, dans un chuchotement à peine audible, je pus l'entendre. Le silence régnait autour de nous, le seul son qu'on entendait était celui du moniteur. Et vu ma proximité avec la jeune femme, ce n'était pas difficile d'entendre ses paroles. Et elle avait bien raison. J'avais beau essayé d'avancer en mémoire de ma soeur, je n'avais jamais vraiment réussi à passer à autre chose. Ce qui était normal lorsqu'un perdait un être cher. Ce souvenir me hanterait toute ma vie.

"Non ... jamais" répondis je également tout bas, en réponse aux paroles de la russe.

Je remarquai que Esfir s'était calmée. Certes, elle était toujours aussi triste, mais les larmes avaient cessé de couler. Et c'était une bonne chose. La jeune femme commença alors à me parler de sa vie, de son passé douloureux pour m'expliquer pour quelle raison elle se considérait comme un monstre, et ce qui l'avait poussé à avorter. En même temps, à 16 ans, combien de jeunes filles acceptaient de garder leur futur bébé ? Certes, ce n'était pas un acte à prendre à la légère, mais mieux vaut il pas mieux mettre un terme à une vie avant que celle ci ouvre les yeux sur le monde, plutôt que de lui faire vivre un enfer quand sa propre mère n'était encore qu'une enfant ? Cependant, je pus comprendre que cette solution soit tout simplement traumatisante pour celle qui la pratiquait. Je passai outre le fait que Esfir s'était tapée presque tous les mecs de la base. Ayant moi été un coureur de jupon à coucher à droite et à gauche, j'étais mal placé pour lui faire des reproches à ce sujet.

Et puis, qui étais je pour la juger ? Certes, mon enfance avait été plus calme que celle d'Esfir, mais j'avais aussi eu mon lot de conneries d'adolescent, que soit avant ou après le drame que j'avais vécu. A cette époque de la vie, la plupart des gosses se rebellent, et même si la jeune femme avait quand même fait fort dans ce domaine, elle ne devait pas être la seule à avoir eu ce genre d'adolescence. Esfir avait mentionné rapidement la mort de ses parents, mais quand les avait-elle perdu ? Elle venait de parler d'un Général, ce n'était visiblement pas son père. Ses parents avaient du périr avant que la russe ne fasse sa crise d'adolescente. Dans ce cas de figure, normal d'avoir pété un câble après ça, non ? Moi même, après la mort d'Alison, je n'avais pas du tout été la personne modèle de l'année, même si ça n'avait pas duré. La dépression avait presque eut raison de moi, mais j'avais finis par m'en sortir. Comme Esfir apparemment, vu sa présence sur Atlantis. Tout n'avait pas été que malheur dans sa vie, elle avait du avoir quand même de bons moments.

Je posai ma main sur l'épaule de la jeune femme, la serrant doucement dans un geste compatissant.

"D'après ce que vous m'avez dit, vous n'avez pas eu une vie facile. Et puis, vous n'êtes pas la seule à être tombée enceinte si jeune, ça arrive malheureusement à beaucoup d'adolescentes dans le monde. S'occuper d'un enfant est une tâche à ne pas prendre à la légère. Et pour quelqu'un d'âgé de 16 ans, c'est compréhensible de ne pas le vouloir pour ne pas gâcher sa vie, et la sienne".

J'étais sûrement maladroit dans mes paroles, car l'avortement était un sujet grave, et plus sensible que de faire des courses au supermarché en se demandant quelle marque choisir.

"Ce que j'essaie de vous dire, c'est que vous n'avez pas à vous en vouloir d'avoir fait tous ces choix. Les actes que vous avez fait par le passé vous ont conduit ici aujourd'hui. On fait tous des conneries dont on n'est pas fier. Mais ça ne veut pas dire que nous sommes des monstres".

Par la suite, Esfir voulut en apprendre davantage sur ma soeur. Quoi de plus légitime. Elle m'avait parlé d'une part sombre de son passé, normal qu'elle veuille en savoir plus à mon sujet. Et puis, si cela lui permettait de se sentir mieux, et d'oublier temporairement ses démons qui l'avaient submergé à mon arrivée, alors soit. Même si parler d'Alison était toujours aussi douloureux pour moi.

"J'étais en fac de droit à l'autre bout du pays, je voulais devenir avocat. Et un jour, j'ai appris que ma petite soeur était à l’hôpital dans un état grave. Les médecins lui avait diagnostiqué un cancer du poumon à petites cellules. A un stade trop avancé pour tenter un traitement. Elle n'avait plus que quelques mois à vivre. Je suis allé la voir aussi souvent que mes économies le permettaient, et je l'ai regardé mourir dans la souffrance. Ca m'a anéanti, j'étais son grand frère, mon rôle était de la protéger. Et j'ai échoué".

Je soupirai en gardant le silence quelques instants, le regard perdu dans le vague. Je n'avais pas besoin de parler de ça pour revoir le visage d'Alison sur son lit d’hôpital, à l'agonie, luttant pour respirer jusqu'à ce que son coeur cesse de battre. Ce cauchemar me hantait toujours, surtout la nuit.

"J'ai tout laissé tomber. Mes études, ma copine, mon avenir. Je suis retourné chez mes parents où j'ai eu une grave dépression. Mais un jour, je me suis repris, je savais que ma soeur n'aurait pas voulu que je continue comme ça. Alors, je suis rentré dans l'armée, la voie que mon Colonel de père avait toujours voulu pour moi. Et me voilà ici, dans une autre galaxie".

Parler de mon passé n'était pas simple pour moi, cela ne l'avait jamais été. Mais c'était comme un poids sur mes épaules. Peu de personnes sur Atlantis connaissaient cette partie de mon histoire, et en général, je n'étais pas du genre à déballer ma vie. Mais avec Esfir, c'était différent. Cette jeune femme était blessée, elle avait sans doute besoin de savoir qu'elle n'était pas la seule à souffrir d'un passé torturé. Elle m'annonça que j'avais beaucoup de courage pour avoir assisté ma soeur jusqu'à ses derniers moments. Oui, il en fallait du courage. Mais un courage douloureux.

"Je ne sais pas si on peut appeler ça du courage, mais c'était ma soeur. J'avais juré de toujours veiller sur elle, alors c'est ce que j'ai fait jusqu'au bout. Mon rôle de grand frère que j'ai lamentablement échoué".

Je jetai un oeil à la jeune russe.

"Vous aussi, vous avez fait preuve de courage. Vous ne le savez pas, c'est tout. Mais je vous assure que vous êtes quelqu'un de courageux".

Je remarquai qu'Esfir semblait à nouveau sur le point de pleurer, vu ses yeux brillants et sa voix qui tremblotait. Je ne voulais pas la voir encore sangloter, je n'aimais pas ça. Alors, je secouai la tête, décidé à trouver un autre sujet de conversation pour ne plus penser à des choses horribles. Je me levai, ce qui fit réagir aussitôt Arès, pensant que j'étais sur le départ.

"Dites, je commence à avoir faim. J'irais bien me chercher un truc à manger. Vous avez besoin de quelque chose ? A manger ? A boire ? Autre chose ? Musique, livres, films peut être ?"

Si je pouvais trouver quelque chose qui occuperait Esfir, et lui faire oublier cet endroit, ça serait une bonne chose. Mais est ce que c'était sage de laisser la jeune femme seule ? Si je m'absentais, n'en profiterait elle pas pour s'enfuir à nouveau ?

"Si vous me promettez que vous resterez ici en m'attendant".

Mon chien me regarda, mais il n'avait visiblement pas envie de partir. Une idée me vint alors en tête.

"Je peux vous laisser Arès, si vous le souhaitez. Il vous tiendra compagnie le temps de mon absence".

Changer les idées d'Esfir et les miennes étaient sans doute la seule chose à faire pour cesser de ressasser le passé, et penser à des sujets un peu plus joyeux. Je proposai à la jeune femme de lui ramener ce qu'elle voulait, ayant moi même faim. J'en profiterai pour me chercher un truc à grignoter. Mon idée fut visiblement au goût d'Esfir, puisqu'elle accepta. Et elle demanda ce que beaucoup de femmes aimaient : du chocolat. Attention, du chocolat chaud et des biscuits. De quoi remonter le moral de n'importe qui. L'inventeur du chocolat chaud et des biscuits avait certainement eu cette idée en tête en fabriquant la recette.

"Et un chocolat chaud et des biscuits pour la demoiselle" lui lançai je en souriant, avec humour, pour tenter de la faire sourire également.

Je préférais voir Esfir plus joyeuse que malheureuse. Un petit bout de femme charmante comme elle ne devrait pas passer son temps à pleurer ou à avoir peur. Autant essayer de la réconforter du mieux que je le pouvais. La russe me promit ne pas essayer de s'enfuir, et pour cela, je lui confiai Arès, afin que celui ci veille sur elle en mon absence.

"Je reviens vite. Reste là Arès !"

Mon chien me regarda partir, non sans un gémissement, mais je venais de lui donner un ordre. Je savais qu'il allait obéir. Et comme Esfir lui demandait de sauter sur le lit, il ne se le fit pas dire deux fois, et en profita pour avoir quelques caresses. Pendant ce temps, je filai au mess pour chercher de quoi manger. Je trouvai des biscuits ainsi qu'un chocolat chaud pour Esfir. De mon côté, je pris un simple café et un sandwich, histoire de me remplir un peu l'estomac.

Sur le chemin du retour, je passai par mes quartiers, une idée m'était venue en tête. Je cherchai dans mes affaires, et trouvai un livre que j'aimais beaucoup, et que je connaissais par coeur. J'ignorais si Esfir l'avait déjà lu, mais cela pouvait peut être lui faire passer le temps, non ? Une fois ma trouvaille dans les mains, je repris le chemin de l'infirmerie. J'espérai que laisser Arès sur place était un très bon moyen de permettre à la jeune femme de rester dans son lit, et non de prendre la fuite. Alors que je me dirigeai vers sa chambre, l'infirmière m’interpella en voyant un sac rempli de nourriture entre mes mains.

"Mais qu'est ce que vous faites avec ça ? Il est interdit d'apporter de la nourriture extérieure dans l'infirmerie".

"Je sais, mais c'est pour Mademoiselle Lunienko. Elle a faim, et moi aussi".

"Nous sommes là pour surveiller strictement ses repas, je vous interdis de ..."

"Vous voulez lui donner un nouveau prétexte pour essayer encore de s'enfuir ? Tout le monde sait que votre bouffe est infecte. A sa place, je me tirerais moi aussi rien que pour ça" lui lançai je sans m'arrêter.

Mes paroles clouèrent le bec de l'infirmière, elle ne sut plus quoi me dire. Me voilà débarrasser d'elle. Je retournai dans la chambre, et vis Arès allongé sur le lit avec Esfir, comme un bien heureux.

"Hé, qu'est ce que tu fais là dessus, toi ? Descends tout de suite".

Arès descendit aussitôt, au moment où je refermai la porte. Je retournai m'asseoir sur la chaise, et posai le sac sur la petite table située à côté du lit. J'en sortis ce qu'il y avait et le tendis à Esfir.

"Voilà votre chocolat chaud ... et vos biscuits".

Je sortis pour moi même mon propre repas, et tendis à la jeune femme mon livre.

"Je ... j'ai pensé que ça vous distrairait un peu, si vous aimez lire. C'est l'un de mes livres préférés, j'ai réussi à l'emmener sur Atlantis avec d'autres. Je vous le prête, si vous le souhaitez".

J'avais eu visiblement une bonne idée de proposer de ramener quelque chose à Esfir pour lui remonter le moral. Et lui laisser Arès était également une bonne chose. La jeune femme aimait bien mon chien, autant faire en sorte qu'il soit non loin d'elle pour lui changer les idées. Lorsque je retournai dans la chambre, l'animal était monté sur le lit, et Esfir le défendit quand je lui ordonnai de descendre.

"Normalement, il n'aurait pas du vous écouter. Il n'obéit qu'à moi".

Arès qui obéissait à un ordre donné par quelqu'un d'autre m'étonnait. Ca n'était jamais arrivé depuis que j'avais terminé son éducation. Le chien devait vraiment bien apprécier Esfir pour l'écouter. Après être retourné par terre, Arès s'assit au pied de la chaise, et me regarda comme s'il attendait quelque chose. Je caressai sa tête pour le féliciter d'être descendu du lit. Puis, je donnais à la jeune russe ce qu'elle m'avait demandé. Je remarquai bien que le chocolat chaud était le bienvenu, et je souris pendant que moi, je bus une gorgée de mon café.

"C'est dingue comment les femmes se réconfortent avec seulement un chocolat chaud. A croire que vous êtes toutes programmées pour ça".

Je remarquai bien le changement de comportement chez Esfir. Celle ci avait l'air plus calme que tout à l'heure. Ses craintes s'étaient estompées. Du moins, pour un temps, et j'espérais aussi longtemps que possible. D'où mon idée de lui prêter l'un de mes livres pour qu'elle pense à autre chose pendant son séjour à l'infirmerie. J'attrapai mon sandwich et le déballai, avant de lui répondre.

"Oui, c'est de la science fiction. Je suis aussi un fan de ce genre, ainsi que l'héroic fantasy. L'histoire de ce livre se passe en 2130 sur la Terre, avec l'arrivée d'un objet spatial très étrange".

Je m'arrêtai là pour les détails de l'histoire, ne voulant pas lui en dévoiler de trop pour préserver l'intrigue.

"J'espère que ça vous plaira".

La remarque d'Esfir me fit sourire, j'étais amusé par ses paroles. J'acquiesçai d'un simple hochement de tête, avant de boire une nouvelle gorgée de café. Avec toutes les conquêtes que j'avais eu dans ma vie, du moins, principalement avant le drame, je connaissais pas mal de choses sur les femmes. Même aujourd'hui, avec plusieurs années de plus, les goûts étaient les mêmes.

"Mmmhhh ... oui, toutes ... ou presque. J'en ai connu un certain nombre".

Tout en parlant à la jeune femme, je calmai mon estomac avec le sandwich. Arès me regarda d'ailleurs avec un grand intérêt.

"Je connais peu de femmes qui ne craquent pas devant le chocolat. Que ça soit en barre, ou bien en glace, ou encore chaud. Il parait que c'est un bon moyen pour avoir le moral, mais ..."

Je découpai un petit morceau de sandwich et le donnai à mon chien, qui s'empressa de l'avaler tout rond, comme s'il était affamé.

"... je suis persuadé que c'est seulement une excuse pour satisfaire votre gourmandise, à vous les femmes. Ais je tort ?" demandais je, taquin, en regardant Esfir avec un sourire.

Pour aider la russe à passer le temps à l'infirmerie, et à essayer de l'empêcher de rejouer son scénario d'évasion, je lui prêtai l'un de mes livres. Le sujet parut plaire à Esfir, qui retourna à son chocolat chaud, en me demandant quel était le livre que je pouvais considérer comme étant mon préféré. Une question bien difficile, car j'appréciai plusieurs ouvrages. Je réfléchis un peu, avant de répondre.

"J'aime beaucoup de livres, mais si je devais en choisir un, ça serait ... voyons voir ... un livre de Stephen King. J'adore la plupart de ses ouvrages. Et celui qui est mon coup de coeur s'appelle Simetierre. Vous connaissez ?"

Et oui, j'appréciais les romans qui faisaient peur, mêlant drame, suspens et fantastique. Et cet auteur était très bien dans le genre. Etant beaucoup plus jeune, il m'était arrivé de lire certains de ses ouvrages qui faisaient froid dans le dos pour un gamin.

"Et vous ? C'est quoi, votre livre préféré ?"

Esfir entrait dans mon jeu, et sa réplique me tira un rire amusé. Voilà un nouveau surnom : le tombeur. Cela faisait bien longtemps que personne ne m'avait appelé comme ça. En tout cas, j'avais vu juste pour ce qui était de la gourmandise chez la jeune femme qui jouait à la petite innocente. Une fausse innocente, bien sûr.

"J'avais raison, vous êtes gourmande" lui lançai je avec un sourire.

"Vous êtes bien la première à m'appeler "Monsieur le tombeur" depuis des années. Ca fait un long moment que je n'avais pas entendu ce surnom".

Cela fit naître des souvenirs nostalgiques, à l'époque où j'avais enchaîné conquêtes sur conquêtes. Je m'étais bien calmé aujourd'hui. Esfir m'expliqua ensuite qu'elle avait déjà lu des ouvrages de Stephen King, et j'acquiesçai d'un hochement de tête.

"Bien sûr, la Ligne Verte, Misery, et bien d'autres, de grands classiques. Si je peux vous en conseiller quelques uns, essayez Marche ou Crève, ou bien Running Man. Ils sont durs, mais prenant".

Je terminai mon café, puis attaquai la dernière partie de mon sandwich. Esfir m'appris alors quel était son livre préféré, même si comme moi, elle avait sans doute eu du mal à choisir. Ce titre me disait quelque chose, même si je ne l'avais pas lu. Mais la description d'ours polaires en armure me fit tilter.

"Le Royaume du Nord ? Ce n'est pas l'un des livres de la trilogie qui s'appelle A la Croisée des Mondes ?"

Alors que j'allais avaler la dernière bouchée de mon repas, Arès était entrain de me regarder avec son air suppliant, même s'il savait qu'il n'aurait rien. Je finis par soupirer et lui donna le dernier morceau. Même pas un remerciement, juste un léchage de babines en demandant s'il y avait autre chose. J'envoyai donc mon chien se coucher, il obéit aussitôt, comprenant qu'il n'aurait rien d'autre. Fallait pas pousser non plus. Je sortis alors mon dessert, un somptueux petit fondant au chocolat, qui avait été réchauffé au mess. Il était encore un peu tiède. C'était bien meilleur. Je cherchai la petite cuillère dans le sac, afin de me préparer à le manger.

"Et oui, il y a longtemps. Dans ma jeunesse. J'avais un vrai tableau de chasse, à cette époque là".

Esfir se montrait curieuse sur ce sujet là, mais cela ne me dérangeait pas. Ce n'était pas un secret, je n'étais pas du genre à cacher tout ce qui concernait ma vie sentimentale.

"Non, aucune. Pas en ce moment. Les quelques femmes que j'ai fréquenté sur Atlantis n'étaient pas du genre à donner des surnoms. Et ce n'est pas ce que je recherche non plus".

Cela pouvait paraître choquant pour les puristes, mais il n'y avait pas de mal à se faire plaisir de temps en temps, sans aucune attache, non ? J'étais adulte, mes partenaires également, alors pourquoi se priver ? C'était monnaie courante sur la cité, de voir des relations sans sentiments. Le fait d'être isolés loin de ce que nous connaissions devait sans doute aider à se faire plaisir comme on le pouvait.

"Et vous ? Vous avez quelqu'un ?" lui demandai je, étant aussi curieux que la jeune femme.

Esfir me confirma que le livre dont elle parlait appartenait à une trilogie, celle que j'avais deviné. J'acquiesçai d'un hochement de tête, mais j'avais seulement entendu parler de cet ouvrage. Cependant, la russe parut se défendre sur le fait d'aimer ce livre, alors que c'était un roman jeunesse. Bien que le contenu n'était pas vraiment destiné aux gamins.

"Je pense qu'il n'y a pas d'âge pour lire des ouvrages de jeunesse. Certains sont intéressants et plaisants à lire".

Je me penchai alors vers la jeune femme, afin de lui murmurer quelques mots comme si je ne voulais pas que quelqu'un m'entende. Même s'il n'y avait personne.

"Je fais parti de ceux qui ont lu la saga Harry Potter. Côté livre jeunesse, je fais mieux que vous".

Vint le moment où je sortis mon dessert, et je pus lire la gourmandise dans le regard d'Esfir. Enfin non, pas le regard. Le mot semblait être imprimé sur son visage tellement cela se voyait. Ce qui me fit sourire. Et maintenant, la voilà qui me demandait si j'en avais un deuxième, avec le regard suppliant du chat potté. Cette femme avait du en faire craquer plus d'un avec cet air. Je haussai des épaules, navré.

"Désolé, je n'en ai pris qu'un seul" lui lançai je sur un ton attristé.

Je me doutai bien qu'Esfir allait être désespérée de ne pas avoir ce petit gâteau au chocolat qu'elle regardait avec envie. Son attitude m'amusa, et je lui souris. Je lui tendis alors le dessert, lui offrant de bon coeur. Et non, cela ne voulait pas dire que je craquais à son regard du chat potté. Pas du tout.

"Tenez, je vous l'offre".

Mais alors que la jeune femme allait s'en emparer, je le reculai de quelques centimètres, tout en la regardant avec sérieux.

"Mais en échange, vous devez me promettre de rester à l'infirmerie jusqu'à votre sortie. Plus question d'évasion dès que je serais parti. Marché conclu ?"

Un marché très honnête de mon point de vu. Que serait capable de faire Esfir pour un fondant au chocolat encore tiède ?