-------- ADAM
Adam était resté là sur le côté, à les observer en silence, les bras croisés, écoutant et analysant leurs paroles sans dire un mot. C’était bien souvent la meilleure façon de découvrir entièrement ses pilotes pour connaître leur véritable personnalité. Pas de masque, pas d’attitude bridée par la présence militaire à leur côté. Seulement la pure et simple vérité des réactions de chacun. Et il n’avait pas été déçu avec ces deux là. Bien qu’au départ ils semblaient être parti sur un compromis, le choix conciliateur de Penikett avait coupé court aux discussions. Et finalement, Greer avait pris le dessus. Il savait pertinemment que les deux ne cessaient de se prendre le bec à la première occasion depuis leur arrivée, mais c’était peut-être l’une des premières fois où il avait eu l’occasion de les observer sur le fait. Quelque chose lui disait que cette dispute n’était que la continuité d’une précédente qu’ils n’avaient encore pas pu boucler. Ces deux-là étaient plus têtus l’un que l’autre, et aucun ne semblait réellement décidé à lâcher le morceau. Toujours plus de pics, de provocations, allant à la limite de l’acceptable sur un vaisseau militaire.
Apollo émit un fin sourire lorsqu’ils se tournèrent vers lui. Désormais, il en avait la certitude. Il ne s’était pas trompé en insistant pour que ces deux restent partenaires.
«
Si ce choix vous convient, ce sera tout. Promettez moi simplement de ne pas vous entretuer à coup de blindage pendant les réparations, ou tout du moins de ne pas faire exploser le hangar. »
Il hocha légèrement la tête dans leur direction, comme pour leur indiquer qu’ils pouvaient y retourner. Cependant, avant que Greer ne s’éloigne, il vint lui poser rapidement une main sur l’épaule pour l’intercepter, se penchant vers lui pour lui souffler quelques mots.
«
Ménagez la, Cross. Et surtout, ménagez-vous vous même. Plus vite vous vous entendrez, plus vite vous réparerez cette engin, et plus vite vous pourrez voler. Je ne pourrai pas toujours vous protéger des foudres du Colonel Caldwell. »
Il laissa son regard observer le soldat de haut en bas, avant de reposer son regard dans le sien.
«
Si vous êtes encore ici, malgré votre récente peine en prison, c’est que Caldwell croit en vous. Je crois aussi en vous, Greer, malgré ce qui a pu se passer avec Penikett pendant votre dernière mission. Alors ne me décevez pas. »
Ces derniers mots avaient sonné plus comme un ordre qu’une demande dans la bouche de l’officier. Il le relâcha, venant rassembler ses croquis pour les ranger dans son cartable à dessin, puis s’avança à grands pas vers l’extérieur du hangar, hêlant au passage le Chef Tyrol.
«
N’oubliez pas chef ! La PAC part dans une heure pour un exercice de tir ! »
-------- SCOTT
Il aurait bien voulu renvoyer chier sa collègue grassement. De préférence, avec l’une de ses remarques sexiste dont il avait le secret, mais le temps manqua. Il avait levé un doigt menaçant, la réponse prête à fuser, quand le patron avait décidé d’arbitrer tout ça. Il avait permis à Timber de se casser et de faire la gueule dans son coin.
Mais...NON !!! C’est pas comme ça qu’ils faisaient !!!
Et en plus, au moment où il allait ramasser les pots cassés, histoire d’entretenir l’ulcère de Chenoa, le type se trouva éclairé de le retenir pour lui dire quoi….quoi ?!?...QUOOOIIIIII ???
Automatiquement, le copilote sentit des colonnes de chaleur lui remonter jusqu’au crâne. Il crevait d’envie de le renvoyer chier avec ses petits conseils à la con mais se rappelait que c’était le chef qui se tenait devant lui.
Sauf que voilà, il en rajouta une couche en plus.
ET IL LUI TOURNAIT LE DOS !!!!
Trop tard ! Scott eut une réaction impulsive en lui arrachant la serviette à dessin pour commencer.
«
Déjà, ça c’est à moi ! Si vous la connaissiez un minimum, vous sauriez qu’elle a pas vraiment choisi là... » fit-il en guise d’introduction. «
Et ouais, putain, merci. MERCI CHEF ! Pour votre belle science et de m’avoir “protégé”...c’est vrai que je vous ai vu zoner dans le coin quand j’étais accusé à tort. »
Il avait mimé les guillemets de sa main valide.
«
Toutes vos conneries là, avec le vieux con, à lui mettre toute cette merde dans le crâne, Timber est pas loin de me prendre pour un violeur maintenant. Alors ouais, MERCI, les mecs. Beau boulot ! »
Il évitait de se déchainer. Mais ce serait mentir de ne pas reconnaître qu’il était particulièrement acide et agressif. Scott était lancé, il lâchait son pavé dans la mare.
«
Vous savez que dale ok ? Vous savez rien de ce qui s’est passé en bas. Vous savez pas ce que ça m’a coûté pour remonter sur ce putain de rafiot ! Et pour la mission, il s’est passé qu’un seul truc bordel. Un seul : J’ai sauvé le cul de Penikett et elle a sauvé le mien ! VOILÀ ! Alors, il est où le problème ? »
Il leva les bras, pour demander s’il voulait en ajouter. Comme s’il l’invitait à répliquer.
------ ADAM
Pendant tout le long de l’altercation, le Lieutenant était resté de marbre, fixant Scott droit dans les yeux sans sourciller, l’air soudainement dur et strict. Il écouta le copilote vider toute sa haine et sa rancoeur, cracher son venin sur le sol du hangar sous le regard médusé des quelques mécanos qui s’étaient soudainement tus, leurs regards fixés sur eux, comme dans l’attente du dénouement qui risquait d’être des plus tonitruants.
Mais Adam restait calme. Impassible, fixant son subordonné en silence en attendant que ce dernier termine de débiter son flot de paroles haineuses et rancunières. Lorsque finalement, le calme revint et que Cross semblait sûrement attendre une réplique tout aussi cinglante et haineuse, Ross se contenta d’hausser les sourcils vers lui, bras croisés contre son torse, toute la compassion et l’amabilité qui avait pu se lire sur son visage quelques minutes auparavant ayant totalement disparu.
«
Sous-lieutenant Greer, vous avez terminé ? »
Il laissa quelques secondes s’écouler pour donner à l’homme le temps de répondre. Le silence s’était fait dans le hangar. Le temps semblait s’être totalement arrêté autour de cette conversation. Les ingénieurs encore au travail sur l’appareil avaient cessé leur action en plein vol, certains tenant encore leurs instruments en l’air, figés de stupéfaction. Apollo prit une grande inspiration, puis répondit, pointant un doigt accusateur vers Greer.
«
Vous voulez savoir où est le problème Cross ? Le problème, c’est que depuis que vous êtes sur ce vaisseau, vous ne faites que vous attirer des emmerdes. Le problème, c’est que pendant la seule mission extérieure à risque, vous avez craqué et failli balancer votre pilote dans le vide, avant que vraisemblablement un petit bouton se tourne dans votre putain de cervelle et vous ramène à la réalité, en manquant de vous tuer vous même dans la manoeuvre au passage. Le problème Greer, c’est que malgré la confiance qu’on peut vous accorder, et le tout le doute que l’on peut élever contre les accusations qui vous sont faites, vous semblez essayer de continuer par tous les moyens de nous démontrer que non, vous n’êtes pas digne de confiance, ni de servir sous la bannière de l’expédition Atlantis. »
A mesure qu’il s’exprimait, sa voix s’était élevée de plus en plus, et ses traits s’étaient durcis à son tour par la colère. Il prit une courte inspiration, avant de plisser les yeux, baissant son doigt pour venir écarter les bras comme pour appuyer ses propos, sa voix reprenant un volume plus habituel, bien qu’elle se teinta d’une colère froide marquée :
«
Mais apparement, Greer, vous semblez convaincu que je ne sais rien de ce qui peut se tramer ici. Alors allez y. Eclairez ma lanterne. Dites moi ce qu’il s’est passé dans votre tête, et expliquez moi pourquoi il semblerait que vous essayiez continuellement de vous faire virer de ce vaisseau. J’attends. »
Il baissa les bras le long de son corps, le fixant toujours, les sourcils relevés, comme pour l’inciter à répondre.
Scott rêvait de répliquer par une salade de phalanges. Il savait son visage bien rouge et le regard haineux. Mais il n’agissait pas. Il répondit avec une lenteur colérique.
«
Ca y est, on a levé son petit masque “chef” ? Quel protecteur... »
Il secoua la tête.
«
J’ai pas craqué. Timber et moi on s’est soutenu et on est revenu en vie pendant que vous étiez bien au chaud sous vos galons. A venir me juger après coup sur de l’audio et de la paperasse... »
«
Dans ce cas, prouvez moi que j’ai tort, Cross, car jusqu’à maintenant, je n’ai rien vu qui pourrait me le montrer. »
«
Trois darts abattu. Et une sale pute que j’ai pas flingué pour pouvoir garder mon poste. Avec la psy en prime. Ca vous suffit pas ? »
«
Non, ça ne me suffira pas. Les prochaines semaines vont être décisives pour vous, Greer. Alors si vous avez terminé, je vous conseille de retourner travailler sur votre appareil, au lieu de vous donner en spectacle devant les seuls ingénieurs qui ont accepté de venir vous aider hors de leurs tours de service. »
«
A vos ordres, lieutenant. J’me demande qui est le plus beau clown de nous deux. » Siffla-t-il tout en saluant militairement.
« [color=white]Je ne sais pas, mais je sais cependant qui ici est le CEG, et qui passe son temps sur la sellette. Rompez. [color] » Répondit-il sèchement en ne détachant pas son regard du sien.
Ross le regarda s’éloigner puis fit volte-face, semblant avoir rapidement repris constance en adressant un léger signe de la tête en direction du Chef Tyrol, avant de quitter le hangar.
Scott fulminait, il fit demi-tour les poings bien serrés, la serviette de dessin coincé sous son aisselle. Il se rendit en silence jusqu’à la desserte qui se trouvait à côté de l’aile puis il monta sur sa position pour reprendre son boulot. Il s’y employa avec la rage accumulée et un étrange sentiment d’injustice. Il s’était fait piégé mais il était coupable. Il n’avait pas ejecté sa partenaire mais il était coupable. C’est le raccourci qu’il se faisait de cette discussion et il préféra ressasser silencieusement en se fermant uniquement sur le grattage de coque.
------ CHENOA
Chenoa avait, comme tout le monde au demeurant, assistée à cet échange houleux. Elle se demandait vraiment ce qui ne tournait pas rond chez Scott et comment il était parvenu à obtenir ce poste en ayant un comportement aussi merdique. Il devait vraiment être bon pour que ça compense ce tempérament qui était tout sauf un reflet d’une instruction militaire bien cadrée. Il semblait incompris pour des raisons qui le regardaient, et dont il ne s’était pas ouvert à sa pilote, et peut-être qu’elle en était en partie responsable en n'arrêtant pas de le contredire, mais il fallait reconnaître qu’il était imbuvable en ce moment. En plus, ça la gonflait qu’il la mette toujours dans la boucle de ses problèmes, comme si elle était un faire valoir propre à justifier ce qu’ils avaient fait. Ils avaient merdé, et le fait qu’il veuille l’éjecter dans le vide ou non n’était qu’un détail dans toute cette histoire. La vérité, c’était qu’ils avaient merdé sur toute la ligne en ne respectant pas des protocoles qui étaient là pour de bonnes raisons, en se pensant plus malin que les autres.
Histoire de ne pas prendre une remarque cinglante qu’elle ne laisserait pas passer parce qu’elle était toujours fumasse, Chenoa conserva l’échelle dans son dos pour ne pas voir l’américain remonter pour reprendre sa place et ne pas risquer de croiser son regard. En réalité, elle venait de glisser ses écouteurs dans ses oreilles, et elle s’isola dans sa bulle musicale, jouant des bras et des mains pour gratter cette foutue aile avec un putain de papier de verre. Quand on lui avait fait miroiter la perspective de réparer son F-302, elle s’était fait des tas de film, et ce scénario là n’était pas au programme. Elle était amère de devoir se farcir le boulot comme une forçat tout ça parce que l’autre abruti n’avait pas su ravaler sa fierté mal placé. Des fois, elle ne le comprenait pas. Elle était à deux doigts d’envoyer péter le boulot et le papier de verre dans un accès de colère, et comprenant qu’elle se montait le bourrichon à cause de Scott encore une fois, elle augmenta le volume de sa musique en basculant sur sa playlist préférée, et elle s’absorba dans les notes de musique en chantonnant dans son coin. Et sans s’en rendre compte, elle retrouva un nouveau souffle pour gratter le carbone.
------ SCOTT
De retour auprès de l’échelle en esquivant soigneusement les regards de l’équipe technique, Scott grimpa et agita la pochette pour capter le regard de Timber.
«
Bon écoute, j’ai repris ça pour que... »
Il s’interrompit en trouvant les écouteurs qui garnissaient ses oreilles. Le message passa plus vite que prévu. Même pas besoin de se demander si elle avait justement besoin de tranquillité, c’est surtout qu’elle ne voulait plus voir sa gueule dans les environs. Scott expira longuement et redescendit l’échelle pour aller poser les dessins dans un endroit plus ou moins tranquille. Lorsqu’il revint, il avait calé un morceau de sa clope éteinte entre ses lèvres et il entreprit de gratter sans s’occuper de Timber. Elle voulait la paix ? Elle allait l’avoir.
L’homme passa par tous les sentiments possibles et imaginable au cours de son travail d’apprenti techos. Il ne cessait de ressasser les paroles qu’il avait tenu au lieutenant et celles qu’il avait reçu en échange. Peut-être que le commun des pilotes songerait à aller s’épancher en excuse. Mais en réalité, Scott se voyait surtout lui casser la gueule en bonne règle. Il sentait une terrible bouffée de haine et d’injustice en lui. Se faire juger sachant que le type n’y était pas, savoir qu’il avait lu son dossier et qu’il avait très certainement pris connaissance des rapports d’enquête. Et il venait là, le chercher au milieu de tous.
Le type connaissait peut-être son boulot de CEG mais il ne savait pas ce que c’était que de se prendre un tuyau dans le cul et de fermer sa gueule juste après. Un long mois de taule…
La haine brûlait et il s’en servait pour gratter, gratter, gratter encore. Pas besoin de musique pour lui, le bruit du va et vient incessant du grattoir servait de guide sonore. Plus vite, plus fort, il s’y vida longuement les tripes jusqu’à ce que ses bras soient en feux. Parfois il s’arrêtait quelques minutes, descendant de l’échelle pour creuser l’écart avec la pilote et aller boire un verre. Il tournoyait alors ses membres endoloris dans le vide, se massait les genoux mâchés, puis il revenait à l’assaut du carbone en l’ignorant royalement.
Le problème, c’est qu’ils étaient en train de finir malgré tout.
La crasse et le brûlé reculait de plus en plus jusqu’à les placer l’un en face de l’autre pour les derniers carrés de merde à récurer. Alors comment ça allait se passer ? Est-ce qu’il devait laisser faire Timber et il serait un connard de sexiste ? Ou est-ce qu’il allait finir en lui passant entre les bras...histoire d’être un connard de sexiste qui la couve ?
Il s’en moquait. Et en même temps, pas tant que ça.
En feignant une vigueur renouvelée, il tapota l’avant bras de sa collègue pour lui faire comprendre qu’il allait finir. Il se moquait bien de savoir si ça lui plairait ou pas, il poursuivit son dernier sprint en sentant la sueur perler jusqu’au bout de son nez. Scott pensait, à ce moment là, en avoir fini pour de bon.
La mauvaise nouvelle vint quand on leur raconta qu’il fallait maintenant s’attaquer au dessous de l’aile. Scott songea qu’ils essayaient de le faire craquer puisque c’était la pire épreuve à leur imposer. Il avait déjà la gueule noire d’un mineur de fond, la merde ayant envahi ses fringues, ses oreilles et ses cheveux. Ca collait entre ses phalanges malgré les gants. Il pouvait sentir sa sueur coaguler tout ça, sur lui, entre ses oreilles, sous son froc, en faisant des croûtes dégueulasses. Maintenant on leur donnait des lunettes pour se protéger les yeux pendant qu’ils gratteraient les bras en l’air, au-dessus de leur tête.
---------- CHENOA
A l’instar de Greer, Penikett grattait à n’en plus savoir où elle en était. Heureusement, les traces de griffures sur la carlingue se voyaient bien, là où le papier de verre avait attaqué le carbone noirci. Elle avait l’impression que les morceaux de musique s’enchainaient, tandis qu’elle n’avançait pas. Pourtant, le boulot était en train de se faire, à la sueur de leur front, et à l’huile de coude. Elle changea plusieurs fois de position : sur les fesses, jambes écartées, à gratter avec le papier de verre dans l’axe possible entre ses deux cuisses ; allongée sur le ventre ; à la romaine sur le côté ; à une main, tantôt la droite, tantôt la gauche ; à genoux, les deux mains sur le papier de verre, à frotter l’aile comme le ferait une caricature japonaise en train de laver le sol à la main avec une serpillère. De loin la méthode la plus efficace et la plus physique.
Forcément, Scott n’avait pas pu louper ça. Il s’était mordu la langue, l’intérieur de la joue, s’était joué une chanson dans sa tête, une pub. En vain. La perche Pénikett en débardeur qui se bouge... A son prochain changement de position, il éclata de rire et s’exclama mentalement, dans sa tête : ***
C’pas l’endroit pour réviser le Kamasutra Navajo ! Moi...j’dis ça, j’dis rien. Ca me dérange pas du tout ! ***
Chenoa ne l’entendit pas, et elle ne le vit pas plus, étant de dos à ce moment là. Ses épaules criaient grâces, mais elle les ignorait totalement, frottant encore et encore, effaçant d’un coup de papier de verre les gouttes de sueurs qui tombaient du bout de son nez sur l’aile. De temps en temps, elle s’autorisait à s’éponger le front, le cou, et les bras en allant boire un coup, laissant le chiffon dans un état aussi déplorable que celui du chasseur lui-même.
De temps en temps, elle jetait un coup d’oeil à Scott, mais elle se sentait soulagée qu’il n’essayait pas d’imposer une conversation avec elle. Elle était bien dans son monde de musiques entrainantes, et elle se trouvait plus productive. Elle chantonnait toujours, ne s’entendant pas spécialement, même si elle finissait par se taire en grattant. Petit à petit, au fil des minutes et des répétitifs, ils arrivèrent au bout de l’aile, se rejoignant vers le milieu. Si au départ, chacun avait un côté à traiter, bientôt, synchrone, ils se retrouvèrent au centre pour se disputer la zone à poncer. Chenoa ne polémiqua pas quand il lui fit comprendre qu’il s’en occupait, trop heureuse de se reposer un peu les bras. Elle était naze, et elle le regarda terminer la tâche, assise sur l’aile, les bras en appuis derrière elle, et les jambes pliées, la musique coupée depuis un certain temps maintenant.
Finalement, à la descente de l’échelle, quand on leur annonça qu’il fallait gratter le dessous de l’aile, Chenoa ne l’entendit pas de cette oreille.
«
Ok, elle est où la ponceuse à bande ? », lança-t-elle à son interlocuteur. Non parce que gratter à plat, c’était une chose, gratter les bras en l’air, s’en était une autre. Elle ne pensait pas que la tâche soit plus aisée avec l’appareil, puisqu’il y aurait le poids de ce dernier à supporter, mais ça irait plus vite quand même, comparativement à le faire à la main.
«
Quelle ponceuse ? » Demanda Franck en départageant deux paquets de papier de verre. «
C’est à la mano, les couillus ! »
Chenoa rigola deux secondes avant de reprendre son sérieux, persuadée qu’il blaguait. «
A la mano mes couilles oui, ça va prendre des lustres à avoir les bras en l’air. Aller, envoie la ponceuse. »
«
Bah justement. T’as pas de couille. Et y’a pas de ponceuse pour vous. »
«
T’es pas sérieux ? »
«
Tu crois qu’on va bousiller le matériel pour gratter du blindage ? Le matos comme ça, c’est réservé pour les tâches complexe. Vous, vous êtes pas là pour refaire la peinture ou nettoyer les p’tites vitres. C’est du grattage, du grattage, du grattage. Ah...j’oubliais. Du grattage aussi ! »
Il ria à son tour et lui plaça la nouvelle pile de papier de verre dans les mains.
Chenoa les laissa tomber par terre.
«
Tu me prends pour une conne ou quoi ? T’as jamais gratté un putain de volet dans le civil ? Ca se fait avec une PUTAIN DE PONCEUSE !! Tu sais l’appareil tout con qui fait tourner du papier de verre pour les surfaces planes ? Ben là, c’est une aile, c’est plat bordel ! On va pas l’abimer ton matos de merde ! »
Franck siffla.
«
Eh ! Tu baisses d’un ton pilote ! Si t’es pas contente, tu vas voir Tyrol et tu boufferas double dose pour ton compte. »
Le technicien se rembrunit.
«
On en a poncé des putains d’aile de F-302 et on savait fermer notre gueule. Là c’est ta merde, tu la nettoies. »
«
Eh oh, calme ta joie mec. »
«
Le taulard veut jouer les héros ? Je transmets juste les consignes moi. » Lâcha-t-il, moqueur.
«
Laisse tomber Scott, tu vois pas que pour un coup que le techos du coin à du pouvoir, il le fait sentir ? Putain de branquignole. », lança-t-elle en se baissant pour ramasser le papier de verre et se barrer de là en colère.
«
Ahaha ! Le branquignole a une bonne nouvelle pour toi ! » Fit-il en élevant la voix pour qu’elle l’entende. «
Les F-302, ça vole sur DEUX ailes. »
«
J’suis au courant, c’est moi la PILOTE ! », fit-elle s’en se retourner en levant un doigt d’honneur par dessus son épaule.
Ce ne serait pas la première fois qu’on verrait Chenoa se mettre en colère. Elle avait son petit caractère bien trempé, et même si elle montait en pression rapidement, elle redescendait tout aussi rapidement, et pour le coup, ça se ferait en grattant. Sérieusement, elle était tentée d’aller chourrer une ponceuse rien que pour faire chier, mais elle ne savait pas s’il y en avait sur batterie, ou si elles étaient filaires. Et surtout, elle savait encore moins où elles se trouvaient. Quel con ce mec sérieux ! Et dire qu’elle les trouvait cool… Elle comprenait le coup de l’aile, pour se venger de la connerie de Scott. Normal de faire payer le binôme, on est à l’armée ou on ne l’est pas. Mais la blague avait assez durée. Mais pas grave ! Elle allait la gratter cette aile, et elle leur montrerait que ce n’était pas Penikett qui avait baissé les bras. Le concours de bite était lancée, pas de soucis !
------------ SCOTT
Scott n’était pas un gringalet mais il paya cher. Très cher.
L’endurance de Timber le surprit. Elle était épuisée, ça se voyait, mais elle ne lâchait pas. Une résistance qui forçait le respect. Les heures filèrent, une nouvelle équipe remplaça la précédente. Et le temps s’allongea. Il parut long, extrêmement long, terriblement long.
Les biceps et les épaules douloureusement congestionnés, Scott s’arrêta dix minutes avant l’heure pour passer le balai. Il en tendit même un à Penikett, silencieusement et l’air de rien, pour la forcer à s’arrêter. Ils avaient terminé le plus gros mais il restait de multiples endroits à fignoler. C’était trop. Complétement naze, Scott ramassa l’amas très impressionnant de carbonne qu’ils avaient retiré de l’aile au milieu de morceaux déchirés de papier de verre.
Puis il se recula et se fit une constatation assez juste.
«
On dirait que l’aile à rétrécit... » dit-il tout en se massant le bras.
Les derniers techniciens s’en allèrent en les saluant. Le copilote leur fit un signe de tête, n’ayant pas la force de lever les bras, puis il s’approcha de l’engin pour observer leur travaux. Eux aussi n’avaient pas chômé, le chasseur avait rapetissé. Ses plaques de blindage éventré autour de la propulsion ayant été découpé à la torche plasma, il l’avait ensuite entièrement déshabillé pour pouvoir retirer son bloc moteur. Une grue monstrueuse suspendue au plafond rappelait un peu les engins de levage des conteneurs des docks commerciaux. Ses larges chaînes suspendaient le propulseur double coeur. Les techniciens avaient défait les tuyères détruites, les métaux tordus et carbonisés traînant plus loin. Les différents fluides avaient été retiré et versés dans des tonneaux sécurisés.
En somme, avec tout le ventre désossé, il ne restait plus que la coque, l’ossature et le cockpit d’EagleStar. Tout le reste avait été sorti. Le piaf des étoiles s’était fait vider les boyaux comme une vulgaire truite et c’était impressionnant de voir tout l’amas complexe de technologie qui le composait. C’était même effarant...
Scott laissa sa main courir dessus. Il fixait les détails, les pièces brisées, percées, faussées par leur mésaventure. Il trouva même des débris qui avaient pénétré le blindage pour se ficher dans les durites et les organes du moteur. Bref, la pièce entière avait salement pris cher et il ne fallait pas être devin pour comprendre que les techniciens démonteraient les milliers de pièces. Ca n’en retirait pas, pour Scott, l’admiration qu’il tenait sur la fiabilité exceptionnelle des F-302. Quand on savait que les pièces de chasseurs partaient à la casse sans être rénovées dès le moindre pépin…
Silencieusement, Greer prit l’échelle et la poussa en direction du chasseur avec toute les peines du monde. Ses bras étaient en feu et il n’avait plus de force. Nada, ça répondait à peine. Il se ferma, ne sachant même pas si Timber était dans le coin, et il grimpa pour aller jusqu’au cockpit. Vu que la verrière était ouverte, il décida de se réfugier dans sa cabine copilote. Ses mains revinrent sur les manettes. Il retira la couche de crasse qui recouvrait son écran d’ordinateur de vol avec une certaine émotion et soupira.
«
Il me manque...le piaf des étoiles... »
--------- CHENOA
La fierté mal placée de l’amérindienne l’emmena jusqu’au bout de l’aile… Mais elle paya le prix fort. Elle en avait vraiment chié. Conserver les bras en l’air était une chose, gratter en même temps en prenant soin de ne pas oublier de zone en était une autre. Et encore, il y avait eu des endroits où c’était tellement incrusté qu’il fallait insister lourdement, et c’était ce qui tuait le plus. L’air de rien, l’envergure d’un F-302 était importante et il y avait des mètres carrés à poncer.
Histoire de ne rien devoir aux techniciens, elle avait récupéré un long chiffon qu’elle avait passé autour de son nez et de sa bouche pour ne pas respirer les poussières, les lunettes empêchant qu’elles arrivent dans ses yeux.
Chenoa était au bout de sa vie à la fin de la journée. Elle était presque capable d’identifier au touché tous les muscles qui s’agençaient dans la zone située entre ses bras, son dos, et ses épaules. Sportive, elle savait que les courbatures seraient terribles 48 heures après, et elle appréhendait vraiment. Mais aurait-elle le temps de se poser pour les laisser sortir, ces courbatures ? Pas sûr. Surtout avec l’autre aile qui les attendait dès demain surement.
Passer le balai était presque un soulagement. Elle pouvait s’appuyer dessus, et surtout, elle avait les bras vers le bas, qui se soutenait sur un manche. Merde, ça faisait du bien ! Le pire dans tout ça, c’était qu’il y avait des endroits sur l’aile qui restaient dégueulasse, qu’ils auraient pu traiter d’emblée avec une ponceuse. Mais non… Au final, elle n’était plus en colère, le boulot était fait à la hauteur de leur moyen. Elle n’avait pas honte de dire qu’elle avait tout donné aujourd’hui, et le premier qui la taxé de feignasse allait prendre son poing dans la gueule, toute courbaturée qu’elle était. Bref, elle n’était pas mécontente de participer à la renaissance de son oiseau des étoiles, se dit-elle intérieurement, appuyée sur son balai tout en considérant le F-302 qui avait de multiples parties de démontées maintenant.
Scott la fixait depuis quelques minutes maintenant, le regard un peu fuyant par moment. Il avait également pris la pile du siècle et une idée commençait à grandir dans son esprit. C’était décalé...mais putain, que ça leur ferait du bien à tous les deux.
«
J’ai une lotion décontractante dans mon paquetage. Tu m’aides, je t’aide... » fit-il néanmoins avec un certain malaise.
«
C’est pas pour les tarlouzes les lotions décontractantes ? », répliqua la jeune femme d’un air las et amusé.
«
Ok. Tout seul alors. Demain j’te poserai la question quand tu récureras le deuxième round. »
«
Ah ouais… Scott Greer a perdu sa répartie en grattant une aile. Merde, faut que je le note quelque part. », ajouta-t-elle en faisant mine de chercher un papier dans ses poches.
«
Ah ben si y’a que ça pour ton service, pas de soucis chérie. J’peux même te le reproposer avec massage du cul intégré. Ca va là ? Ou il te faut plus grivois ?!? »
Chenoa se marra et lui balança son balais en lançant : «
J’t’ai vexé hein, tête de noeud, en découvrant ton petit côté efféminée. », le railla-t-elle de plus belle.
Un petit mouvement malhabile ne lui permit pas d’esquiver le balai qu’elle laissait tomber lentement sur lui. Il le repoussa rageusement en réponse puis soupira. C’était dur de l’entendre parler de ça, qu’il était efféminé, avec le drame qui avait été le sien le mois dernier. Il essaya de faire abstraction.
«
Nan, j’assume ma part de féminité. C’est pas ton cas. Ta part de féminité, elle est INEXISTANTE ! »
Et il laissa également tomber son balais sur elle en ricanant comme un débile.
Chenoa le repoussa vers lui en rigolant : «
Ouais ben passe le balai femme !! ». Elle avait pris une voix plus grave que celle qu’elle possédait d’habitude.
Il joua le jeu, poussé par l’ivresse de joie de cette journée de forçat enfin terminée.
«
Hannn vi mon homme. » Lâcha Scott avec une voix exagérément efféminée. En voulant récupérer le balai, il lui tourna le dos pour se pencher en un parfait angle droit qui mettrait en valeur sa calandre arrière. Comme l’aurait fait, selon lui, une femme déjà bien allumée.
«
Franchement, sur l’aile, t’étais trop chanmé avec tes muscles. J’peux toucher ?? » Ajouta-t-il en mauvais acteur. Il passa le balai dans son dos comme s'il refusait d’obéir tant qu'il n'aurait pas obtenu gain de cause.
Un échange de rôle.
«
Ok, c’est bon. T’es de nouveau lourd. », balança-t-elle sans être vexée le moins du monde. C’était juste pour continuer à le casser tranquillement. sans rentrer dans son jeu réellement. Elle fut tentée de lui coller un coup de pied dans le cul quand il le tendit outrageusement, car un proverbe disait que tout cul tendu méritait son dû, mais elle n’entra pas dans une surenchère physique.
Les jours passèrent et ils ne se ressemblèrent pas. Chenoa et Scott fournirent un travail de titan sur la restauration de leur appareil, de leur oiseau des étoiles. L’équipe de technicien assurait le gros oeuvre, il fallait le reconnaître, mais les deux jeunes gens en apprirent bien plus que dans les cours théoriques sur la mécanique de cet engin, petit bijoux de technologie.
Il était temps que ça se termine quand même, car jour après jour, l’amérindienne ronflait de plus en plus fort la nuit, quand ce n’était pas pendant les rares petites siestes qu’elle arrivait à gratter par ci par là. Au bout de sa vie, elle préférait de loin dormir plutôt que de manger quelques morceaux, et quand elle se sentait pleinement reposée, c’est à dire un peu plus que d’habitude, elle avalait des quantités de nourritures astronomiques. En plus de ça, elle était insupportable. La fatigue jouait sur les nerfs, et le chantier ne semblait jamais avoir de fin, surtout quand il fallait procéder à des ajustements techniques assez complexe qui demandaient un savoir faire que les deux ne possédaient pas, du coup ils étaient relégués à des tâches subalternes ennuyantes, leur laissant le désagréable goût d’être à disposition des techos.
Est-ce que les relations entre Chenoa et les techniciens furent meilleures ? Ça dépendait des jours en fait. Il y avait des jours avec et des jours sans, mais dans le fond, l’équipe technique avait cerné rapidement cette grande gueule qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, et certains petits malins s’amusaient à la faire partir au quart de tour de temps, comme si c’était devenu un sport, ou un hobbie. On ne citera pas de noms. Quant à la concernée, qui avait compris le petit jeu de pouvoir, ou de bizu, elle avait appris elle aussi à les connaître un peu mieux, même si ça ne l’empêchait pas de pousser des gueulantes quand ils se foutaient de sa gueule ou qu’ils ne voulaient pas partager du matériel plus adapté. De toute façon, elle était nature avec tout le monde, et si quelque chose ne lui plaisait pas, et bien, ça se savait.
Avec la fin du chantier, la perspective des vacances approchaient, et cela réjouissant de plus en plus la jeune femme. Néanmoins, ils ne pourraient pas voir la fin des réparations, partant avant que tout ne soit terminé, et de toute façon, les ajustements techniques et les finitions demandaient un savoir-faire que le pilote et le copilote ne possédait pas. Il y avait des tâches de sécurité et de vérifications trop importantes, trop précises et minutieuses pour deux novices. C’était un appareil conçu pour entrer et sortir de l’atmosphère, pour voler dans l’espace et résister à des dégâts importants, cela restait un petit bijoux d'orfèvrerie, de mathématiques appliquées, de physiques théoriques et pratiques, bref, c’était le reflet d’un savoir faire précis et pointu.
Ainsi, les deux camarades retrouveraient leur F-305 Eaglestar en pleine forme quand ils reviendraient de leurs vacances réglementaires.
Et Chenoa d’espérait en le laissant aux bons soins des techniciens : «
J’espère qu’ils ne le feront pas piquer pendant notre absence ! »
[END 13.08.2019]