Escorte d'une personnalité [Nyota]

Nyota admira la mine étonnée de son supérieur et la savoura bien plus que la gorgée de coca qu'elle avait pris. Mais ce qu'elle apprécia le plus était sans conteste la bouche légèrement entrouverte du Sergent-Maître lorsqu'elle osa lui donner un conseil diététique. Mais contrairement à ce qu'elle avait craint, il le prit bien et lui offrit un sourire narquois ; ce qui n'eut pas pour effet de la rassurer, bien au contraire. Aussi renforça-t-elle ses défenses autour de ses pâtisseries pour les protéger autant qu'elle put. Il venait de remarquer ses fortifications corporelles mais ne se départit pas de son sourire. Pourtant il détourna le regard et ouvrit sa bouteille d'eau que la jeune militaire lui avait si charitablement apportée. Il y but une gorgée avant de tourner le conteneur vers sa subordonnée et de l'arroser négligemment du contenu.

Elle ne sut pas ce qui la frappa le plus sur le coup, la température du liquide où le fait qu'elle soit mouillée. Quoi qu'il en soit, elle eut un réflexe particulièrement féminin, celui de se lever d'un bon et de fixer le Sergent-Maître d'un regard choqué. Il n'était pas évident de savoir si c'était l'action ou l'eau qui coulait le long de son treillis qui la faisait réagir ainsi. Pendant ce temps le militaire responsable de son état en avait profité pour lui voler son coca.

"Washington… Pas la peine de vous mettre dans un état pareil pour une bouteille de soda." avait-il ajouté alors qu'il avait l'air bien amusé de sa petite manœuvre.

Dans le cerveau de Nyota, toute trace de la barrière qu'elle avait érigée entre eux au nom du respect venait de s'effondrer. Elle prit alors un des donuts entamés et elle le mouilla rapidement avec la bouteille d'eau qui avait été délaissée sur la table, en renversant par la même occasion un bon paquet sur le sol. Puis d'un mouvement rapide, elle l'écrasa sur l'épaule de son supérieur, accompagnant son méfait d'un :

"Oh la vilaine tâche !"

Un sourire presque extatique était maintenant affiché sur son visage alors qu'elle se dépêchait d'attraper ce qui se trouvait sur la table et de courir en direction de la sortie sous les ronchonnements des scientifiques présents dans la salle et que leur petit jeu était en train de déranger. Ce n'était pas une fuite, mais plutôt une retraite stratégique. Elle n'abandonnait pas la partie mais se préparait, au contraire, à subir un assaut de taille. Dans sa gorge un rire naissait pour finir de sortir, propulsé par l'air de ses poumons et qui, chez elle, signifiait qu'elle s'amusait comme une petite folle. Nyota Washington venait de perdre seize ans d'un coup.

Ils étaient maintenant à l'extérieur et Nyota courrait sans se retourner en tentant d'esquiver le plus de gens possibles. Elle riait toujours à gorge déployée comme une enfant alors qu'elle tenait son butin entre ses mains, tout en tentant de ne pas l'écraser contre sa veste tactique. Elle devait se contrôler sinon elle risquait de perdre la partie. Le Sergent-Maître Eversman la suivait toujours, slalomant lui aussi entre les scientifiques et militaires qui se rendaient d'un point à l'autre de la base pour faire leur travail. Nyota faillit en percuter un de plein fouet mais l'esquiva au dernier moment, le bousculant tout de même en lui criant une excuse à travers ses éclats de rire. Elle n'avait pas le temps de s'arrêter et de s'excuser poliment sinon son supérieur risquait de gagner du terrain sur elle et la rattraperait, ce qu'elle ne voulait absolument pas. Elle était parfaitement décidée à lui montrer ce qu'elle valait et, tant qu'elle s'amuserait autant, elle ne comptait pas abandonner la partie.

Ses pas la menaient de bâtiments en bâtiments, les dépassant du plus vite que ses longues jambes musclées le pouvaient, la propulsant toujours plus loin sans efforts. Elle ne ressentait plus que l'air qui caressait son visage et se glissait dans ses cheveux lâchés ainsi que le plaisir de la course. Soudainement, plus rien ne comptait d'autre que ce qu'elle ressentait là, en cet instant. Mais brusquement elle se rendit compte que quelque chose clochait. Soit Eversman était très habile et ne se heurtait à personne, soit il était très habile pour éviter les gens. Risquant un petit regard en arrière, elle se rendit compte qu'elle était seule, ou presque. Le personnel de la base était toujours là mais le Sergent-Maître avait disparu. Où était-il passé ? Elle ne pouvait pas l'avoir semée aussi facilement, c'était impossible. Peut-être se cachait-il pour la prendre en embuscade. Cela semblait plus logique. Sans s'arrêter, mais ralentissant légèrement le pas, elle repéra deux infrastructures suffisamment proches l'une de l'autre pour la cacher si elle se glissait entre elles. Elles étaient aussi assez espacées pour lui laisser la place d'y manœuvrer sans difficulté. Elle prit alors sa décision et appela le militaire à sa suite du plus fort qu'elle put.

"Eversman ! Je sais que vous êtes là, montrez-vous !" cria-telle pour l'attirer sur sa position, avant de se glisser entre les deux bâtiments et d'avancer de l'autre côté.

Ensuite, elle prit son courage à deux mains et entreprit de revenir sur ses pas en contournant le bâtiment et ainsi surprendre le militaire, s'il la suivait toujours. Marchant sur la pointe des pieds, elle tentait de faire le moins de bruit possible en longeant l'infrastructure. Mais malheureusement, elle mit un pied sur une pierre qui roula sous sa semelle et elle se retrouva sur les fesses.

"Ouch ! Ah ben pour la surprise, c'est mort." murmura-t-elle avant d'agripper les donuts à pleines mains, et de se tenir prête, assise dans la terre, à l'arrivé du Sergent-Maître.

"Montre-toi, Washington."

La voix du Sergent-Maître lui avait révélé sa position, il été tombé dons son piège, aussi elle continua d'avancer dans sa direction à pas de loup. Malheureusement une vilaine pierre eut raison d'elle et elle tomba, elle aussi, mais par terre. Au bruit qu'elle fit, elle sut qu'il l'avait repéré. Il ne servait à rien de fuir à nouveau. Elle affronterait son destin dignement. Elle se positionna pour être prête à tirer ses munitions chocolatées sur lui dès qu'elle le verrait. Et il ne tarda pas à faire son apparition, revenant sur ses pas, un sourire sur le visage et une arme imaginaire dans les mains.

"Lâche tes armes, Washington. Tu es cernée !" lui dit-il, jouant le jeu.

Mais la jeune femme ne l'entendait pas de cette oreille et tenta de l'atteindre, malgré la distance entre eux, en jetant un de ses donuts dans sa direction.

"Jamais ! Plutôt mourir debout que vivre à genoux !" lui cria-t-elle à son tour avant de lancer un demi-beignet.

Elle finit de lancer ses quelques munitions qu'elle réduisait en morceaux pour en avoir plus, malheureusement sa position et le fait que le Sergent-maître soit mobile ne l'aidait pas des masses et elle le rata toutes les fois. Mais elle s'en fichait pas mal qu'il l'esquive, elle s'amusait bien trop pour ça et cela s'entendait à ses éclats de rire qui avaient repris de plus belle alors qu'elle lui criait maintenant un :

"Alors ? Vous abandonnez ?"

Mais elle savait pertinemment qu'il ne le ferait pas et lorsqu'elle se rendit compte qu'elle n'avait plus de munitions, elle se releva, les mains en l'air, la mine faussement déconfite.

"C'est bon. Vous avez gagné…" lui dit-elle avant d'arriver à sa hauteur, les mains toujours en l'air.

Et, mut par un réflexe qui l'a surprise elle-même, elle se jeta sur le Sergent-Maître dans le but de le faire tomber lui aussi. Il n'y avait là rien de méchant dans son geste. Nyota ne pensait plus comme une militaire de vingt-huit ans, mais plus comme une gamine de seize ans.

Elle se jeta sur lui pour le faire tomber dans la poussière du site Alpha sous le regard intrigués et abasourdis de quelques militaires et scientifiques qui passaient par là. Comme elle s'y attendait, il ne se laissa pas faire et tenta de la maîtriser, ses mains agrippant ses avant-bras pour l'immobiliser.

"Rends-toi !!! Accepte la défaite, Washington !" lui cria-t-il alors.

Mais la jeune américaine ne l'entendait pas de cette oreille et, même si à la fin elle perdait, elle ne partirait pas sans se battre jusqu'au bout. Le Sergent-Maître était peut-être plus fort qu'elle, mais elle était rapide et elle se dégagea de la prise de son supérieur aussi vive qu'un serpent, poussant des deux mains sur la cage thoracique de l'homme qui la tenait pourtant fermement, en espérant ne pas lui couper le souffle. Ils s'amusaient, elle ne cherchait pas à lui faire mal et priait pour qu'il le comprenne. La force du coup lui fit lâcher sa prise et elle en profita pour rouler ensuite sur elle-même avant de s'éloigner. Puis elle se releva sans efforts en utilisant ses jambes comme balancier pour se propulser sur ses pieds. Qu'est-ce qu'il disait de ça, hein ?

"Allez, Eversman ! Amène-toi !" lui cria-t-elle à son tour, un grand sourire sur les lèvres. "J'ai pas toute la journée."

Elle lui fit signe de sa main gauche, repliant l'index et le majeur par deux fois pour le provoquer. Cela faisait trop longtemps qu'elle se battait uniquement contre un sac de frappe et il était temps que ça change. Toutes ces heures d'entrainement allaient enfin servir à quelque chose. Son bras droit maintenu en l'air derrière elle et les pieds écartés, jambe droite légèrement repliée, elle adopta une de ses positions de combat favorite. Il l'avait provoqué ? Il allait goûter à sa maîtrise du corps à corps. Derrière eux, quelques membres du personnel du site Alpha s'étaient rassemblés pour les observer, de plus en plus curieux. Les choses étaient sur le point de devenir physiques.

La phrase, ainsi que l'attitude du Sergent-Maître lui fit perdre son sourire et elle relâcha sa posture avant de regarder autour d'eux. Les quelques militaires et scientifiques se dispersaient maintenant, certains déçu que cela ce soit fini ainsi. Mais Nyota hocha la tête, comprenant sa décision. Un jeu restait un jeu et s'ils dérapaient il pourrait y avoir des conséquences désagréables. Elle ne souhaitait pas recevoir un blâme pour s'être un peu trop "lâchée" avec son supérieur, en mission qui plus est. Elle allait complimenter la décision du Sergent-Maître lorsqu'il ajouta, d'un ton qu'elle prit comme nonchalant :

"Corvée de linge pour toi, 1ere classe…"

Le sourire narquois d'Eversman, qui accompagnait ses propos, lui fit écarquiller les yeux et elle rétorqua, presque du tac au tac, en s'approchant de lui :

"C'est pas terminé, Eversman. On réglera ça sur Atlantis."

En le dépassant, elle le bouscula légèrement de l'épaule pour le taquiner un peu plus avant de se retourner et de lui sourire, amicale et presque malicieuse. Elle avait définitivement laissé tomber les 'monsieur' pour l'imiter et l'appeler par son nom de famille. Etrange comme une simple bataille de nourriture suivie d'une course-poursuite la faisait considérer différemment son supérieur. Avant de se retourner complétement et de rentrer au mess, elle prit le temps de le détailler physiquement, ce qu'elle s'autorisait pour la première fois. Elle finit par faire face au chemin par lequel elle était arrivée, sans prendre le temps de s'épousseter, tout en hochant la tête. Ce qu'elle avait vu lui avait plu. Il était pas mal foutu et cela la fit sourire de plus belle. Nyota chassa les pensées qui lui vinrent soudainement à l'esprit pour se concentrer sur ce qui l'entourait. Ils avaient couru sans prendre la peine de regarder vraiment où ils allaient et maintenant elle devait chercher son chemin. Le regard sur le sol, elle tenta de traquer les traces de pas qu'ils avaient laissées en venant. Après un petit moment, elle finit par retrouver la route qui les avait tout-deux menés jusqu'ici.

Alors qu'elle reprenait le chemin du réfectoire, l'oreillette de Nyota grésilla légèrement avant de diffuser un message partiel de la part de son supérieur. Mais celui-ci fut coupé avant la fin de sa phrase, interrompu par un message émanant de la base. Il était temps de récupérer leur 'paquet' et de rentrer. Tentant de se repérer, la jeune femme dévia de sa trajectoire initiale et finit par trouver le chemin de la porte principale plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Elle y arriva avant le Sergent-Maître et se fit dévisager par le Docteur McKay qui les attendait impatiemment. Nyota se contentait d'épousseter sa tenue et de faire disparaitre le plus gros de la poussière lorsqu'elle remarqua l'arrivée de son collègue, qui subit le même traitement qu'elle de la part du scientifique. Il ne dit rien non plus et prit la suite de l'astrophysicien tout en tirant sur la manche de sa veste comme pour lui faire passer un message.

Nyota hocha la tête en souriant et se retint de le bousculer une nouvelle fois lorsqu'il la dépassa. Elle le regarda avancer avant de partir à la suite de son supérieur, profitant de la vue qui s'offrait à elle. Mais ce qui occupait la plus grande partie de son cerveau était le message qu'il lui avait envoyé par radio. Que voulait-il dire par, je cite : "Il faudra ve[…]" Ve… quoi ? Venir chercher le linge ? Venir au gymnase pour régler ce qu'ils avaient commencé ? Vérifier qu'il est propre après ? Ve… quoi ? Cela la travaillait vraiment et elle continua de fixer son dos, tout en se torturant les méninges, pendant le chemin du retour qui se passa en silence, ou presque. McKay ne cessait de pester qu'ils "l'avaient fait déplacer pour une broutille que n'importe quel technicien avec un minimum d'intelligence aurait pu réparer".

Il sembla à Nyota qu'ils étaient revenus à la porte bien plus vite qu'ils n'avaient atteint le site Alpha dans l'autre sens. Haussant les épaules, elle regarda la porte s'activer et la passa un peu plus facilement qu'à l'aller. Ils furent accueillit par Weir qui s'adressa à McKay, voulant connaitre les détails du problème qu'il avait résolu. Alors qu'elle l'écoutait, elle congédia le Sergent-Maître et sa subordonnée pour le moment, leur donnant la permission d'aller se changer, avec un demi-sourire amusé et un sourcil levé à la vue de leurs habits. Nyota la remercia d'un signe de tête avant de filer en direction des vestiaires, sur les talons de son supérieur.

[La suite]